Mouloud Hédir, économiste et ancien directeur général du commerce extérieur au ministère du Commerce, revient dans cet entretien sur le régime des licences en vigueur, relevant que “toutes ces mesures bruyantes, avec toute la polémique qui les a accompagnées, n’aboutissent même pas à réduire substantiellement l’importation”. Il estime que notre politique en matière d’échanges extérieurs devrait être mise au service de l’économie nationale. C’est loin d’être le cas aujourd’hui, toute l’organisation de notre commerce étant plutôt calibrée pour favoriser l’importation des fabrications étrangères sur notre territoire.
Liberté : Pour réaliser les ajustements rendus nécessaires par la forte réduction des revenus extérieurs et réduire le déficit de la balance des paiements, le gouvernement semble privilégier les licences d’importation. Vous avez exprimé des doutes sur l’efficacité d’une gestion des importations par les quotas. Pourquoi ?
Mouloud Hédir : Ce qui pose problème, fondamentalement, avec le régime des licences en vigueur, c’est son déficit sérieux de visibilité. Si l’objectif est vraiment de rétablir l’équilibre de la balance des paiements, la bonne méthode, c’est de mettre au point un programme complet et chiffré de réduction des importations, de l’afficher une fois pour toutes, avec un mécanisme transparent de suivi et un échéancier prévisible pour la levée des restrictions ainsi annoncées.
Au lieu de quoi, cette liste de produits qui s’allonge indéfiniment alimente l’incertitude et laisse transparaître une impression contestable de maladresse et d’improvisation, avec comme résultat de déstabiliser autant les entreprises locales que les partenaires étrangers. Mais ce qui est encore plus préoccupant, c’est que toutes ces mesures bruyantes, avec toute la polémique qui les a accompagnées dans le pays comme à l’extérieur, n’aboutissent même pas à réduire substantiellement l’importation.

Un rapport d’information sur l’Algérie, publié le 27 juillet dernier par la Commission des affaires européennes du Sénat français, révèle que certains États membres de l’Union européenne souhaitent le lancement d’une procédure d’arbitrage, prévu à l’article 100 de l’accord d’association. Que faut-il en penser ?
Cela fait déjà quelques années – depuis 2009 — que la partie européenne se plaint officiellement des conditions d’application par l’Algérie de certaines dispositions de l’accord d’association. De son côté, l’Algérie a dénoncé, non sans quelques raisons, le déséquilibre marqué des échanges économiques et commerciaux en sa défaveur.
Bien entendu, si les voies du droit sont ouvertes en permanence à chacune des deux parties, il n’en reste pas moins que le recours à l’arbitrage international est un mauvais message qui ne ferait qu’exacerber davantage les tensions. Et par-dessus tout, cette approche qui consiste à politiser les problèmes ne paraît pas être la plus appropriée : si des entreprises européennes s’estiment lésées en Algérie par les conditions d’application de l’accord, on se demande ce qui, depuis le temps, les a empêchées de s’adresser aux tribunaux algériens. Auraient-elles des préventions a priori quant à la partialité de nos juges ?
D’un autre côté, ce qui devrait plutôt inquiéter aujourd’hui, c’est que la poursuite du programme de démantèlement tarifaire au cours des trois prochaines années va se traduire par le renoncement contractuel à quelque 200 à 240 milliards de dinars de droits de douane cumulés. Dans une conjoncture budgétaire aussi tendue que celle que connaît notre pays, c’est tout l’horizon de l’accord d’association qui risque d’être assombri. Face à cette perspective, et plutôt que de s’agripper à leurs certitudes, les deux parties ont plus que jamais besoin d’intensifier leur dialogue politique et économique.
Vous avez toujours estimé que l’Algérie doit se réapproprier sa politique commerciale extérieure. Qu’est-ce que cela signifie dans le contexte actuel ?
Cela signifie très simplement que notre politique en matière d’échanges extérieurs devrait être mise au service de l’économie nationale. C’est loin d’être le cas aujourd’hui, toute l’organisation de notre commerce étant plutôt calibrée pour favoriser l’importation des fabrications étrangères sur notre territoire.
Cela est manifeste quand on observe la surévaluation structurelle du dinar, les subventions accordées à des produits importés en masse, le faible intérêt accordé à la promotion effective des IDE, la désintégration de notre système de défenses commerciales, la perte de substance de notre système financier, les défaillances de notre organisation portuaire, etc. Le comble, c’est que notre pays reste toujours absent d’une organisation universelle comme l’OMC qui régule le commerce mondial, au motif fallacieux de protéger une production nationale que toute notre politique économique et commerciale contribue en réalité à affaiblir et à décourager.
Se réapproprier la politique commerciale externe, c’est également la mettre au service de nos entreprises. Ce sont elles qui font la performance de notre commerce extérieur, et pas les administrations. C’est donc à ces dernières à se mettre au service des entreprises, à l’opposé total du message véhiculé actuellement par cette machine répressive des licences qui vient d’être activée.
En fin de compte, il faut arrêter d’avoir l’œil vissé sur le prix du baril du pétrole parce que ce ne sera sûrement pas de là que viendra le salut. Il faut plutôt se préoccuper sérieusement de stimuler les performances de nos entreprises et les aider à s’insérer plus harmonieusement dans les chaînes de production mondiales. C’est sans doute là le plus gros chantier de réformes qui attend l’Algérie.