Nazim Zouiouèche, ancien PDG de Sonatrach, spécialiste pétrolier “L’Algérie n’est pas en train de renouveler ses réserves”

Nazim Zouiouèche, ancien PDG de Sonatrach, spécialiste pétrolier “L’Algérie n’est pas en train de renouveler ses réserves”

Cet expert tente de remettre les pendules à l’heure en soulignant que le mot réserves signifie des quantités d’hydrocarbures pouvant être produites techniquement à des conditions économiques exploitables, de surcroît récupérables. Il suggère toute une série d’actions pour augmenter rapidement les richesses pétrolières et gazières du pays, face à une tendance de baisse de la production d’hydrocarbures.

Liberté : Pensez-vous que l’Algérie est en train de renouveler ses réserves de pétrole et de gaz ?

Nazim Zouiouèche : En l’absence de chiffres officiels et crédibles et compte tenu du fait que l’on a annoncé une chute de la production de gaz et de pétrole pour les années 2011, 2012 et 2013 et qu’il n’y a pas de nouvelles découvertes significatives, il ne semble pas a priori que le renouvellement des réserves s’effectuent comme il se doit, c’est-à-dire remplacer les quantités produites par des réserves  nouvelles.

L’Algérie a enregistré 30 découvertes en 2013 correspondant à des réserves de 550 millions de TEP. Comment interprétez-vous ce résultat ?

LG Algérie

On ne peut qualifier de découvertes que la présence dans le sous-sol de quantités d’hydrocarbures pouvant être produites techniquement et à des conditions économiques acceptables ; le reste ne constitue que des indices positifs, certes intéressants pour la connaissance du sous-sol, mais insuffisants pour pour être mis en production pour une durée suffisamment longue. L’annonce dans la presse indiquait “30 découvertes en 2013 totalisant des réserves de 550 millions de TEP en place”. Le terme réserve est impropre ; on doit dire une quantité de 550 millions de TEP en place car dès que l’on parle de réserves, on sous-entend des quantités récupérables. Même pour avancer un chiffre de 550 millions de TEP en place, il faut réaliser un travail d’études assez approfondi et le forage d’au moins 2 puits supplémentaires ; on ne peut se prononcer avec autant de certitudes après le forage d’un seul puits par structure. Or, nous parlons de 30 structures mises à jour en une seule année (2013).

Il est bien difficile de penser que les travaux nécessaires et les forages nécessaires ont été réalisés sur ces 30 structures en une seule année, permettant d’avancer un tel chiffre avec autant de certitude. Tout cela nous porte à croire qu’il y a plus d’effet d’annonces que de réalité. Depuis l’an 2000, de nombreuses “découvertes” ont été annoncées chaque année ; mais si l’on regarde de plus près, presque toutes les mises en production conséquentes concernaient des découvertes de la décennie 90 (El-Merk bloc 208, Qoubba Ourhoud).

Les gisements importants découverts depuis 2000 se situent dans le Sud-Ouest ; ce sont 3 gisements de gaz découverts en partenariat en 2005-2006 et qui attendent toujours leur mise en production qui n’est pas prévu avant 2015-2016 ; c’est un peu trop long. Le TRI (taux de rendement sur investissements) d’un projet diminue si l’écart entre la découverte et la mise en production s’allonge. Il semble que le paramètre “coûts” ne soit plus considéré comme un élément essentiel, peut-être à cause des prix élevés des hydrocarbures sur le marché international depuis 2005/ 2006. Il faut quand même remarquer que l’équation centrale dans le secteur hydrocarbures  est la différence entre le prix de vente (fixé internationalement et sur lequel nous n’avons que peu d’incidences) et les coûts ; le revenu net qui en résulte et qui revient à la nation s’améliore si les coûts diminuent (coûts sur lesquels nous pouvons avoir une grande incidence).

Les autorités de l’énergie ont fixé un objectif d’exportation de 85 milliards de mètres cubes de gaz et une production de pétrole de 2 millions de barils par jour à atteindre dans 10 ans sur la base d’une réévaluation à la hausse des réserves. Comment commentez-vous cette nouvelle orientation ?

Il faut d’abord signaler que l’export annuel de gaz atteint jusqu’à présent n’a jamais dépassé 69 milliards de mètres cuybes ; alors que l’objectif de 85 milliards avait déjà été annoncé au cours des années 2000 (on avait même porté cet objectif à 120 milliards). Les besoins en gaz pour la génération électrique a atteint 35 milliards de mètres cubes en 2013 et la croissance de ces besoins est prévue à 7% l’an. Les capacités d’export existantes pourraient s’avérer insuffisantes si on raisonne sur un taux de fonctionnement de 85% de nos unités GNL (sauf à maintenir les anciennes unités GNL1 et 2  en fonctionnement bien qu’elles soient grosses consommatrices de gaz avec une autoconsommation de 15,6% nominal à 20% dans la réalité équivalente à 4 milliards de mètres cubes par an).

D’autre part, placer ces quantités sur le marché international peut s’avérer compliqué si l’on tient compte d’une concurrence importante, même au niveau de notre marché naturel, l’Europe du sud (on peut toujours faire du “dumping” sur les prix de vente, mais est-ce vraiment recommandé ?). Pour toutes ces raisons, en 10 ans, faire face à cet objectif d’export et satisfaire les besoins du marché national (prioritaire) paraît difficile, voire impossible.

Bien sûr, on peut toujours objecter que nous allons réaliser d’importantes découvertes de gaz que nous allons rapidement mettre en production et que le gaz de schiste, avec toutes ses incertitudes techniques et environnementales ainsi que ses coûts exorbitants, nous donneront une production appréciable.

On peut être optimiste et volontariste mais il y a des limites à tout, surtout si l’on se réfère à nos performances de la décennie passée. La réévaluation des réserves touche surtout les gisements d’huile ; les gisements de gaz sont mis en production en sollicitant d’emblée toutes les réserves.

Par contre les gisements de gaz humide doivent être soumis au cyclage, qui réduit la quantité de gaz à la vente, pour améliorer la récupération des condensats et freiner les envahissements par les eaux. Le taux de récupération des gisements d’huile où l’on appliquera des méthodes de récupération assistée (quand cela est possible) s’améliorera à coup sûr. Ces sont des efforts importants qui demandent compétences et moyens financiers. Hassi Messaoud à lui seul peut apporter un gain important de production et une importante réévaluation des réserves (un pour cent d’amélioration de la récupération signifie une réserve nouvelle de 500 millions de barils). La mise en service récente d’une partie du réaménagement du réseau de collectes a déjà apporté un gain.

Il faut poursuivre cet effort et ne pas attendre encore 15 ans pour achever les étapes suivantes de ce revamping du système de collecte (il pourrait être trop tard).

À Hassi Messaoud, la récupération des gaz torchés, la refonte du réseau de collectes, un monitoring précis de la récupération assistée, une campagne soutenue de réalisation de forages horizontaux dans les horizons adéquats, donneraient certainement un résultat appréciable. Cependant, en une décennie, faire un saut quantitatif de 70% paraît une performance très difficile à atteindre, surtout si l’on se réfère aux performances de ces quinze dernières années.

Que préconisez-vous pour augmenter les réserves d’hydrocarbures conventionnelles ?

Quelques idées que je vous livre :

– Screening complet de nos gisements en utilisant la technologie la plus récente, pour avoir une image la plus précise de ces gisements ;

– Systématisation de la récupération assistée à condition d’obtenir des coûts supportables permettant une rentabilité ;

– Une exploration plus audacieuse et plus soutenue, basée sur le nombre de forages mais aussi et surtout sur des études adéquates ;

– Le respect des règles de cyclage pour les gisements de gaz humide ;

– La récupération de tous les gaz torchés comme le prévoit la loi ;

– Maintenance efficace des installations ;

– Renforcement des sociétés de service du secteur qui peuvent aussi jouer un rôle important dans l’industrialisation du pays ;

– Respect des règles de sécurité et d’environnement ;

– Formation tous azimuts pour que la ressource humaine compétente ne cesse de s’accroître, en sollicitant le plus largement possible notre jeunesse.

K. R