Tous les grands maux du Nigeria seront abordés à la conférence nationale qui débutera aujourd’hui à Abuja, plus que jamais soucieuse de trancher dans le vif les questions d’intérêt national.
La conférence, regroupant près de 492 délégués de groupes ethniques, religieux et linguistiques du Nigeria, toutes les questions seront sur la table : Boko Haram, la corruption endémique, notamment dans le secteur pétrolier, la lutte contre la pauvreté. Dans le prolongement de la première conférence, tenue au Bénin en 1990 et dédiée alors à la transition démocratique, la rencontre d’Abuja se consacrera à la relance du processus du dialogue fragilisé par le sérieux revers subi, durant la période allant de 1994 à 1995, par le régime du général Sani Abacha.
Toutes les décisions prises doivent nécessairement avoir l’aval du Parlement. Dans le fond, à l’exception notable de « l’indivisibilité », tout y passe. La ligne rouge a été solidement fixée par la présidence, attestant que « l’unité du Nigeria n’est pas négociable ». Dans le premier pays producteur de pétrole et désormais première puissance d’Afrique (28e au rang mondial), raflant cette année la mise à l’Afrique du Sud, il est admis que la bombe ethnique et confessionnelle ne peut être désamorcée que par la lutte contre les disparités régionales, la corruption sévissant dans les secteurs-clés de l’économie, les inégalités sociales et le développement des infrastructures.
Le « pont de l’espoir », devant relier les Etats les plus peuplés du sud-est et du sud-ouest, au-dessus du fleuve Niger, a été exhumé pour donner plus d’épaisseur à la stratégie de concorde nationale. C’est un projet qui tient particulièrement à cœur pour l’ethnie Ibo, tentée il y a quarante ans par la sécession et frustrée par le retard pris par sa réalisation. Par-delà les aspects électoralistes attribués au probable candidat à l’élection présidentielle de 2015 par le président en exercice, Goodluck Jonathan, le pont de la Concorde a valeur d’exemple concernant la volonté d’Abuja de fermer la parenthèse de la discrimination des Etats du Sud, longtemps « déclassés » et frappés du syndrome du Biafra.
En marche, la « stratégie d’infrastructures au niveau national » conçue comme la pierre angulaire du processus démocratique fondé, pour ses partisans, sur un dialogue sans exclusive. La vox populi est majoritairement acquise : 87% selon les résultats de la dernière enquête hebdomadaire publiée par Noipolls LTD, basée à Abuja. Ces « 87% » sont convaincus que cette conférence apportera progrès et développement (27%), consacrera l’unité (21%) et consolidera la paix (19%). Les enjeux de la conférence restent, toutefois, tributaires du défi de plus en plus en pesant de Boko Haram, multipliant, depuis 2009, les attaques dans la région du nord-est et suscitant des inquiétudes sur l’efficience de l’armée et sa capacité à juguler le terrorisme au Nigeria.
Pour la seule année 2014, l’organisation de défense des droits de l’Homme, Human Rights Watch a estimé, vendredi dernier, que Boko Haram avait mené 40 opérations qui ont fait 700 victimes. Dans sa campagne de terreur, ciblant même les établissements scolaires attaqués quatre fois en moins d’un an, l’assaut lancé dans l’Etat de Yobe, placé pourtant en état d’urgence en mai 2013 au même titre que les Etats de Borno et d’Adamawa, et la prise de la caserne de Maiduguri, située au cœur du fief historique du groupe terroriste, renseignent sur la gravité de la menace sécuritaire.
Dans l’Etat de Kaduna (centre), la violence communautaire a repris férocement à la veille de la conférence. Une quarantaine d’assaillants ont commis un carnage dans trois villages, dont Chenshyi (50 morts) a été le plus durement touché. Le bilan est effarant : au moins 100 morts, selon le député Yakubu Bitiyong. la conférence stoppera-t-elle la dérive sanglante confessionnelle et communautaire ?
Larbi Chaabouni