Nacer Mehal «Si on veut changer la télé, il faut mettre le prix»

Nacer Mehal «Si on veut changer la télé, il faut mettre le prix»
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Dans cet entretien, le ministre de la Communication, Nacer Mehal, s’exprime sur la révision du code de l’information, de la situation des journalistes algériens et des projets en gestation dans le domaine de la presse. La mission s’annonce ardue et nécessite l’implication de tous les intervenants, a-t-il souligné. Mais, d’ores et déjà, les premières réformes sont entreprises, à l’instar de la dépénalisation du délit de presse, de la création de nouvelles chaînes thématiques et de la grille nationale des salaires des journalistes.

Le Temps d’Algérie : L’Algérie célèbre le 3 mai la Journée internationale de la liberté d’expression. A la veille de cet évènement, quel bilan faites-vous de l’expérience de la presse algérienne, notamment sur le plan de la notoriété et du professionnalisme ?

Nacer Mehal :  » Le bilan des vingt années d’expérience de notre presse recèle comme toujours en la circonstance du bon et du mauvais. Etant par caractère dans l’optimisme, je pense que les acquis sont plus importants que les imperfections. Il revient à la profession de mieux s’organiser et de nous aider surtout à rendre plus complet et plus opérationnel le futur Code de l’information pour empêcher que le journalisme ne soit gangréné par la fatalité du trabendisme.Et la voie royale pour atteindre cet objectif, c’est d’insister toujours et toujours sur le professionnalisme.

Des journalistes algériens ont lancé une  » initiative pour la dignité de la presse  » en soumettant aux autorités publiques une plateforme de plusieurs revendications. Quel est votre avis sur cette initiative ? Comment comptez-vous contribuer à la mise en œuvre de cette plateforme de revendications ?

 » J’ai eu l’occasion de recevoir à leur demande les représentants de cette initiative et j’estime être de mon premier devoir d’écouter toutes les doléances et toutes les propositions. Je crois que ces représentants ont publiquement marqué de leur satisfaction à la suite de cette rencontre pour la prise en charge graduelle des préoccupations exprimées. Certaines avaient un fondement réel, d’autres moins. Mais le débat reste ouvert.

Le président de la République a annoncé lors de son dernier discours à la nation plusieurs chantiers dans le domaine de l’information, dont on peut citer, la dépénalisation du délit de presse, la création de nouvelles chaînes de télévision et la révision du code de l’information. Quelle analyse faites-vous de ces projets ? Quelle est leur portée, selon vous ? Quel sera votre rôle dans ces réformes ? Quand seront-elles entreprises ?

 » H est clair que toutes les annonces faites par le Président de la République tendent à accroître et approfondir la pratique démocratique dans le pays. Plus de vingt après le pluralisme politique et le pluralisme médiatique, quoi de plus naturel en effet que de soumettre à la discussion nombre de sujets ayant justement un rapport direct avec la praxis démocratique.

C’est dans ce contexte du reste que s’inscrivent les orientations présidentielles concernant en particulier la révision du Code de l’information, révision qui associera tous les intervenants dans la sphère médiatique (représentants des éditeurs, des journalistes, juristes, professionnels ect..)

Quant à la dépénalisation du délit de presse, le processus est déjà engagé et au moment où je vous réponds, le projet d’amendement des articles 144 bis et 146 est en voie de finalisation au niveau du Gouvernement avant d’être soumis aux deux Chambres du Parlement. Cette dépénalisation est bienvenue même si la mesure n’a jamais été appliquée. Elle procède, je pense, de la volonté du Président de lever toutes les pesanteurs qui auraient pu susciter des appréhensions dans la profession.

Il reste aux éditeurs et aux confrères de trouver la voie au balisage de la liberté pour consacrer les principes sacrés d’éthique et de déontologie. Enfin, concernant les chaînes thématiques annoncées, je vous avoue que le sujet n’a pas été encore abordé dans le détail. Il le sera évidemment dans les prochains jours. Maintenant quel sera mon rôle dans ces réformes ? Il sera celui d’un professionnel qui a la volonté d’accompagner ce chantier de réformes initié par le Président. J’ai d’ailleurs déjà entamé les consultations nécessaires avec les concernés.

Selon certains spécialistes, les autorités publiques devraient soutenir davantage la presse, notamment sur le plan de l’accès à l’information, de la formation et de l’amélioration des conditions d’impression et de distribution des journaux.

Y a-t-il des projets dans ce sens ?

 » J’ai soutenu et je soutiendrais toujours les démarches pour faciliter l’accès aux sources d’information parce que cela relève de la nature des relations entre les institutions et la presse.

Il y a actuellement sur la table du Gouvernement le dossier de la communication institutionnelle. J’ai bon espoir d’un changement profond dans un avenir très rapproché même si par instinct je me méfie de l’atavisme de certains. Pour la formation, il faut que vous sachiez que nous comptons mobiliser le fonds d’aide à la presse pour financer en relation avec

l’école supérieure de journalisme et avec des centres célèbres, des cycles de formation et de perfectionnement pour tous les journalistes et autres professionnels des médias.

Sans formation, il n’y a nul horizon de qualité. Les conditions d’impression quant à elles vont s’améliorer avec l’apport de la nouvelle imprimerie de Béchar en attendant l’étude de celle de Tamanrasset. Enfin pour la distribution, vous le savez fort bien, c’est un  » melting-pot  » qu’il faudra un jour prendre à bras le corps.

La création d’un conseil d’éthique et de déontologie est de plus en plus revendiquée par les professionnels. Comment pouvez-vous contribuer à ce projet ? Est-il nécessaire, selon vous, de mettre en place cette structure ?

 » Bien évidemment, il faudra remettre en place le conseil. Je soutiendrais à fond l’existence d’un tel conseil. Encore faut-il qu’il y ait, c’est en tout cas mon voeu, du concret pour que la profession soit au diapason de ses propres avancées et donner un sens au beau métier du journalisme. Sinon, on assistera impuissants à l’anéantissement des grandes valeurs de la profession et partant de la liberté d’expression.

Les journalistes et les travailleurs de la presse publique ont tenu des sit-in pour revendiquer une amélioration de leur situation socioprofessionnelle. Quelles sont les décisions prises en sens ?

Vous vous intéressez et c’est légitime aux revendications de la presse publique. Intéressez-vous aussi par souci d’équilibre au sort des journalistes de la presse privée. J’ai honte de savoir que des journaux paient 6000 DA des jeunes journalistes débutants. Même pas le SMNG….C’est vous dire que la presse publique respecte les normes et les lois du travail. J’ai proposé alors immédiatement que l’on planche ensemble sur une grille nationale des journalistes. On entame le chantier ces jours-ci.

Dans un monde bouleversé par le phénomène de la mondialisation et l’émergence de médias lourds redoutables, quelle est la stratégie de l’Algérie pour faire face à cette hégémonie des médias occidentaux et arabes ? Peut-on espérer un groupe public médiatique puissant avec une variété de chaînes pouvant éclairer l’opinion nationale et internationale, avec un regard algérien ?

Reprenez si vous le voulez bien les orientations du Président de la République après l’audition du mois de septembre et qui insistait sur l’ouverture des médias, singulièrement de la télévision, sur les préoccupations des citoyens et dans le même temps sur les grandes réalisations du pays.

J’ai relayé ce message fort à tous les intervenants pour enfin les reprendre dans l’interview le 28 Octobre dernier à l’émission  » Tahaoulate  » de la chaîne une de la radio nationale.J’ai affiché clairement la couleur pour dire que l’on doit s’ouvrir au débat, qu’il est préférable pour un algérien d’écouter un autre algérien parler de ses problèmes sur un canal algérien et pas une chaîne étrangère. Je n’ai pas changé d’un iota.

Et je crois que l’audimat de la télévision a gagné beaucoup depuis. Il y a certainement des choses à parfaire, à réorganiser. C’est le boulot qui s’accomplit actuellement pour faire de 2011 une année transitoire devant en principe aboutir dés le 1″ janvier 2012 à une autre configuration du spectre audiovisuel. Je souhaite que nous puissions gagner cette rude bataille de réappropriation de l’audimat. J’ai usé d’une boutade pour dire qu’il fallait réconcilier les algériens avec leur télé….Voilà en résumé

L’ouverture du champ audiovisuel est redoutée par certaines personnalités politiques algériennes. Quelle est votre appréciation de cette question ? Quels sont les enjeux pour la société algérienne ?

 » J’ai entendu comme vous beaucoup de débats et beaucoup de passions autour de cette question. Oui, nous avons besoin de voir quelles est la meilleure manière d’organiser le paysage audiovisuel. Tout au privé ? Mixte privé-public ? La question n’est pas encore tranchée mais déjà elle est posée.

Mais dés que la décision sera prise par l’autorité politique, nous avons pour mission de préparer le cadrage juridique pour éviter là aussi un certain trabendisme qui sévit dans la presse écrite. Mêmes dans les pays développés européens, le questionnement subsiste.

Dans notre cas, nous devrions anticiper par une autorité de régulation. Pourquoi pas la réhabilitation de l’ancien conseil national de l’audiovisuel ? Nous devrions aussi faire que le service public de la radio et de la télévision soit consolidé et fortement consolidé par une offre de programmes, un dynamisme, une variété de thèmes et de débats ect….

La production audiovisuelle algérienne est très demandée par les téléspectateurs. A titre d’exemple, durant le mois sacré de Ramadhan, les chaînes de télévision publiques enregistrent de forts audimats. Quels sont vos projets pour maintenir ce niveau et fidéliser les Algériens ? Y a-t-il une stratégie pour encourager la production nationale avec la mise en place d’une politique appropriée ?

 » La production télévisuelle – et je récuse cette approche -n’est pas faite pour le seul mois de Ramadhan. Je sais que pendant ce mois sacré la tranche favorable est de deux heures à remplir valablement pour le divertissement ou autre. Mais une télévision, c’est H 24 toute l’année. On doit donc imaginer et avant d’imaginer, on doit dégager des moyens. Si on veut changer la télé, il faut mettre le prix pour mobiliser les bons producteurs, les bons créateurs, les bons scénaristes, les bons réalisateurs, les bonnes actrices et les bons acteurs. On doit proscrire le bricolage et la médiocrité.

On doit barrer la route aux incompétents et booster les pros, les jeunes surtout qui disposent de tant de talents. Je sais que ce n’est chose simple mais notre mission est de créer avec les algériennes et les algériens une télé qui  » scotche  » ses téléspectateurs, qui offre une palette attrayante et ouverte sur son monde.

F. B.