Noël Le Graët (pdt. de la Fédération française de football) : «Il faut organiser un Algérie-France à Alger, c’est même indispensable»

Noël Le Graët (pdt. de la Fédération française de football) : «Il faut organiser un  Algérie-France à Alger, c’est même indispensable»

Dans cette deuxième et dernière partie de l’interview que Noël Le Graët, président de la Fédération française de football, nous a accordée dans son bureau à Paris, il aborde la question des relations entre sa fédération et la FAF et, plus spécialement, entre lui et Mohamed Raouraoua, avec comme point d’orgue le match amical Algérie-France annoncé depuis plusieurs années, mais qui attend toujours d’être programmé.

Zinédine Zidane a exprimé sa volonté d’entamer une carrière d’entraîneur et il a même entamé sa formation pour obtenir ses diplômes. Le voyez-vous être un jour sélectionneur de France ?

Il est à Clairefontaine en ce moment, pour préparer ses diplômes. Je crois qu’il souhaite entraîner tout d’abord un club, pour acquérir une certaine expérience, mais il est clair qu’il fait partie des hommes qui pourront diriger l’Equipe de France dans le futur, mais pas pour demain néanmoins.

Ce jeudi (interview réalisée deux jours avant l’AG élective de la FAF, ndlr), aura lieu l’élection présidentielle à la Fédération algérienne de football. Mohamed Raouraoua est l’unique candidat à sa propre succession. Tout d’abord, quel genre de rapports entretenez-vous avec lui ?

Il vient souvent à la Fédération française de football regarder notre organisation. C’est un homme qui est un peu partout, puisqu’il a acquis une notoriété internationale. Il aime le football français, j’en suis convaincu. On a parlé de Clairefontaine, de nos statuts pros. Je le vois presque tous les trimestres et, quand je suis venu récemment à Alger, c’est lui qui m’a accueilli à l’aéroport.

Que pensez-vous de son travail à la FAF, à la CAF et au sein de la FIFA ?

C’est un personnage reconnu dans le bon sens du terme, bien évidemment. Il s’impose par ses connaissances. C’est un homme juste, il connaît bien le foot, mais il va au-delà. C’est un personnage international qui a fait de l’excellent boulot dans sa fédération.

Avez-vous discuté avec lui de la loi des Bahamas qu’il a pilotée et qui permet aux binationaux de pouvoir changer de nationalité sportive, avec la France comme principale victime ?

Quand on est à la tête d’une fédération, chacun voit les choses à sa façon. Après, la vie, c’est des compromis. Au foot, on parle le même langage et chacun travail ensuite pour ses intérêts. La politique devrait s’inspirer de ce sport collectif pour mieux se connaître.

Vous avez l’habitude de vous rencontrer assez souvent ?

Raouraoua est le président de fédération que j’ai rencontré le plus en 18 mois. On parle de beaucoup de sujets, notamment en ce qui concerne la formation des joueurs et des entraîneurs. On a d’excellents rapports et moi, personnellement, je reste très ouvert à ses propositions.

Justement, le point noir du football algérien demeure la formation. L’Algérie ne forme plus de bons joueurs comme par le passé et le fait de miser presque exclusivement sur les binationaux n’est pas une solution. Quel conseil donneriez-vous à cet effet à Raouraoua ?

Les Algériens aiment le football, les gens partent au stade, les joueurs sont doués techniquement et il faut, à mon avis, juste développer ça. Je ne suis pas du tout inquiet pour le football algérien. Il y a plein de jeunes qui ne demandent qu’à être perfectionnés, mais il ne faut pas rentrer dans un système trop rigide non plus. Vous avez un bon championnat, vos clubs s’organisent de mieux en mieux, les équipes de jeunes progressent continuellement. Le foot se développe chez vous.

Le fait que des entraîneurs français de renom viennent travailler en Algérie, à l’image de Roger Lemerre, Roland Courbis, Hubert Velud et, avant, Hervé Renard, constitue-t-il aussi une fierté pour le football français, selon vous ?

Que nos entraîneurs nationaux viennent travailler en Algérie, ce n’est pas vraiment une nouveauté. Toutefois, je reconnais qu’en ce moment, il y en a beaucoup. Quand on regarde cette liste, on voit des entraîneurs qui ont gagné pas mal de titres. C’est très bien pour le football algérien tout d’abord et j’espère que les clubs progressent avec eux.

La Fédération française serait-elle d’accord pour accueillir nos entraîneurs algériens afin qu’ils puissent acquérir de nouvelles connaissances en matière de formation notamment ?

J’ai proposé cette idée à Raouraoua justement. Après, on n’est pas maître de tout. Chacun a sa manière de travailler et de voir les choses. Notre centre Clairefontaine est ouvert à tous les entraîneurs algériens, et ils seront les bienvenus.

L’Algérie a entamé, il y a deux ans, le processus de professionnalisation des clubs. En votre qualité d’ancien président et de spécialiste en marketing sportif, quelles sont les conditions fondamentales à réunir pour la réussite du professionnalisme ?

Comme un peu partout, il ne faut pas dépenser plus qu’on gagne. Il faut bien analyser le potentiel économique du club. Vous avez de grandes villes et je pense qu’il y a des entreprises qui s’intéressent davantage au football. Il faut mixer les deux pour arriver à faire un bon projet. Le professionnalisme est récent chez vous. C’est difficile de l’appliquer, car il est compliqué de trouver les revenus financiers nécessaires. Il faut aller doucement car, même en Europe, en dehors des grands championnats, le professionnalisme des clubs est difficile à appliquer.

Pensez-vous que l’Algérie a les moyens de réussir cette expérience ?

Elle est obligée de réussir. Il n’y a pas d’autres alternatives.

Pour revenir à Raouraoua, avez-vous évoqué un jour avec lui le projet d’un match France-Algérie ou Algérie-France, surtout que le tournoi de Fustal auquel la sélection France 98 avait participé à Alger en 2010 s’était déroulé dans de très bonnes conditions ?

On a déjà fait un France-Algérie au Stade de France. Je suis prêt à aller jouer un match retour à Alger, dès qu’on aura trouvé une date de disponible.

Justement, on évoque ce match retour depuis deux ou trois ans, mais rien ne s’est officialisé pour autant. Pourquoi ?

Mon bureau est ouvert. Vous pouvez faire passer le message : l’Equipe de France sera prête d’ici 2016 à jouer un match à Alger. Malheureusement, on n’a que très peu de dates libres d’ici là, mais on tâchera de trouver une solution. Permettez-moi de rajouter une chose…

Oui, allez-y…

Il faut le faire ce match, de toutes les façons. Il est indispensable même. Je suis élu jusqu’en 2016 et ça fait partie de ma volonté durant mon mandat d’aller jouer à Alger.

Que pourrait un match Algérie-France apporter aux deux sélections et, surtout, aux deux pays ?

Tout d’abord, sur un plan purement footballistique, ça sera un match pas facile, mais intéressant pour les deux sélections. Un match que beaucoup de gens veulent voir, notamment les Algériens qui habitent notre pays. En tout cas, il est certain que ce match fera partie prochainement de nos objets de discussions, votre président et moi, et on tâchera de vite trouver une date qui permette l’organisation de ce match.

Un grand débat a lieu en Algérie au sujet de l’opportunité de convoquer, en sélection, des joueurs en manque de compétition au sein de leurs clubs. Karim Benzema, Jérémy Ménez et Mahmadou Sakho jouent peu avec leurs clubs respectifs. Pensez-vous qu’ils doivent quand même être convoqués ?

Je répondrai par une seule phrase : liberté au sélectionneur.

En termes de gestion et d’image, pensez-vous que la reprise du PSG par un groupe qatari et l’arrivée de stars mondiales dans le championnat de Ligue 1 constituent une bouffée d’oxygène et une contribution à soigner l’image du football français et de son championnat ?

Provisoirement, je dirai que oui. Après, l’histoire, je ne l’écris pas. Aujourd’hui, les stades sont complets, Paris revit, le Parc des Princes est presque tout le temps à guichets fermés, la presse n’a d’yeux que pour le PSG et on a du mal à parler des autres clubs. Paris est sans doute le seul club français à pouvoir rivaliser au niveau de l’Europe. Il est clair que tout ça est bénéfique pour le football français et lui apporte un peu plus de notoriété.

Pensez-vous que le PSG a les moyens de remporter la Ligue des champions cette année ?

A mon avis, c’est prématuré de dire que le PSG peut remporter la Ligue des champions. Ils sont en tête du championnat, encore en lice en Coupe d’Europe et en Coupe de France. On ne peut pas leur demander beaucoup plus.

Samedi dernier, à l’issue du match Reims-PSG (1-0), Leonardo, le directeur sportif de Paris, avait dit que son club a été bâti pour l’Europe, pas pour ce genre de match. N’est-ce pas manquer de respect au championnat de France et aux clubs qui la forment ?

A mon avis, c’est une maladresse d’après-match plus qu’autre chose. Vous savez, dans les commentaires d’après-match, je demande toujours de faire attention à ce qu’on dit. Quand un match se termine, il faut toujours prendre un peu de recul dans ses interventions. Je crois que s’il devait parler de nouveau, Leonardo ne redira pas la même chose… même si au fond, il le pense.

Comment voyez-vous l’avenir de l’Equipe de France ?

L’avenir, c’est déjà ce mois-ci. On reçoit la Géorgie le 22 mars, après tout de suite après, l’Espagne. On essayera de battre la Géorgie pour atteindre les barrages pour la qualif’ au Mondial-2014, ce qui est notre objectif de départ, mais on peut espérer se qualifier directement, si jamais on parvient à gagner les deux matches.

Michel Platini milite pour que le Mondial-2022, prévu au Qatar, se joue en hiver plutôt qu’en été, à cause de la chaleur suffocante qui règne en été au Qatar. Partagez-vous cette option ?

(Il sourit) Il sera peut-être le président de la FIFA d’ici là. Sinon, je pense qu’il a raison, vu que la chaleur est insupportable en été là-bas. En France, ça ne nous posera pas de problème, puisque durant l’hiver, nos pelouses sont dans un état catastrophique. Il pleut beaucoup et décaler le Mondial durant cette période ne va pas gêner notre championnat. Cela dit, il faut prévoir tout ça bien avant, pour que les championnats puissent s’adapter.

Vous avez été par le passé le président de Guingamp. Quel souvenir gardez-vous d’Abdelhafid Tasfaout qui a évolué sous vos ordres ?

Déjà, c’est un très bon ami. Il a été un excellent joueur. Il est très attaché à Guingamp. On est souvent en contact, lui et moi. C’est un homme remarquable et un gagneur. Il était préférable de l’avoir dans son équipe qu’en face. Récemment, il est venu pour les 100 ans du club et je peux vous dire qu’il s’est senti chez lui. Le club a vu passer de grands joueurs et je dirai qu’après Drogba et Malouda, Tasfaout est certainement le 3e plus grand joueur qu’a connu Guingamp dans son histoire.

Lorsque vous aviez eu Didier Drogba à Guingamp, avez-vous pris conscience de la formidable carrière qu’il allait avoir ?

Bien évidemment non, sinon il ne serait pas venu à Guingamp (Il rigole). Quand on l’avait pris, je me souviens, il avait démarré très moyennement et il peinait à s’imposer. Toutefois, il a réussi à faire, lors de sa deuxième année, Une phase retour phénoménale. Il mettait but sur but.

Peut-on dire que Drogba fut une grosse perte pour la France ?

Il était trop vieux, si je peux dire cela comme ça. Il s’est révélé à l’âge de 25 ans. Guingamp était le seul club à l’avoir accueilli et lui a permis de jouer en D1. Personne ne lui avait donné cette chance. D’ailleurs, seul Marseille s’est intéressé à lui lorsqu’on l’a vendu. Personne d’autre ne le voulait. Lui aussi, c’est un sacré bonhomme.

Vous avez dit tout à l’heure que vous vous êtes rendu récemment à Alger. Pour quel motif ?

Pour des raisons professionnelles et amicales, surtout.

Avez-vous suivi le parcours de l’Algérie durant la CAN ? Si oui, comment l’avez-vous trouvé ?

Oui, j’ai suivi un peu cette CAN. L’Algérie n’a pas fait un grand tournoi, malheureusement, mais je dois dire que vous avez bien joué. Votre équipe a manqué de réussite et on voit que le football ne tient pas à grand-chose. En tout cas, on sent qu’il se passe quelque chose de positif dans cette sélection algérienne.

Le fait que les trois sélections maghrébines engagées dans cette compétition se fassent éliminer au premier tour, c’est inquiétant non ?

C’est un peu du hasard. Je crois qu’il n’y a pas d’écart entre ceux qui ont été éliminés et ceux qui se sont qualifiés. Il faut bien analyser la situation, bien que je reste confiant pour le football maghrébin qui a toujours sorti de grands joueurs.

Président, on vous remercie de nous avoir accueilli et accordé cette interview et on vous laisse le soin de conclure…

Merci à vous aussi de m’avoir permis de m’exprimer au peuple algérien. Je salue d’ailleurs tous les Algériens. Je leur demande d’être à fond avec leur sélection et je reste persuadé que, d’ici peu, l’Algérie aura vraiment une très grosse sélection. Le joueur algérien a un immense potentiel et il faut juste prendre soin de lui.

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Camel Meriem, le joueur qui a tout perdu

A ses débuts avec le club de Sochaux, tout le monde voyait en Camel Meriem le grand joueur qui allait marquer son nom en lettres d’or dans l’histoire du football français. Certains n’hésitaient pas à le comparer à Zinédine Zidane (à l’instar des autres joueurs d’origine algérienne, tels Meghni et Nasri), assurant même qu’il pourrait le remplacer au poste de numéro 10 dans la sélection des Bleus sans trop de contraintes, vu son immense talent et sa technique hors pair. Malheureusement pour le joueur, les choses ne se sont pas passées comme il l’aurait souhaité et son aventure chez les Bleus fut, pour le moins que l’on puisse dire, très courte : seulement 3 sélections avec l’Equipe A et une carrière internationale échouée. Le joueur s’en est mordu les doigts, puisque le fait de porter le maillot de l’Equipe de France A l’avait automatiquement mis hors course pour intégrer les rangs des Verts, contrairement aux Meghni, Yebda et autres qui s’étaient arrêtés à la sélection Espoirs.

Meriem, qui évolue actuellement à l’OGC Nice, n’a pas eu la chance ni la carrière des Benzema et Nasri, ni même celle des Yebda, Abdoun et autres, qui, en choisissant au final l’Algérie, ont eu au moins la possibilité de prendre part à un Mondial et d’enrichir leur carrière internationale.

«Si les règlements changent, je jouerai pour l’Algérie»

Il y a deux ans et demi, Le Buteur est allé à la rencontre de Camel Meriem en Grèce, là ou il évoluait avec l’équipe de l’Aris Salonique. L’occasion de revenir avec lui sur son choix d’opter pour l’Equipe de France, et les conséquences que cela a engendrées. «C’est le destin qui a voulu que ça se passe ainsi pour moi» nous disait-il, tout d’abord, avant d’enchaîner : «J’ai fait toutes mes classes moi aussi avec les sélections de jeunes de France et il était logique que je sois appelé en équipe senior. Ajoutez à cela que, contrairement aux joueurs que vous venez de citer (Meghni, Yebda), moi je n’ai jamais été approché ni même contacté par un responsable de la Fédération algérienne de football. Donc, je peux dire que je n’avais pas vraiment le choix. Toutefois, si les règlements de la FIFA changent, bien sûr que j’opterai pour l’Algérie.» Tant pis !

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Comment l’Algérie a perdu Benzema et Nasri

Beaucoup l’ignorent sans doute, mais la FAF, par le biais de certains de ses proches et autres collaborateurs, avait tenté quelques approches, il y a quelques années, avec les deux joueurs franco-algériens qui évoluent actuellement au sein de l’Equipe de France, Karim Benzema et Samir Nasri. Des approchent qui ne furent malheureusement pas concluantes puisque les deux joueurs ont choisi de continuer avec la France. A cette époque, il faut le reconnaître, la sélection algérienne était loin d’être organisée comme elle l’est maintenant. L’EN était constamment confrontée aux problèmes et les résultats étaient loin d’être à la hauteur. Cela a évidemment fait éloigner davantage les deux joueurs.

Cavalli a rencontré le Madrilène à Lyon, mais n’a pas réussi à le convaincre

Alors sélectionneur des Verts, Jean-Michel Cavalli, qui connaît évidemment parfaitement bien le football français, avait programmé une rencontre avec Karim Benzema en 2006, alors que ce dernier commençait à percer avec l’équipe première de l’Olympique Lyonnais. Les deux hommes s’étaient rencontrés à l’hôtel Novotel Gerland, pas loin du stade Gerland, et avaient longuement discuté (le joueur était blessé à ce moment-là et il en avait pour trois mois d’indisponibilité). Cavalli avait tenté de convaincre le joueur de rallier les Verts, mais celui-ci a poliment décliné la proposition, expliquant au coach corse que, pour lui, jouer avec l’Equipe première de France est une logique et un acheminement normal pour sa carrière, lui qui a défendu les couleurs de la France dans ses différentes catégories de jeunes. Il avait confié à l’envoyé spécial du Buteur, présent au moment de la rencontre : «Je suis Algérien, je ne renie pas mes origines, mais je fais un choix sportif car je j’ambitionne de gagner la Coupe du monde et c’est avec la France que j’ai le plus de chances de le faire.»

Le Citizen aurait pu venir, mais…

Pour Samir Nasri, les choses se sont passées différemment. Selon nos informations, il n’y a pas eu de contact direct entre le joueur et la FAF, mais des personnes proches de la fédération ont tenté de sonder le joueur à une certaine époque (en 2005) pour connaître son avis. Comme pour Benzema, la situation que traversait notre sélection nationale en ce temps-là et le désordre qui y régnait n’avaient pas vraiment encouragé l’actuel Citizen à venir représenter le pays de ses origines. Toutefois, le joueur n’a jamais caché son amour pour l’Algérie, lui qui est né et a grandi à Marseille dans un quartier peuplé d’immigrés algériens. On se souvient qu’avant le Mondial-2010 et même avant la CAN-2013, Nasri avait exprimé publiquement son soutien aux Verts.