Nous avons profité de la conférence Algeria Future Energy, qui s’est déroulée dernièrement à Alger, pour rencontrer Nordine Aït Laoussine, ancien ministre de l’Energie, expert international et actuel président de Nalcosa SA.
La conférence a regroupé un nombre impressionnant d’experts internationaux et a essentiellement traité «des énergies renouvelables, des non-conventionnelles et des activités en amont dans les hydrocarbures». Outre les énergies renouvelables sur lequel l’ancien ministre s’est longtemps attardé avec nous, il nous a donné son point de vue d’acteur du secteur sur les réussites et les échecs de notre politique dans ce domaine depuis l’indépendance, comme il nous a également brossé un état des bouleversements que connaît actuellement l’énergie à l’échelle mondiale et leurs incidences sur la politique énergétique nationale.
Le Soir d’Algérie : Vous étiez en charge du portefeuille ministériel de l’énergie et plus antérieurement encore, vous étiez un des acteurs de la création de Sonatrach. Par rapport aux objectifs qui étaient fixés à SH pour la contribution au développement national, l’on est forcé de constater qu’avec une économie nationale qui reste encore aujourd’hui aussi dépendante des hydrocarbures, l’on est loin d’avoir atteint cet objectif. Qu’est-ce qui, selon vous, a conduit à cette situation ?
Aït-Laoussine : Lorsque fut décidée la nationalisation des hydrocarbures le 24 février 1971, l’objectif essentiel poursuivi était d’utiliser le pétrole pour en faire un outil de développement, autrement dit, faire jouer au pétrole un rôle de catalyseur, de dynamo, pour entraîner le reste de l’économie. Souvenez-vous, à ce sujet, de la fameuse parole de Houari Boumediène : «Il faut semer le pétrole pour récolter le développement.» Pour ce faire, il fallait d’abord prendre le contrôle de nos ressources pétrolières. On ne pouvait pas demander aux sociétés internationales opérant dans ce domaine et présentes à l’époque de faire jouer ce rôle aux hydrocarbures. Ces sociétés venaient chez nous, cherchaient le pétrole, le trouvaient, l’exportaient, payaient leurs impôts et c’était tout. L’avenir du pays ne les concernait pas, tout au moins à l’époque. S’agissant du contrôle, nous l’avons effectivement réalisé. Dans le pays aujourd’hui, aucun acte lié au développement de nos hydrocarbures — pétrole et gaz — ne se fait sans l’accord de SH. Nous avons créé une société nationale qui a fait la fierté du pays et que certains pays du tiers-monde nous enviaient. Sur ce plan précis du contrôle, nous avons réussi et gagné cette bataille. Une fois le contrôle de la production réalisé, il fallait en assurer la commercialisation et faire en sorte d’augmenter les revenus pétroliers en défendant le prix de nos exportations sur la scène internationale. C’était là le deuxième objectif.
Au sein de l’Opep…
Nous menions un véritable militantisme et œuvrions d’une façon constructive au sein de l’Opep. Alors que nous n’y occupions que le 10e rang par le niveau de notre production, nous étions, à l’époque, aussi influents que l’Arabie Saoudite ou l’Iran. Avec ces deux pays, nous avions une influence considérable sur les prix. Donc, non seulement nous avions gagné la bataille du contrôle, mais nous avions également gagné la bataille de l’augmentation de la rente. Nos revenus avaient été multipliés par 15. Quant au 3e objectif, à savoir comment mettre cette dynamique au service du développement, là nous sommes bien obligés de dire que nous avons échoué. Et pour quelles raisons ? Un économiste vous l’expliquerait mieux que moi, mais ce que je peux vous dire, c’est que cet échec est imputable à plusieurs raisons.
La raison essentielle, selon vous ?
Nous n’avons, par exemple, pas été en mesure d’intéresser suffisamment le secteur privé. Il n’est pas possible de diversifier l’économie nationale en ne comptant que sur les seules sociétés nationales. C’est là un des aspects. L’autre aspect concerne la gestion. Est-ce que nous sommes véritablement capables de bien gérer nos affaires ? Il est vrai qu’il y a eu des changements, des modifications de régime, de nouvelles politiques, etc. Le fait est là : l’exportation de notre richesse en hydrocarbures — pétrole et gaz — représente toujours plus de la moitié de notre produit national brut (PNB). En Norvège, par exemple, cette part n’est que de 25%. Nous ne sommes toutefois pas les seuls dans cette situation. Les autres pays de l’Opep sont à peu près dans le même cas sauf, peut-être, les Emirats arabes unis. La moitié de la richesse produite dans l’année provient des hydrocarbures. C’est la preuve que notre économie n’est pas diversifiée. Nous restons toujours tributaires du cours du pétrole : si le cours du pétrole chute, c’est tout le pays qui risque de se trouver par terre. Quant aux recettes d’exportation des hydrocarbures, elles atteignent 95%, voire plus, du total des recettes ! Il est vrai que nous avons tout fait pour encourager le secteur hors hydrocarbures mais malgré toutes les mesures prises, nous continuons toujours de dépendre massivement des hydrocarbures. Autre élément, et non des moindres, est le taux de chômage, notamment celui des jeunes entre 15 et 24 ans. Les statistiques officielles, qui ne donnent que le chiffre de chômage global, sont loin de refléter la réalité cruelle du chômage de nos jeunes. Ce sont ces éléments qui font que nous restons une économie tributaire des hydrocarbures. C’est dans ce sens-là que je dis que nous avons échoué. Alors que nous avons gagné la bataille du contrôle, gagné celle de la rente que nous avons augmentée, nous avons perdu celle de la diversification de notre économie parce que nous n’avons pas été en mesure de recycler convenablement la rente pétrolière.
Le secteur de l’énergie dans le monde connaît actuellement de très grands bouleversements. En quoi ces bouleversements touchent-ils notre pays ? L’Algérie s’y est-elle préparée ? Si oui, de quelle manière ?
L’industrie énergétique mondiale connaît, en effet, un certain nombre de transformations fondamentales. Pour ce qui est de l’Algérie, s’il y a un fait sur lequel j’insisterai, c’est que notre production d’hydrocarbures est en train de baisser. Ceci intervient à un moment où la demande mondiale connaît un certain fléchissement, compte tenu de la situation économique et de la récession à travers le monde. En termes de consommation, celle des pays de l’OCDE, par exemple, qui représente plus de la moitié de la consommation mondiale, baisse depuis 2005. Lorsque vous regardez les prévisions à long terme, vous vous apercevez qu’aucune projection ne permet de penser que la consommation de l’Europe, des Etats-Unis ou du Japon va se relever. Il faut donc se préparer à une baisse de la demande pétrolière. Les pays riches se sont, en effet, organisés pour dépendre de moins en moins du pétrole…
Et qu’ont-ils fait pour s’y préparer ?
La consommation dans ces pays est en train de baisser essentiellement pour des raisons de substitution par les énergies renouvelables et par l’efficacité énergétique, autrement dit ces pays sont en train de créer la même richesse tout en consommant moins de pétrole. La très légère augmentation de la consommation à l’échelle mondiale est le fait de la consommation des pays asiatiques (3 à 4 % d’augmentation chaque année), notamment la Chine, l’Inde et d’autres pays de la région. Il est donc clair que la demande pétrolière à l’échelle mondiale ne va pas augmenter outre mesure. Au même moment, il y a d’énormes découvertes qui se font. L’on a pensé, pendant très longtemps, y compris chez nous, que le plus gros des découvertes avait été fait et qu’il ne restait éventuellement plus que des petits gisements à découvrir. Or, il y a eu des découvertes qui ont surpris les géologues. Le brésil, par exemple, a fait des découvertes considérables. Les progrès technologiques ont même permis d’aller très loin dans l’exploration et la recherche de nouvelles ressources, y compris dans l’Arctique. Ce sont les américains qui ont lancé l’exploitation des hydrocarbures de schistes. Chez nous, nous ne parlons que du shale gas alors qu’il s’agit de schistes contenant à la fois du pétrole et du gaz. Aux USA, ils sont en train de produire plus de pétrole et de gaz. Ils ont été, cette année, le pays qui a le plus augmenté sa production de pétrole brut alors qu’elle baissait depuis 15 ans. En ce qui concerne le gaz, l’on s’aperçoit que l’Afrique détient des réserves immenses. Du gaz a été découvert au Mozambique, au Kenya, en Tanzanie. Il y a ainsi de nombreuses découvertes qui voient le jour et pour la première fois, la fameuse certitude de certains géologues très connus qui affirmaient que l’on avait atteint le Peak-Oïl ou pic pétrolier, autrement dit, que la planète avait révélé tous ses secrets, ce mythe est en train de s’effriter. Tous s’accordent à dire aujourd’hui qu’il y a encore des découvertes à faire parce que la technologie nous permet aujourd’hui d’exploiter des régions vierges.
Mais en quoi ces découvertes vont-elles bouleverser la donne énergétique mondiale ?
Aujourd’hui, les USA ont trouvé tellement de shale gas qu’ils envisagent de l’exporter sous forme de gaz liquéfié ou GNL. Vous savez qu’en termes de GNL, nous avons été les pionniers. La première usine a été construite chez nous en 1964 et nous avons été, pendant très longtemps, le premier exportateur mondial. Aujourd’hui, dans l’ordre d’importance des exportateurs de GNL, il y a le Qatar, suivi par la Malaisie, l’Australie, le Nigeria, l’Indonésie… Nous n’arrivons qu’à la sixième place. Il y a quelques années, une bonne partie du GNL produit dans ces pays — notamment au Qatar — était vendue aux USA. C’était avant la révolution du shale gas. Depuis, les Etats-Unis ont installé une vingtaine de projets de liquéfaction destinés à l’exportation. En fait, il se dit qu’à l’horizon 2020-2025, les USA exporteraient 60 à 70 millions de tonnes de GNL, soit le double de nos exportations. Cette quantité considérable de gaz déversée sur les marchés européen et surtout asiatique va naturellement avoir un effet dépressif sur le prix du gaz. Il s’agit là d’un autre bouleversement important.
Et face à tous ces bouleversements, encore une fois, que fait notre pays ?
Je pense que l’Algérie s’y prépare, mais toute la question est de savoir si elle est bien consciente que ces changements vont se réaliser. Il y a quelques années, lorsque l’on parlait de révolution du gaz de schiste et que l’on voyait venir les premières données sur les quantités considérables de gaz produites aux USA, les exportateurs de gaz, pour qui cette nouvelle donne n’était pas la bienvenue, en l’occurrence la Russie, l’Algérie, le Qatar, déclaraient alors «que c’était de l’intox, que cela n’arriverait jamais !» Tout le problème est donc là : est-ce qu’on est conscient de ces changements ? Est-ce qu’on les prend au sérieux et est-ce qu’on s’y prépare sérieusement ? L’on parle chez nous de l’éventualité d’une production de gaz de schiste comme si on avait le choix de nous en passer. Nous sommes dans l’obligation d’y aller. Le potentiel algérien en gaz non-conventionnels est considérable, même si s’il faut se méfier des estimations du volume des ressources en place publiées çà et là. Les réserves récupérables dépendent de nombreux paramètres en cours d’évaluation tels que la qualité de la roche mère, le prix de revient du mètre cube produit et la technique de production utilisée. On peut cependant tabler, selon les données préliminaires connues à ce jour, sur des réserves récupérables équivalentes aux réserves conventionnelles restantes, soit de l’ordre de 2000 BCM (milliards de m3). Mais l’exploitation du gaz de schiste prendra du temps et nécessitera des moyens matériels, humains et financiers considérables. Au rythme actuel d’évolution de notre consommation nationale (30 BCM cette année, +6% l’an) nous ne disposerons pas, à moyen terme, de réserves suffisantes pour assurer la pleine utilisation de nos capacités d’exportation existantes ou en construction qui s’élèvent globalement à 85 BCM environ. Comme nous ne pouvons pas ralentir, outre mesure, la consommation nationale dans l’avenir immédiat, car la contribution attendue des énergies renouvelables prendra également du temps, il faudrait, soit lancer, sans tarder, le développement des gaz non-conventionnels, soit se préparer à réduire nos exportations. Mais, pouvons-nous réduire nos exportations de gaz naturel et, partant, nos recettes en devises, alors que notre production d’hydrocarbures liquides semble, elle aussi, avoir atteint son pic ?
Vous proposez dans votre intervention à cette conférence d’Alger (du 4 au 6 novembre) que le pays se tourne résolument vers les gaz de schiste et vous avez largement argumenté pour cette voie. Même si vous ne faites pas des gaz de schiste la panacée, vous le proposez tout en encourageant la poursuite de l’effort dans le conventionnel en nous engageant dans l’exploration des zones non encore explorées et sur celles déjà en production, et ce, en appliquant les techniques de récupération secondaire et tertiaire. Vous pensez que c’est là une voie vers laquelle le secteur énergétique algérien s’oriente ?
Au lendemain de l’indépendance, compte tenu des réserves importantes de gaz naturel dont nous disposions, de notre faible consommation interne et de notre grand besoin en devises, nous avions l’ambition de construire l’infrastructure nécessaire à l’exportation de notre gaz. Il se trouve qu’aujourd’hui nous avons une capacité d’exportation importante. Bientôt, lorsque Skikda et Arzew seront opérationnelles, soit dans un an, nous aurons une capacité annuelle d’exportation de 85 BCM, sans compter le projet Galsi. Cette capacité est là ; les tuyaux qui vont vers l’Italie et l’Espagne sont là. Aujourd’hui, Hassi R’mel est en train d’étouffer : les découvertes prennent du temps, et notre consommation interne est en train de grimper. Au vu de nos réserves largement entamées, il n’y aura donc pas suffisamment de gaz pour remplir les tuyaux ou alimenter les usines de liquéfaction. Bien entendu, nous ne pouvons pas sacrifier la consommation nationale et sommes obligés de répondre aux besoins grandissants du marché national qui reste une priorité. Il est vrai qu’avec le renouvelable on pourrait réduire la consommation domestique de gaz, l’électricité étant en grande partie produite aujourd’hui par le thermique gaz. Nous allons produire de l’électricité solaire mais cela va prendre du temps. Ainsi, réduire la consommation tout de suite n’est pas possible, cela prendra du temps, le renouvelable ne pouvant être prêt que dans une dizaine d’années.
Quelle est l’alternative alors ?
Nous ne pouvons pas nous permettre de sous-utiliser une infrastructure de transport pour laquelle des investissements considérables ont été consentis. Si on veut utiliser à pleins tubes ces investissements, nous sommes bien obligés de trouver plus de gaz. Il faut aller chercher du gaz conventionnel, il y en a, et pour ce faire, attirer les investisseurs étrangers comme la nouvelle loi pétrolière se propose de le faire. Si le conventionnel est insuffisant, il faut aller vers la production des gaz de schiste. Nous n’avons plus le choix. Si on ne le fait pas, il y aura, à terme, des conséquences désastreuses sur nos équilibres financiers.
Les gaz de schiste sont pourtant aujourd’hui, dans plusieurs pays, l’objet de controverses nombreuses venant, notamment, et pas seulement, des écologistes. Ces derniers, par exemple, trouvent qu’il est dangereux au plan écologique alors que d’autres soulignent le coût élevé de sa production ou encore que la recherche n’a pas encore livré tous les secrets inhérents à son exploitation.
Il ne faut pas oublier que le processus de développement d’une source d’énergie entraîne des conséquences néfastes pour l’environnement, quelles que soient ses formes. Mais il faut savoir aussi que l’industrie a atteint un tel niveau de développement qu’elle est capable aujourd’hui de gérer des accidents éventuels inhérents à l’exploitation des hydrocarbures. Le grand problème, qui se pose pour l’heure, est le coût des gaz de schiste produits chez nous. Aux USA, ce coût est bas aujourd’hui, mais il devrait doubler à terme.
Pourquoi des prix bas aux USA, alors que partout ailleurs, on soulève la question de la cherté d’exploitation des gaz de schiste ?
Aux USA, le sous-sol appartient essentiellement au privé, l’Etat n’étant propriétaire que des terrains fédéraux. C’est donc le privé qui perçoit la redevance. Les sociétés paient l’impôt sur le bénéfice mais le propriétaire reçoit son chèque-redevance tous les mois. Evidemment cette situation encourage la mise à disposition de ces terrains. Il y a, par ailleurs, des infrastructures d’évacuation tellement développées dans ce pays qu’il est relativement facile d’assurer des débouchés. Tous ces éléments jouent sur le coût et l’on arrive à des niveaux de l’ordre de 3 à 4 dollars par million de BTU, soit à peu près le 1/3 du prix auquel nous exportons notre gaz. Il faut aussi noter que la technologie des gaz de schiste est aujourd’hui essentiellement américaine. Il n’y a pas d’autres technologies développées ailleurs dans le monde. Toutefois, d’autres pays ont senti le besoin de s’y intéresser. Il en est ainsi de la Pologne, par exemple, qui dépend au plan énergétique de la Russie et paie un prix élevé pour son gaz, de l’Argentine et de la Chine également qui regardent ça de très près. Il est vrai que la France n’est pas enthousiaste ; elle peut se permettre de faire l’impasse. Pouvons-nous le faire alors que nous avons un besoin crucial de devises et que notre économie n’est pas diversifiée ?
La volonté de transition vers des sources diversifiées de production de l’électricité a conduit à l’élaboration d’un programme extrêmement ambitieux de Sonelgaz, consistant, selon son PDG, en une stratégie de mix énergétique de 40% de renouvelable. Même si ce pourcentage est fixé pour l’horizon 2030, ne pensez-vous pas que c’est une ambition difficile à atteindre, compte tenu des technologies dans le renouvelable qui ne sont pas encore maîtrisées et, partant, des coûts encore trop élevés et de la formation colossale qu’il faudrait mettre en place dès aujourd’hui pour la prise en charge de ce programme ?
Lorsque vous regardez le mix énergétique mondial aujourd’hui, le renouvelable — l’éolien, le solaire, l’hydraulique — ne représente que 10% environ. Le pétrole représente aujourd’hui 32%, puis vient le charbon avec 27%, malgré son caractère polluant, suivi par le gaz qui approche les 25%. Mais lorsque l’on regarde les projections à long terme, le renouvelable va compter pour près de 20% en 2030. Tout cela prend du temps. Il faut développer de nouvelles technologies et réduire les coûts. Cela ne se fait pas du jour au lendemain. Il y a toutefois beaucoup de progrès. L’exemple que je donne depuis quelque temps est celui de l’Allemagne qui a beaucoup fait en matière de développement de solaire et d’éolien. Pour la première fois dans l’histoire de ce pays, les Allemands ont été en mesure, pendant quelques heures l’été dernier, de couvrir, avec le renouvelable, l’ensemble de leur consommation électrique.
Pendant seulement quelques heures et certainement pas en pointe…
Oui, effectivement, pas en pointe, mais se sont là des progrès notables. Quant à l’Algérie, cela va prendre du temps. La technologie existe et les coûts sont en train de baisser. Il faudra toutefois faire comme l’ont fait d’autres pays, à savoir régler une série de questions en amont et instituer une nouvelle culture. Par exemple, le privé ne se lancera dans l’éolien ou le solaire que s’il est capable de vendre son électricité à un prix rémunérateur et non pas au prix moyen auquel le citoyen paie son électricité aujourd’hui, sachant que ce prix est fortement subventionné. Il faudra s’organiser pour que les plus démunis reçoivent la subvention de l’Etat, les autres étant en mesure de payer le prix coutant. Contrairement au gaz de schistes, le renouvelable crée des emplois un peu partout, et pas seulement dans les bassins pétroliers. C’est pourquoi, il faut encourager le citoyen, la communauté, le village à se lancer dans le renouvelable. C’est là toute une révolution et je crois que le gouvernement en est bien conscient.
Toujours dans le domaine du renouvelable, où en est-on dans le projet Desertec et comment s’y positionne notre pays ?
Le projet Desertec est une initiative essentiellement allemande, dans laquelle des sociétés d’électricité se sont impliquées. L’idée est que le soleil joue un rôle de plus en plus important dans la production de l’électricité et la région où l’ensoleillement est le plus fort est le Sahara. Nous avons, chez nous, un taux d’ensoleillement de 3000 heures/an. Les Allemands se sont dit qu’à partir du moment où une telle source existe, pourquoi ne pas créer le solaire à grande échelle dans les pays d’Afrique du Nord, d’où la création de Desertec. Dans ce projet, les Marocains sont bien avancés. Pour ce qui nous concerne, nous ne disons pas non, nous regardons. Nous sommes d’accord sur le principe qui consiste à développer le solaire à grande échelle à condition, bien entendu, qu’une grande partie reste chez nous même si Desertec s’engage dans une opération d’exportation à travers des réseaux intégrés. Notre idée est de produire une capacité de 22 000 MW, dont 10 000 seraient réservés à l’exportation. Aujourd’hui, ce projet est au stade de l’étude. Hier, à la conférence, nous avons appris que, de toute façon, il ne fallait pas compter sur une exportation d’électricité vers l’Europe avant 2025, le marché étant convenablement approvisionné jusque-là.
Sommes-nous suffisamment représentés dans ce projet pour faire entendre notre point de vue ?
Les Allemands savent très bien que nous sommes un élément indispensable à la réalisation de ce projet et savent également qu’au plan politique, les Algériens voudront avoir l’œil sur tout. D’ailleurs, le ministre de l’Energie a énoncé nos conditions : si nous devons produire 22 000 MW, il faudrait que l’essentiel des imputs, à savoir les panneaux solaires, les pylônes pour l’éolien, la silice que l’on a développée chez nous, soient intégrés dans le processus d’industrialisation du pays, ce que l’on n’a pas, jusqu’à présent, suffisamment fait avec l’exploitation de nos hydrocarbures conventionnels. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle le PDG de Sonelgaz annonce un taux d’intégration global de 30% en 2020 et 80% en 2030. Droit de préemption : «Il faut le maintenir.»
Des fusions-acquisitions dans le secteur de l’énergie sont devenues très courantes sur les places boursières alors que l’Algérie prévoit l’exercice du droit de préemption chaque fois qu’une entreprise souhaite céder ses actifs. Pensez-vous que notre pays doit maintenir ce cap ou adapter plutôt la loi lorsqu’il s’agit du secteur de l’énergie ?
Dans nos partenariats avec les sociétés étrangères, la société étrangère est, soit seule avec SH, soit également associée à d’autres sociétés. L’accord de départ stipule que, si demain, pour une raison ou pour une autre, la société en question veut vendre sa part, SH a un droit de préemption. Cela est tout à fait normal et cela existe partout dans le monde. Vous êtes chez moi, vous y travaillez. Si vous voulez vendre à une filiale, ce n’est pas un problème, cela reste dans la famille. Mais si vous voulez vendre à quelqu’un d’autre, je veux avoir un droit de préemption. Autrement dit, j’ai la possibilité de regarder par qui vous voulez être remplacé ; je peux refuser, par exemple, si je n’ai pas confiance en cet éventuel repreneur. Je peux m’y opposer si vous me ramenez «un canard boiteux» qui n’a pas la capacité financière pour répondre à ses obligations contractuelles. J’ai donc un droit de regard et, si cela me convient, je me porte moi-même acquéreur, au même prix. Ce droit de préemption existe partout, il faut le maintenir pour assurer la bonne réalisation de nos projets. Au demeurant, le projet de nouvelle loi pétrolière, actuellement en cours d’examen au Parlement, n’apporte, en l’espèce, rien de nouveau.
Pour finir, que pensez-vous, globalement, de ce nouveau projet de loi ?
A mon avis, il répond essentiellement à une préoccupation majeure, celle d’alléger la fiscalité pétrolière applicable à la production d’hydrocarbures dits non conventionnels en raison de leur coût d’exploitation relativement élevés et de l’évolution du marché pétrolier. Le projet reste cependant muet sur une autre préoccupation fondamentale, maintes fois exprimée par les opérateurs pétroliers étrangers, à savoir le long processus de décision d’Alnaft et de Sonatrach qui a considérablement retardé le développement de certains projets et donné lieu à de nombreux contentieux.
K. B.-A.
Quelques étapes de son parcours
Diplômé en géologie pétrolière de l’Université du Michigan (USA), Nordine Aït-Laoussine a été, dès 1964, un des acteurs importants du développement de l’industrie pétrolière en Algérie. D’abord, comme conseiller technique auprès de Belaïd Abdesselam, alors ministre de l’Industrie et de l’Energie, ensuite à Sonatrach en tant que vice-président exécutif chargé de la division hydrocarbures, puis vice-président exécutif chargé de la division commercialisation. Nordine Aït-Laoussine a fait partie de l’équipe chargée de la conception et de la mise en œuvre de la politique algérienne dans le domaine des hydrocarbures. Ministre de l’Energie dans le gouvernement de Sid Ahmed Ghozali, il a fait voter la loi sur les hydrocarbures de 1991 qui, en amendant la loi de 1986, a stimulé la participation des sociétés étrangères dans l’amont pétrolier. Nordine Aït-Laoussine est président de Nalcosa SA (Genève), société de conseils dans le domaine de l’énergie qu’il a créée en 1980. Il est membre de l’Oxford Energy Policy Club, du Geneva Petroleum Club, du Paris Energy Club, de l’Advisory Board du Groupe Energy Intelligence ainsi que de l’International Advisory Board de Dana Gas.