« Apolitisme ». Le reproche récurrent fait au réseau Nabni n’est plus de mise. La question, éminemment politique, de la gouvernance est au cœur du rapport intitulé « Cinquantenaire de l’indépendance : enseignements et vision pour l’Algérie de 2020 », présenté samedi à Alger. « 50 chantiers de rupture » sont proposés pour faire changer le « système ».
« Changer les institutions et vous aurez un autre visage de l’Algérie ! ». Zoubir Benhamouche, du comité de pilotage de Nabni souligne ainsi le caractère central de laquestion de la gouvernance. La situation n’est, pour l’heure, guère reluisante, avec des positions médiocres dans les classements internationaux. A commencer par la transparence.
Dans l’indice Open Bugdet Index 2010 évaluant la transparence budgétaire, l’Algérie se classe au dernier rang (score de 1 sur une échelle de 100). Idem concernant la transparence dans la gestion des fonds publics d’investissements où l’Algérie se situe à la dernière place dans le classement Linaburg-Maduell 2010. Or, sans transparence, pas de progrès possible dans la gouvernance publique.
Nabni propose donc d’instaurer « une transparence dans les missions de toutes les institutions administratives » grâce à la mise en place de sites internet sur lesquels seront publiés « la vision, les missions, les objectifs, les grands programmes, l’organigramme type de ces institutions ainsi que les critères de sélection, promotion et nomination au sein des institutions accompagnées d’un mini-CV des principaux cadres en poste qui servira à s’assurer de la transparence dans l’adéquation entre les responsabilités et les personnes occupant les postes » (chantier 41). Pour l’instant, ces informations indispensables manquent cruellement sur les sites de la plupart des ministères bien souvent de médiocre qualité et au contenu rarement actualisé.
L’accès aux données publiques (open data) s’avère ainsi un véritable parcours du combattant. Pour pallier à ce manque flagrant de transparence, Nabni préconise la publication régulière sur Internet d’informations indispensables aux citoyen(ne)s telles que « les projets de lois », « les règles formelles régissant les rapports des citoyens avec les institutions dans les principaux domaines affectant la vie des citoyens », « les critères de choix de politiques publiques, avec accès aux sources de données utilisées », « les patrimoines avant et après prise de poste ou de mandat des hauts fonctionnaires, notamment ceux qui ont un pouvoir de décision sur la dépense publique ».
Des libertés citoyennes à retrouver
Selon ce principe, tous les acteurs de l’Etat devraient répondre aux besoins et aux attentes des citoyens et travailler uniquement dans l’intérêt de celui-ci. Or, les performances de l’Algérie dans ce domaine sont des plus faibles selon l’indice «Libertés d’expression et redevabilité » de 2010 de la Banque Mondiale qui classe l’Algérie au 18ème rang sur une échelle de 1 à 100 (1 étant le rang le plus bas et 100 le plus haut). Face à cette situation préoccupante, Nabni identifie trois mécanismes de redevabilité à instaurer rapidement : « des mécanismes incitatifs (et punitifs) à l’intérieur des institutions pour responsabiliser et rendre redevables les représentants de l’Etat et les élus », « des mécanismes internes aux individus pour induire un comportement honnête et responsable de la part des représentants de l’Etat et des élus » et, « l’intégration du citoyen et de la société civile comme nouvel acteur chargé du contrôle direct de l’action de l’Etat ».
Remettre le citoyen au cœur des préoccupations et du fonctionnement des institutions constitue, pour Nabni, une condition sine qua non à l’évolution significative de la gouvernance publique. Pour cela, les citoyens doivent avant tout retrouver les libertés nécessaires pour s’exprimer. En premier lieu celle de l’information. Nabni recommande ainsi de « consacrer un droit d’accès à l’information publique qui ne relève pas du «Secret défense » », de « mettre fin au monopole de l’ANEP sur la publicité publique » et d’« ouvrir l’espace audiovisuel aux nouveaux projets et les medias publics à l’opposition ». Seconde liberté à recouvrir : celle de se réunir qui passe par une révision de la loi sur les associations et par une suppression de toute nécessité d’information ou d’autorisation des autorités pour les réunions publiques, notamment dans les espaces privés (chantier 44).
Autre impératif pour replacer le citoyen au centre du système, lui fournir les outils et moyens d’action pour peser sur les décisions. Nabni propose ainsi de « doter d’un statut d’association d’intérêt général, les associations indépendantes en charge de l’évaluation des politiques publiques et des services publics », telles que les associations d’usagers (chantier 45).
Transformer l’Etat en catalyseur du développement
Actuellement, les indices internationaux révèlent plutôt un Etat algérien peu enclin à jouer le rôle de moteur du développement. Selon l’indice efficacité de l’Etat de la Banque Mondiale, sur une échelle de 1 à 100 (1 étant le plus faible classement et 100 le plus élevé), l’Algérie se situe à la 34ème position. Pour un véritable essor, l’Etat doit devenir un outil d’excellence, selon Nabni qui appelle donc à une refonte complète de la fonction publique.
« La structure administrative doit reposer sur les éléments clés que sont une fonction publique bien formée, un système de gestion des compétences efficient et la capacité de mobiliser rapidement des ressources pointues, en particulier par le biais de recrutements en dehors de la fonction publique » préconise le rapport (chantier 48).
La décentralisation aidera aussi l’Algérie à prendre son envol en permettant non seulement de mieux comprendre les attentes des citoyens, d’avoir une plus grande réactivité et efficacité de l’action publique, mais également de responsabiliser davantage les institutions, indique le rapport. Parmi les mesures proposées dans cette direction figurent notamment la création de régions économiques, la révision du découpage territorial administratif (division du nombre de wilayas par trois), la création d’une véritable fiscalité locale, etc. (chantier 49).
Toutes ces recommandations et propositions concrètes seront prochainement transmises aux principaux concernés à savoir les décideurs politiques : ministères, partis, institutions publiques, etc.
Autant de clés – et de pistes – pour s’attaquer au chantier de la gouvernance publique. Ce qui répond au reproche récurrent fait à Nabni d’évacuer les aspects politiques. Zoubir Benhamouche membre du comité de pilotage, souligne dans une déclaration à Maghreb Emergent que la « gouvernance est la clé. C’est « The truc » à changer chez nous, c’est la mère de toutes les réformes. Si on ne change pas la gouvernance, pas de développement possible, et on continuera à aller dans le mur, ou vers l’iceberg plutôt … La gouvernance est le thème central de notre rapport, et on a un certain nombre de propositions pour en changer radicalement le cadre ».