«Pour avoir une fenêtre sur le monde, il faut qu’il y ait d’abord une maison ici…» dira la ministre de la Culture arguant sa volonté de faire reconnaître le statut de l’artiste d’abord en Algérie.
Comme prévu, la rencontre entre la ministre de la Culture et les artistes des arts visuels s’est bien déroulée dimanche dernier à la bibliothèque d’El Hamma (seul bémol l’adresse du lieu qui a été changé en dernier ressort, poussant certains artistes mal informés à se diriger au Palais de la culture).
Une cinquantaine de professionnels entre plasticiens, bédéistes, designers et enseignants des beaux-arts ont pris part à une rencontre, mais avec un nombre plutôt assez important de l’ancienne génération et des cadres du ministère. Quoi qu’il en soit, beaucoup de doléances et de revendications ont été émises de part et d’autre et quelques promesses d’ores et déjà retenues par la ministre de la Culture comme l’installation d’une biennale d’art à Alger qui sera institutionnalisée.
Il y a eu certes quelques complaintes, une once de misérabilisme a pointé son nez, un semblant de sentiment de nosologie a peut-être un peu plané, mais l’essentiel a été posé clairement par les artistes qui avaient gros sur le coeur, mais qui étaient résolument prêts à défendre leur «passion» sereinement.
Pour la ministre de la Culture qui a patiemment et attentivement retenu et assigné les propositions de chacun, répliquera à un des artistes que pour placer des artistes au plan international et l’envoyer certes à l’étranger, il faut qu’il soit d’abord reconnu chez lui. «Pour avoir une fenêtre sur le monde, il faut qu’il y ait d’abord une maison ici..» et d’ajouter pragmatique: «Quand je lis les rapports, je constate qu’il existe des choses, des fonds d’aide mais il faut qu’on soit opérationnel par l’acte créatif et ce à travers des mécanismes qu’on se doit de mettre en place rapidement pour donner de la visibilité aux acteurs de cette corporation…
Quels sont donc les mesures à prendre? Quels sont les procédures? Il y a des écoles régionales d’art, faut-il les réformer? Enseigner les arts depuis le primaire? Et assurer des diplômes reconnus? Qu’en est-il des galeries? Peut être faudra-t-il mettre alors une direction pour mettre en place ce programme?» Parmi les points soulevés ici et là lors de cette rencontre, on notera notamment le manque de galeries et d’acquisition d’art par les musées et autres entreprises étatiques, l’absence de patrimoine artistique et la façon de le défendre, y compris de l’industrie de l’art et des mécènes ainsi que la rareté du public qui est peut être à rééduquer, tout en appelant à aiguiser son regard à l’art.
Ce qui est en soi une culture de savoir-faire, rare chez nous. L’artiste Karim Sergoua pour sa part, dénoncera le manque flagrant de soutien de l’Etat, évoquant même le terme de «sabotage» de certaines personnes et l’absence d’écoute à l’adresse des artistes, nonobstant le manque de transparence dans les appels d’offres qui sont en fait inexistants, sans parler des lieux de diffusion de l’art et de suivi, excepté lors des avènements ponctuels comme, 2003 «l’année de l’Algérie en France», ou du Panaf de 2009.
«On aurait aimé qu’on fasse appel à nous-mêmes bénévolement..(..) j’étais cette année d’ailleurs commissaire bénévole de la Biennale d’art contemporain d’Oran, une manifestation qui a réuni plusieurs artistes étrangers et des oeuvres de qualité et aucune présence officielle, ni le maire ni le wali n’ont daigné venir. Le maire nous a même retiré une galerie la veille du lancement de l’événement!…»
Karim Sergoua regretta aussi le manque d’espaces de création et de résidences pour les artistes tout en émettant des reserves sur Dar Abdelatif. Pour sa part, le jeune designer et enseignant à l’Ecole des beaux-arts d’Alger, Mourad Bouzar soulignera l’incertitude des débouchés une fois sorti de école. Il relèvera le manque de formation continue des enseignants et des étudiants et la nécessité de revoir le programme. Point important sur lequel il a tenu à appuyer est la nécessité de travailler avec le ministère de l’Education pour qu’il y ait un bac artistique et s’aligner sur le LMD (licence-master-doctorat) et permettre aux étudiants des écoles régionales de pouvoir s’inscrire à l’Ecole supérieure des beaux-arts d’Alger et d’avoir des diplômes reconnus.
L’artiste Amel Debouzze qui se fera porte-parole des artistes algériens évoluant à l’étranger plaidera, pour sa part, pour la circulation des oeuvres de ces artistes qui voudraient exposer ici ou ailleurs.
M.Taoussar, ex-directeur de l’Onda fera ce triste constat: les artistes des arts visuels sont ceux qui évoluent dans des conditions les plus précaires. Or, il existe, selon lui, un droit de suite des revenus qui pourrait aider à la promotion de ces artistes. Pour le jeune artiste Mehdi Djelil, il existe malgré tout «des jeunes qui travaillent, montent des expos et essayent de construire des choses avec peu de moyens en apportant de nouvelles images»… Plus virulente, la designer Nabila Kalache dénoncera surtout «le manque d’environnement» propice à même de faciliter la tâche aux artiste et les opportunités continues offertes aux artistes.
«La formation au niveau de l’Esba est dépassé aujourd’hui… il y a aussi des gens qui ne sont pas à leur poste. Ça serait bien que les choses avancent…»
Evoquant la nécessité d’accroître le nombre de galeries d’art, Nadia Cherabi-Labidi fera remarquer que grâce à l’Ansej, un accompagnement financier sera accordé par l’Etat. «On a commencé à établir une liste des métiers qui peuvent entrer dans ce cadre..
Aussi, le wali d’Alger a promis de transformer une partie des voûtes de la place des Martyrs d’Alger en un espace d’art et on est prêts à prospecter davantage et trouver d’autres lieux et les restaurer pour ce faire notamment dans le reste des wilayas du pays.» Alors que Amina Menia a dénoncé le manque de souplesse administrative au niveau du ministère de la Culture, Nadia Cherabi Labidi s’est engagée à ce que chaque courrier soit dorénavant récipiendaire d’une réponse et que les artistes soient reçus même en dehors des jours réglementaires.
M.Abdelkader Ben Daâmache responsable du Conseil des arts et des lettres installé depuis 2012, annoncera qu’une demande de plus de 550 cartes d’artistes été déposée et qu’un décret sera publié d’ici la fin du Ramadhan en ce sens, suivra un autre relatif «aux relations de travail». Pour l’artiste Yamo il ne se fait aucun doute qu’il faut multiplier les événements artistiques mais à petites échelles avant de voir grand, car souvent, c’est «le vide qui prévaut».
Aussi, la ministre de la culture après avoir entendu et enregistré toutes ces doléances, a émis le souhait d’établir une première liste de noms qui composerait le comité préparatoire chargé de s ‘occuper des questions qui seront abordées lors des assises de septembre, avec espérons-le, plus de monde, de la corporation artistique et des arts visuels. Car pour elle, rien ne peut se faire sans l’accord des artistes et leur approbation a-t-elle conclu. Notons que la prochaine rencontre concerna le 7e art et aura lieu ce jeudi 17 juillet.