Par Meriem Kaci et Lyes Sakhi
Au lendemain de la 9e semaine de la contestation générale, menée par le mouvement populaire réclamant le départ du pouvoir en place, deux constats s’imposent. Sur la scène nationale, on observe en premier lieu combien ce mouvement demeure solide et tenace dans ses revendications pacifiques pour une autre Algérie.
Depuis les marches inaugurales et historiques du 22 février 2019, il n’a pas perdu de son souffle ni entamé cette décrue que beaucoup d’analystes attendaient. Au contraire, il s’est étendu à une grande partie du pays, rendant certaines régions – à l’Est comme au Centre, par exemple – comme les nouveaux repères de la « révolution du sourire » – terme désormais utilisé sur les réseaux sociaux comme une marque de distinction – et de la volonté populaire d’aller vers un pays de libertés et de démocratie.
Le décentrement géographique de cette révolution du sourire a été très visible, ce vendredi 19 avril, après les manifestations populaires imposantes qui ont empli les artères de villes comme Jijel, Béjaïa ou Bordj Bou-Arréridj. Toutefois, et en second lieu, il a fait sentir davantage, cette fois plus que les précédentes, la nécessité pour le Hirak de se doter d’un cadre de structuration et d’organisation pour concrétiser les aspirations populaires au changement.
En somme, il s’agit d’avoir, pour le mouvement et ses acteurs, quel que soit leur niveau d’engagement, une feuille de route nécessaire à la transition au programme depuis le rejet, par l’opinion nationale dans sa majorité, de l’option choisie par le système au lendemain de la démission de l’ancien chef de l’Etat, Abdelaziz Bouteflika, le 2 avril 2019, c’est-à-dire l’application de l’article 102 de la Loi fondamentale qui a propulsé l’ancien président du Conseil de la Nation (Sénat) Abdelkader Bensalah, président de l’Etat par intérim et organisateur de l’élection présidentielle prévue le 4 juillet prochain, un rendez-vous qu’on sait, aujourd’hui, difficile, voire impossible à tenir.
Un programme d’action vs l’agenda Bensalah
La nécessité de cette feuille de route n’est pas un souhait sorti d’on ne sait quelle rédaction de presse.
Elle est dans l’air depuis deux ou trois semaines au moins et s’est davantage concrétisée, mardi dernier, après le lancement par un groupe de personnalités d’une pétition, appelant à l’organisation d’« Assises nationales pour la transition ». Auparavant, l’ancien leader du RCD Saïd Sadi, qui devrait intervenir à nouveau pour des éclairages sur la conception du futur politique immédiat de l’Algérie, a appelé à une transition sans associer l’institution militaire. L’avocat et homme politique Mokrane Aït Larbi propose, lui, cinq mesures de sortie de crise, dont la «désignation d’une présidentielle collective en dehors du système» ainsi que «la nomination d’un gouvernement de compétences nationales accepté par le peuple».
Hier, c’était au tour de l’ancien chef de gouvernement Ahmed Benbitour d’appeler à l’organisation du Hirak et à le doter, selon son expression, d’un programme d’action pour lequel il s’est dit prêt à contribuer. Pour lui, l’encadrement du mouvement par des figures consensuelles ne serait en aucun cas « une trahison aux aspirations des Algériens ».
Au contraire, « c’est la seule voie », a-t-il expliqué, qui est en mesure de faire concrétiser les objectifs des
Algériens de changer « le système dans sa totalité » et de voir disparaitre les pratiques qu’ils ne cessent de dénoncer.
C’est dans ce sens, que les membres de Mouwatana se sont réunis, hier à Alger, avec pour ordre du jour le débat sur les moyens de doter le mouvement pour le changement d’une feuille de route pour piloter la période à venir. Une idée partagée par l’écrivain d’expression kabyle et militant pour les libertés, Brahim Tazaghart. Ce dernier met en garde contre ce qu’il qualifie de « police intellectuelle » rétive à toute structuration et contre sa « volonté d’imposer un « désert politique au Hirak pour le faire flancher ». Pour M. Tazaghart, il y a nécessité d’accompagner le mouvement populaire par un programme d’action, d’autant plus indispensable, explique-t-il, qu’en face, le régime persiste à rester « dans ce qu’il appelle la sortie de crise dans le cadre constitutionnel » et à imposer son agenda.