L’horreur au fond des puits.
Dans le petit village nigérian de Kuru Karama, non loin de la ville de Jos dévastée par des affrontements inter ethniques et religieux, on remonte des dizaines de corps des puits. Le village de maisons en terre n’est plus qu’un champ de ruines et de sanglots.
Entourés d’une nuée de poules et de chèvres, des volontaires d’une association de secours musulmane sortent péniblement des cadavres de ces puits d’eau potable. Des victimes des journées de folie meurtrière qui ont secoué Jos, la capitale de l’Etat central du Plateau, et ses environs.
« Nous avons jusque-là remonté 62 corps, mais il y en a encore beaucoup et je pense qu’il va falloir combler ces puits avec du sable car les corps sont en décomposition », déclare à l’AFP Ibrahim Tanimu, le responsable d’une organisation de secours islamique.
Ses hommes entassent les corps dans des petits camions. « On les ramène à Jos pour les enterrer », dit-il.
Les impacts de balles et de profondes entailles de machettes sont visibles. Aucun bilan officiel des affrontements qui ont embrasé Jos et ses environs pendant quatre longs jours depuis dimanche dernier, n’a encore été publié, mais selon le Comité international de la Croix-Rouge (CICR), au moins 160 personnes ont été tuées et 18.000 déplacées.
En quelques heures Kuru Karama, un gros bourg agricole de 3.000 personnes à 30 km au sud de Jos, est devenu un village fantôme. Tout a été détruit, incendié. Même la mosquée: toit en zinc éventré, murs ocre jaune zébrés de noir par les flammes.
Les deux hauts-parleurs pour l’appel à la prière gisent, démantelés, par terre.
Sur un mur blanc, un panneau écrit à la main témoigne qu’il y avait là un poste de police.
Partout des casseroles cabossées, des matelas noircis, des vêtement éparpillés, des sacs de grains éventrés, et des traînées de sang témoignent de la violence qui s’est abattue sur ce bourg agricole, majoritairement musulman mais avec une minorité chrétienne.
« J’ai perdu dix membres de ma famille, dont mon père et mon frère Mohammed. Il venait juste de rentrer il y a une semaine d’Ukraine où il travaillait pour l’ambassade du Nigeria ». La voix d’Adamu Musa se brise: on vient de ramener chez lui le corps de son père de 73 ans, remonté d’un puits.
« J’étais à Abuja (la capitale fédérale) quand mon frère m’a appelé pour me dire que le village était attaqué. Ca a coupé brusquement. Je pense que c’est alors qu’il a été tué », raconte Musa, un chauffeur de bus, le corps secoué de sanglots.
Dans les ruines d’une échoppe, un chaton noir miaule. « Je ne peux pas le laisser là ». Hassan, un volontaire venu d’Abuja, emporte l’animal terrorisé en le caressant.
« On ne peut pas encore dire combien de morts », dit à l’AFP le chef du village martyr, Umar Baza. Pour lui, les tueurs sont évidemment des chrétiens aidés par la police locale. « Quand on a appris ce qui se passait à Jos, j’ai réuni les chefs des deux communautés. Mais quelques heures plus tard, des jeunes chrétiens ont déferlé avec des fusils et des machettes. On a vite été débordés, raconte le maire.
Sur la route de Jos, le convoi de 25 voitures et camionnettes, escorté par un blindé de l’armée, s’arrête. Encore cinq corps à ramasser dans un canal d’irrigation non loin du village.
A 300 mètres des puits de la mort, des villageois chrétiens regardent depuis chez eux les volontaires empiler les corps de ceux qui furent leurs voisins.
AFP