Mouvements sociaux en Algérie: une nouvelle culture politique loin des idéologies (ENTRETIEN)

Mouvements sociaux en Algérie: une nouvelle culture politique loin des idéologies (ENTRETIEN)

Les mouvements de contestation en Algérie ont inauguré une nouvelle culture politique qui s’exprime en dehors des idéologies et du cadre partisan, selon la lecture que propose la sociologue franco-algérienne, Dr Amel Boubekeur, de l’Ecole normale supérieure de Paris.

Dans un entretien à l’APS autour des mouvements de contestation qui auront marqué l’actualité sociale et politique en Algérie depuis le début de l’année, Amel Boubekeur propose une grille de lecture avec une approche excluant toute connotation idéologique ou partisane et privilégiant une vision qui repose sur l’émergence, comme elle insiste à le dire, d’une culture politique qui se fait d’une façon « non hiérarchisée », c’est-à-dire quasiment spontanée et sans chefs de file avec, de surcroît, des revendications palpables. Pour elle, ce qui a été inauguré lors des émeutes du début de l’année 2011, « est une nouvelle culture politique qu’il s’agisse du côté de la société civile ou du côté de l’Etat ».

« C’est une culture politique qui s’exprime en dehors de l’idéologie, dans la mesure où nous n’avons pas vu d’islamistes, de gauchistes ou de berbéristes, lors de ces émeutes », selon ses arguments.

Pour elle toutefois, « ce n’est qu’après les émeutes que ces courants politiques ont tenté d’organiser ce mouvement ». Dans sa lecture de ces mouvements de contestation, elle met l’accent sur la caractère « non idéologique » des émeutes et leur aspect « non hiérarchisé », dans la mesure, affirme-t-elle, où il y a absence de leaders. Elle a souligné, à ce propos, que ces mouvements se caractérisaient par leur aspect « pragmatique », en rejetant catégoriquement, selon elle, tout ce qui est proposé.

Du fait que cette contestation est l’œuvre de gens qui n’ont pas connu de socialisation politique partisane au préalable, explique le Dr Boubekeur, elle s’est singularisée, logiquement, par l’absence d’une revendication à caractère politique claire. Pour elle qui s’intéresse depuis longtemps au paysage politique en Afrique du Nord, ces contestataires se sont retrouvés, à un moment donné, « politisés d’une façon accélérée dans la rue par rapport à ce qui se passait en Tunisie ».

Partant de ce constat, elle a mis l’accent sur la désaffection des émeutiers par rapport aux propositions des partis de l’opposition que se soit, précise-t-elle, celles émanant du Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD) ou le Front des forces socialistes (FFS) et même toutes les nouvelles formations politiques, comme l’Alliance nationale pour le changement (ANC), un conglomérat de partis et de personnalités politiques d’horizons idéologiques hétéroclites.

Les contestataires, selon la lecture du Dr Boubekeur, « refusent qu’on leur vende un projet de société », à travers une Assemblée constituante ou des élections législatives anticipées après la levée de l’état d’urgence.

Selon cette spécialiste en sociologie politique auteur d’études sur le phénomène des mouvements islamistes en Algérie, « les islamistes n’ont plus aucune emprise sur la rue et ne peuvent prétendre, à l’heure qu’il est, à embrigader ces mouvements de contestation ».

Elle explique son constat par le fait que les islamistes représentés dans les courants parlementaristes « sont en panne de solutions », alors que ceux qui sont en dehors du pouvoir « sont incapables d’élaborer un projet politique pour le changement » C’est ainsi qu’elle évoque les deux exemples de la Tunisie et de l’Egypte, où la révolte des jeunes a été, dit-elle, l’objet de tentatives de récupération de la part du courant islamiste.

Dans le cas de l’Egypte, ce professeur associé au Carnegie Middle East Center à Beyrouth, met en exergue dans son approche la question générationnelle qui fait que « les jeunes de la confrérie des Frères musulmans ne développent pas la même approche idéologique que leurs aînés ».

Chez les Frères musulmans aujourd’hui en Egypte, souligne-t-elle, le système hiérarchique et idéologique « est critiqué depuis longtemps par la nouvelle génération de militants ».

Abondant dans ce sens, le Dr Amel Boubekeur croit que les Frères musulmans en Egypte qui « ont fait preuve d’attentisme », et en dépit de leur promesse de moraliser la société, seraient « incapables politiquement de faire face à la question du changement ».

Même en Tunisie, constate encore ce chercheur en sociologie, le mouvement islamiste d’Ennahda qui ne remet pas en cause le statut du Code personnel, pose le problème de l’identité de la Tunisie. Un problème qui ne mobilise pas beaucoup dans ce pays, note-elle.

Pour le Dr Boubekeur, les lignes de transgression en Tunisie ou en Egypte ou encore en Algérie « ne sont plus entre le pouvoir et les islamistes ».

Dans le cas de l’Algérie, les jeunes ne sont pas dans une position de revendiquer des alternatives politiques ou idéologiques, estime-t-elle, mais, ils sont plutôt dans une position de « résistance civile ».

Le Dr Boubekeur qui défend ce concept par rapport à celui de la Révolution, qui serait « plus spectaculaire », trouve que « cette attitude exige un apprentissage de nouvelles façons de s’opposer, de s’exprimer et de s’identifier à un groupe ».

Elle cite, dans ce cadre, l’exemple d’une aile de la Coordination nationale (algérienne) pour le changement et la démocratie, la CNCD-Barakat, qui a compris que l’intérêt n’était pas de répéter chaque semaine le « conflit chorégraphique » entre la rue et les forces de l’ordre, estime à sa façon cette spécialiste.

« Par rapport à cette bipolarisation entre pouvoir d’un côté et la rue de l’autre, ils ont bien senti qu’il va falloir trouver une troisième voie, à savoir celle de la sensibilisation », avance-t-elle à propos de l’attitude de cette structure née d’une rupture avec ses anciens alliés regroupés maintenant dans la CNCD-partis, qui rassemble deux partis agréés et certaines personnalités.