Les Algériens ont-ils désappris à vivre en hiver ? Au regard de ce qu’on a constaté de visu hier, on est enclin à répondre par l’affirmative. Une journée de fortes précipitations a des conséquences coûteuses sur la vie économique et sociale du pays.
Là où il a neigé comme sur les hauteurs de la capitale, il y avait de la peine à trouver des bras pour dégager les routes bloquées. En prenant la direction de Bouzaréah qui surplombe Bab el-Oued à 400 mètres d’altitude, vous remarquerez que les deux côtés de la route sont occupés par des escouades de voitures immobilisées sous un manteau blanc. Ce qui indique que la plupart des habitants ont préféré rester chez eux. La chute de neige et les informations faisant état du blocage des voies de circulation ont suffi donc à créer une situation exceptionnelle et inhabituelle. Mais d’aucuns s’interrogent sur la part de la nature dans ce qui nous arrive. Pour Ahmed, 55 ans
« Bouzaréah, quand bien même elle pourrait être comptée à la campagne algéroise, n’en appartient pas moins à la ville d’Alger. Vous savez, aujourd’hui même à la radio, j’ai entendu un responsable affirmer que depuis 1954, on n’a jamais eu de précipitations comme celles de cette année. Ils oublient donc qu’en 2001, des centaines de personnes avaient péri. C’est la preuve, que la catastrophe de Bab-El-Oued est la résultante de la négligence de l’homme, plus précisément de la négligence des gestionnaires». Et d’ajouter « pourquoi aujourd’hui, rien de pareil ne se produit alors que nous avons de la neige et de la pluie.» Pour notre interlocuteur, les quantités de pluie qui sont tombées sont autrement plus importantes que celles de 2001. «C’est parce que explique-il depuis, les autorités ont mis en place des avaloirs et ont débloqué le système d’évacuation de l’eau».
Perturbations à l’école et à l’université
Bouzaréah dégage quand même de la beauté, son manteau blanc la fait passer pour un site européen. Les sapins blanchis par la neige renforcent cette impression. A midi, l’école primaire Ahmed-Bâazizi libère ses élèves. La cour est revêtue complètement de blanc. Les parents, venus récupérer leurs petits, se sont agglutinés devant l’entrée de l’établissement sous un déploiement impressionnant de parapluies blanchis, mais les responsables de l’école ont décrété l’annulation des cours de l’après-midi. « Nous avons pris cette décision par mesure de sécurité, un enfant peut glisser, et on ne sait ce qui peut arriver en fin de journée», nous explique un enseignant. Les adultes repartent rassurés et soulagés de ne plus devoir revenir.
«Si la neige persiste jusqu’à demain matin (aujourd’hui, NDLR) on sera amené à annuler les cours», prévient un surveillant. Du côté des étudiants de l’université Alger 2, implantée à Bouzaréah, il règne un air de débandade. N’était la neige, le parvis du campus aurait baigné sous une flaque d’eau et de boue. Il est à peu près midi. On accède à l’université en traversant un terrain enneigé et boueux. Il faut être chaussé de bottes pour se tirer d’affaires. Les premiers étudiants abordés ricanent : «Nous nous apprêtons à partir, nous avons exigé l’arrêt immédiat des cours car nous grelottons de froid, il n’y a pas de chauffage, et les fenêtres sont hors d’usage», lance un groupe d’étudiantes en première année d’allemand.. D’après d’autres étudiants, des examens sont annulés dans certaines filières. Mourad, étudiant en sciences sociales, le confirme «Je suis venu passer l’examen semestriel, mais tout a été annulé, la moitié des profs n’ont pu joindre l’université, on ne sait même pas ce qu’il faut faire, personne ne nous a communiqué la date du report ni de la reprise des cours», s’inquiète-t-il. Mais on n’a pas tardé à tomber sur le véritable condensé des «chikayate», des plaintes ou des complaintes à l’algérienne. Midi passée, devant la station-service Naftal de Chéraga, une méga queue s’est formée. Des centaines de personnes, dont la plupart sont venus la veille, font le pied de grue pour acquérir une ou deux bonbonnes de gaz butane, ces substituts modernes du bois et du charbon. Comme toutes les histoires de distribution (de logements ou de quoi que ce soit) les accusations tombent: «La moitié des stocks s’en va aux proches de Naftal», jure un citoyen. En tous les cas, en ce temps glacial, les esprits bouillonnent. «Il y a des voyous», tempête un autre. Il nous montre un groupe de «jeunes» qui résident à proximité de
la station-service.
«Ces gens se droguent, je les connais un par un, ils viennent tôt le matin s’approvisionner en gaz butane pour le revendre ensuite sur place à 1.000 DA la bonbonne». «Il faut l’intervention de la gendarmerie, mais celle-ci se fait discrète, nous on ne peut pas remuer le petit doigt car nous risquons notre peau, ces gens-là sont des voyous», insiste un sexagénaire. Il y a même des femmes dans la foule. Quelqu’un nous prend à partie : «Il y a de la triche, des gens viennent accompagnés de dames pour être servis les premiers, on les sert alors qu’ils n’ont pas attendu sous le prétexte qu’ils sont en famille». Un brouhaha soudain se fait entendre, les ouvriers viennent de terminer le déchargement des bonbonnes ramenées sur un camion semi-remorque. Nous avons déguerpi sans voir ce qui allait se passer afin d’avoir le temps d’écrire ce papier. Dans un ultime effort, nous nous sommes rapprochés du responsable de la station-service pour avoir ses impressions. Mais il s’est refusé à tout commentaire prétextant qu’il n’a pas d’autorisation de sa tutelle pour s’exprimer. Dommage pour ce responsable qui ne peut défendre l’image de son entreprise.
Par : LARBI GRAÏNE