Notre reporter a accompagné une délégation du croissant-rouge à kidal (mali), Au pays de l’Azawad meurtri

Notre reporter a accompagné une délégation du croissant-rouge à kidal (mali), Au pays de l’Azawad meurtri

Aller à Kidal, en ces temps de guerre, n’est pas chose aisée. Objectif : accompagner un convoi humanitaire. Sur la route, l’impact des combats, les villes en ruine et le vent de sable transforment le voyage en véritable périple. Périlleux. Compte-rendu.

Tessalit, première escale pour la caravane du Croissant-Rouge algérien qui effectue sa deuxième distribution de denrées alimentaires et de médicaments pour les populations du nord Mali. Passer la première porte, In Khalil, petit village frontalier déserté à cause des affrontements, la voie s’offre dans une immensité plate et linéaire balayée par le chaud vent du matin qui s’amuse à déplacer constamment le sable.

Le convoi, composé de trois lourds camions et trois véhicules légers, prend possession de la RN1, une piste “nationale” hissée au rang de route nationale, cependant fréquentée en cette matinée, un plateau où alternent rocaille et sable qui s’étire indéfiniment alors que la chaleur frôle des pics insoupçonnés.

Le chemin se déroule dans la durée, un temps qui échappe au chrono ponctué par le vrombissement des moteurs. Après plusieurs crevaisons, apparaît la ville fantôme d’Amechich.

On retiendra les impacts des accrochages, les ruines nouvelles et la caserne en voie de devenir un vieux souvenir. Le vent souffle dans le silence des ruelles vides. Vidées.

Ce n’est que le début d’un long périple pour atteindre à l’orée de la nuit la première ville : Tessalit. Le convoi est accueilli avec des sucreries (sodas et jus frais dans le langage local). Le voyageur est autorisé à manger pendant le Ramadhan. La règle est appliquée.

Le temps d’un échange avec les responsables, les ouvriers ont déjà commencé à décharger le quota alimentaire de la région qui englobe Tessalit et Aguelhok, 30 tonnes de produits alimentaires et des médicaments. De la semoule, du riz, des pâtes, de l’huile, du sucre, des dattes, des lentilles, de la tomate en concentré, du lait, entre autres. Le quota est cependant aléatoire, a expliqué le président du C-RA qui considère que cette première “visite” permet surtout d’identifier les besoins et de définir un plan d’action avec des programmes précis. En même temps, le médecin du C-RA, Adel Chebouli, fait un tour à l’hôpital de la ville. Sur place, la situation est catastrophique. L’état est déplorable. L’électricité est coupée. Cela rend encore plus difficiles les soins. Coup de gueule du président du C-RA, Benzeguir Hadj Hamou, qui trouve scandaleux qu’on coupe l’énergie dans un hôpital. “Même en temps de guerre, on ne touche pas aux hôpitaux”, dit-il. Le chef de la localité opine et promet d’y remédier.

Alors que le déchargement des 30 tonnes de produits acheminés par le CRA se poursuit à un rythme soutenu, l’atmosphère autour du dépôt se détend sensiblement. On peut alors, dans cette ambiance bon enfant, remarquer la présence dans les alentours d’éléments armés.

Ils assurent la sécurité. La nôtre aussi, nous rassure le responsable.

Il ne précisera cependant pas à quel groupe il appartient. L’on sait, toutefois, que cette région — l’extrême nord du Mali — est passée sous le contrôle d’Ansar Eddine.

Le CRA, 30 ans de présence au Mali

Après un dîner sous les étoiles, le convoi reprend son chemin le soir même avec l’assurance de la sécurité garantie jusqu’à la prochaine destination. Mais il n’y aura pas de destination programmée pour ce soir. Juste un petit somme de quelques heures, à la belle étoile avant de reprendre la route. La nuit est trop calme, elle provoque le stress. Une tension qu’augmente le défilé des informations sur la dégradation de la situation sécuritaire dans tout le nord du pays.

Après ce break, le réveil est facile. La journée s’annonce aussi longue sur cette interminable piste sablonneuse.

Le convoi s’ébranle mais l’allure est lente à cause des camions chargés. Le soleil accompagne la caravane avec ses dards qui frôlent les 50° C. La troupe manifeste des signes de fatigue. De soif. Heureusement qu’Aguelhok n’est pas loin. Petite bourgade silencieuse qui somnole avec quelques habitants dehors assis à l’ombre. Les rares magasins sont pris d’assaut. Eau minérale, boissons gazeuses, jus, biscuits font la ration d’urgence… et des cigarettes achetées clandestinement. Ce n’est qu’une fois réhydratés que deux jeunes s’approchent pour nous informer qu’il est “interdit de fumer”.

Mais pas interdit de manger pour les gens de passage et les voyageurs.

La rumeur dit que pour chaque cigarette fumée, l’auteur reçoit 40 coups de fouet. Et ce n’est qu’une fois à la sortie de ce “village” qu’on découvre la réalité, l’appartenance de ceux qui contrôle ce “coin” perdu entre Tessalit et Kidal.

Un barrage filtrant avec de chaque côté de la piste un homme armé et le drapeau noir jihadiste hissé, non loin, sur une bâtisse. Sur un ton méchant, l’un des vigiles rappelle l’interdiction de fumer. Ce nervi sera vite remis à sa place par un autre homme.

Cette attitude nous renvoie au comportement inquisiteur des militants du Fis avant le passage au terrorisme. Cette épreuve se passe toutefois sans encombre. Nous sommes même priés d’excuser ces jeunes.

Ce sont surtout les éléments qui représentent la véritable menace dans cette région. Le soleil, les vents et les orages, particulièrement en cette période. Ces éléments se succèdent rapidement et sans avertir qu’ils deviennent parfois fatals pour les usagers des pistes. Surtout que cette zone est traversée par plusieurs rivières.

Un peu plus d’une heure après avoir quitté Aguelhok, un fort vent se lève et avec lui un brouillard de poussière. Au loin se fait entendre un tonnerre avant de voir aussi vite s’assombrir le ciel. Une forte pluie s’abat soudainement, accélérée par des rafales de vent.

Tout le monde se cache dans une petite école pastorale. L’orage ne dure pas longtemps, mais nous retrouverons son impact devant nous. Les pluies passées ont déjà laissé des mares alors que devant, les rivières ont commencé à couler. Il faut faire vite avant les crues.

Le convoi arrive à traverser au bon moment. Autrement, tout le monde serait bloqué. Et on sera évidemment bloqué un peu plus loin. Si pour les véhicules légers, il est facile de s’en sortir, pour les camions il n’y a aucune chance de s’en tirer une fois ensablés. Ce qui arriva à un camion.

L’éternel rebelle

Le reste de l’équipe continue son chemin d’autant que la nuit commence à tomber et tous les corps fatigués par ce périple de toute une journée. On rentre à Kidal la nuit. La seule chose qui vient à l’esprit est un bon sommeil. Et aussi la crainte de voir débarquer un quelconque groupe armé dans le coin et l’obligation de plier bagage. Rien ne se passe. Comme promis par nos anges gardiens.

Le lendemain, surprise ! Alors que la délégation se rend à l’hôpital, les journalistes croisent le numéro 2 d’Ansar Eddine, Ag Bibi alias Ahmed Labidi, qui accepta de répondre aux questions.

Avant, l’équipe du Croissant-Rouge algérien passe en revue l’état de l’hôpital de Kidal. Mêmes problèmes que celui de Tessalit avec les coupures d’électricité et la rupture de la chaîne de froid. Médecins, infirmiers et chefs de service se sont plaints de leurs conditions de travail. Même les malades se plaignent de leur prise en charge. Le C-RA a ramené des médicaments et promet d’en ramener d’autres, des médicaments spécifiques selon les besoins des malades.

Le médecin du C-RA fait le tour des services, relève les manques, les anomalies et s’attache surtout à redonner du moral aux employés de l’hôpital dont la mission relève d’un défi. Les difficultés sont énormes. Nous travaillons dans des conditions insupportables, dit un médecin.

Dehors, Ag Bibi est prêt à discuter. Il accepte de répondre aux questions. Celles-ci tournent autour de la crise malienne. D’emblée, il réfute l’association des Touareg, MNLA et Ansar Eddine avec les autres groupes terroristes. Nous ne sommes pas comme eux, dit-il. Et si les Maliens de l’Azawad ont pris les armes, c’est parce qu’ils en ont été poussés. Ce n’est pas la première rébellion, rappelle-t-il.

Cela fait cinquante ans que cela dure. Ce n’est pas de notre faute, a-t-il expliqué en accusant le pouvoir central de Bamako de renier ses engagements, en référence au pacte de paix et à l’accord d’Alger dont les termes n’ont pas été respectés par Bamako. Il accusera également la France et les médias français de manipulation et de diaboliser les musulmans. Sur fond d’islamophobie, les médias français entretiennent, selon lui, un amalgame entre les groupes terroristes, avec lesquels nous n’avons rien à voir, précise-t-il, et nous qui nous battons pour nos droits. Mais Ançar Eddine laisse entrouverte une porte pour le dialogue. Ag Bibi a d’ailleurs ouvertement annoncé la disponibilité de son mouvement pour le dialogue tout en saluant les efforts d’Alger et de l’Union africaine pour une solution politique. Encore faut-il que la solution soit durable, a-t-il insisté. Autre condition, la mise en place d’un gouvernement représentatif. Ce qui n’est pas le cas avec le gouvernement Diarra. Nous sommes disposés pour le dialogue afin de trouver une solution entre nous, Maliens, a-t-il tranché.

Ansar Eddine pour le dialogue inter-malien

Nous sommes pour l’intérêt des habitants de l’Azawad (comprendre le MNLA et Ansar Eddine) et les intérêts de notre pays, le Mali. Tout comme il rejette toute intervention militaire étrangère qui, estime-t-il, ne pourra rien apporter au pays. Ce qui est désormais acquis est le OK d’Ansar Eddine et, peut-être, du MNLA pour participer aux négociations avec le pouvoir central afin de mettre fin et définitivement à la crise. Ag Bibi dénonce et déplore l’attitude de la France qui, selon lui, se comporte comme à l’époque de la colonisation. Il dénonce également l’acharnement des médias qui assimilent les Touaregs aux terroristes. Le second chef d’Ansar Eddine a tenu, par ailleurs, à rappeler que son mouvement n’a rien à voir avec le Mujao et Aqmi et qu’il ne partage absolument rien avec ces deux groupes terroristes. Deux mouvements que la population qualifie de maffia, de voleurs et de narcotrafiquants. “Ils sont la cause du désordre qui caractérise le nord du Mali”, dit un jeune de Kidal qui a tenu à préciser qu’il s’agit de l’Azawad. Car, dit-il, “ici on ne dit pas le nord du Mali, mais l’Azawad”. Le Mali est évoqué comme un autre pays par les jeunes. Cela se lit dans les graffitis qui ornent les murs des maisons de Kidal. Azawad, MNLA sont apposés sur des murs le long des rues principales de la ville. Et pour ces jeunes rencontrés sur place, le MNLA et Ansar Eddine sont (presque) la même chose. Ils appartiennent à la même origine ethnique et sont les authentiques habitants de la région.

Après cet intermède politique inattendu dans la cour de l’hôpital, direction le siège de la Croix-Rouge malienne. Le président, Assilakan Ag Intéreouit, semble seul et solitaire devant l’ampleur des besoins de la population et il n’a pas les moyens de lui venir en aide. Aussi a-t-il retrouvé un petit sourire après l’arrivée du convoi du Croissant-Rouge. Le représentant du CICR a déjà quitté Kidal, a-t-on appris.

Il reviendra, cependant, certainement informé de la présence de la délégation du C-RA. Mickail Ag Sibdiga, l’allure rasta, affirme qu’il n’y a pas que le C-RA qui vient en aide aux populations de Kidal. Il y a aussi le Croissant-Rouge du Qatar qu’il a croisé, dit-il. Effectivement, la présence du C-RQ a été signalée dans cette zone, mais, lui rappela le médecin du C-RA, “il était juste de passage”. “Cela fait trente ans que le C-RA est présent au Mali, particulièrement au Nord”, a précisé le Dr Benzeguir. Le moment n’était, bien entendu, pas à ce genre d’échange “feutré” ; les deux camions sont arrivés. Direction l’entrepôt où seront déchargées les 40 tonnes qui restent. Alors que les ouvriers sont affairés à mettre à l’abri dans le vaste dépôt, la cargaison, à côté les discussions sont animées. Toutes les questions liées à la situation du Mali sont évoquées, sans gêne. Bamako est accablé. Le gouvernement est responsable de la détérioration de la situation, et c’est lui qui, par sa politique d’exclusion, a poussé à la rébellion. Toutes les personnes rencontrées semblent acquises au MNLA et Ansar Eddine. Le volume des chargements diminue au fur et à mesure que plane dans le ciel l’appréhension du retour. Il y a une piste qui lie directement Kidal à Timiaouine. Quatre heures de route et on serait de retour. Mais on nous conseille de l’éviter. Elle n’est pas sûre, nous dit-on. Il existerait encore des poches d’Aqmi, du Mujao et autres groupuscules malveillants qui exercent toutes sortes d’activités criminelles.

Le peuple “Azawad” opposé aux terroristes

Le soleil commence à décliner, emportant avec lui sa vague brûlante qui laisse place à une brise fraîche. Soulagement ! Une rude journée vient de s’achever, mais beaucoup de questions demeurent sans réponse. Et la neutralité du C-RA ne peut aider à “démêler” toutes les facettes du drame qui se joue au Mali. Un conflit armé, un imbroglio politique, une catastrophe sociale et des interférences externes qui attisent le feu. La population du Nord, ses leaders estiment que la solution est entre les mains des Maliens pour peu que Bamako ait la volonté et se dote des institutions adéquates. Ansar Eddine est favorable au dialogue et à la solution politique, reste à Bamako de faire l’autre pas.

Pour la délégation algérienne, c’est l’heure de refaire le chemin inverse. Suivant l’itinéraire de l’aller. Cette fois, le départ se fera de nuit. De longues heures de piste cahoteuse, de conduite hasardeuse guidée uniquement par la lumière des phares. Les trois véhicules légers grignotent la distance, mais celle-ci, la fatigue aidant, semble devenir élastique. Le chemin s’étire alors qu’on essaie de repasser le film de l’aller et de trouver dans le noir quelque détail retenu dans le parcours. La nuit sombre absorbe parfois jusqu’au tracé de la piste que les chauffeurs vont rapidement retrouver au risque de se perdre dans l’immensité désertique et obscure. Presque huit heures que nous roulons à tâtons et nos corps réclament une pause, une “sieste” nocturne, l’aube n’étant de toute façon qu’à un tour d’aiguille de montre. Sur un terrain vague près de la piste, couvertures, tapis et sacs de couchage sont dépliés et nos êtres chancelants de fatigue en ont instinctivement pris place. À peine deux heures de sommeil et l’équipe est déjà sur pied et invitée à poursuivre “son aventure” vers son point de départ. Passage obligé, on refait Aguelhok, qui n’était, s’est-il avéré, tout près de notre lieu de repos, mais pas d’arrêt cette fois. De toute manière, tout le village endormi hormis les gardiens du barrage qui contrôlent l’accès. Un de nos “anges gardiens” rappelle au chef du barrage les bonnes manières… avec véhémence. L’incident est clos et la délégation, pressée de rentrer au pays, continue son chemin à la même allure, c’est-à-dire roule doucement sur la piste dont nous avons heureusement parcouru la moitié du trajet. Apparaît enfin Tessalit, endormie, entourée du silence oasien alors qu’elle est encore plongée dans sa torpeur.

Il ne reste que 120 km qui paraissent dévorer le temps pour faire durer plus longtemps les souffrances de nos corps sous le soleil ardent. Le temps s’égrène plus lentement, a-t-on l’impression tant la route semble infinie et Bordj-Badji-Mokhtar, le point de départ, situé dans une autre géographie. Il est 12h passé lorsque nous entamons la dernière plage, le plateau d’In Khalil constamment balayé par le vent et inondé par l’impitoyable soleil qui ramolli jusqu’aux pneus usés jetés sur les bas-côtés de la piste. L’endroit était un coupe-gorge avant. Bandits et preneurs d’otages se planquaient derrière les rares arbustes ou des pneus à la tombée de la nuit et attendent leurs “proies”, a-t-on appris.

Une fois à BBM, l’on ne ressent plus les effets de la chaleur. Juste envie de se reposer et de rentrer à Alger. Et on se rend compte alors qu’il n’est pas si facile d’être humanitaire tout en gardant sa neutralité. Et surtout du poids de l’épreuve imposée aux populations des zones de conflits comme Kidal. Benzeguir est déjà sur une autre “expédition”, d’autres régions du nord du Mali souffrent comme Kidal.

D. B