Mouloud Hamrouche : En privant les Algériens de leurs libertés, l’Etat a fabriqué l’échec

Mouloud Hamrouche : En privant les Algériens de leurs libertés, l’Etat a fabriqué l’échec

Comment l’Etat algérien s’est privé des moyens de développement en privant les Algériens de leurs libertés et dévoyant le rôle des associations et des partis. Tel est le thème de la conférence prononce samedi à Sétif par M.Mouloud Hamrouche, ancien chef du gouvernement sur le thème « Libertés publiques et développement durable ».

Le pouvoir, a-t-il déclaré, considère une structuration de la société des organisations sociales fortes conformes à leur vocation et à la volonté de leur adhérents ou militants. Une telle démarche affaibli les capacités de l’Etat à réaliser le développement car en privant les algériens de leur libertés, il se prive des instruments qui permettent la régulation et des contre-pouvoirs qui corrigent.

Nous publions l’intégralité de l’intervention en attendant de revenir plus amplement sur cette conférence:

Vous m’avez demandé de vous parler du rapport entre libertés publiques et développement durable.

Le rapport consubstantiel entre les libertés, toutes les libertés et le développement durable m’impose une approche académique pour définir et expliquer la notion du développement durable et en quoi l’exercice ou le non exercice des libertés publiques impacte le développement. Bien entendu ma conférence n’a pas un caractère académique, mais je suis obligé de respecter une certaine méthodologie et ma lecture va être totalement politique.

Les libertés publiques, au delà de leurs pertinences en tant que droit naturel attaché à l’être humain, sont un facteur majeur de l’évolution sociale. Elles engendrent tous les jours des dynamiques à l’occasion de leur exercice que ce soit en termes de création, de rivalité, de revendication, de frustration ou de conflit. Pour l’exercice de ces libertés, il est essentiel d’avoir des organisations/associations sociales.

Pour fonctionner et se développer la société a besoin de se doter d’institutions solides et efficaces : un État fort, fort de sa légitimité, de l’efficacité de ses politiques et de ses lois, une administration pérenne compétente, des partis, des syndicats, des associations d’opérateurs économiques, des associations sociales, une école, des universités et des entreprises compétitives, une communication officielle et une presse libres.

Les libertés publiques

Les « libertés publiques » sont les libertés individuelles et collectives des citoyens, qui sont considérées comme inaliénables, et censées être protégées ou garanties par la Constitution et par l’État.

Les libertés individuelles sont assurées par chaque personne et leur exercice est garanti par l’État, donc par des lois de la république.

Quant aux libertés collectives elles sont, par contre, protégées par l’État.

Sans les citer toutes, il faut se rappeler qu’en Algérie, dans leur principe, les libertés fondamentales, les droits de l’homme et du citoyen sont formellement garanties par la Constitution et les lois depuis 1989. Y compris la liberté de conscience, la liberté́ d’opinion, la liberté d’exercice du culte, la liberté de création intellectuelle, artistique et scientifique, les libertés académiques et la liberté de recherche scientifique, les libertés d’expression, d’association et de réunion, la liberté de manifestation pacifique, la liberté de la presse écrite, audiovisuelle et sur les réseaux d’information.

Il appartient à chacun de nous d’évaluer cette question en connaissance de cause, autrement dit en examinant la réalité vécue.

Au-delà des questions de définition, il est nécessaire de connaître la nature des pratiques qui gouverne réellement notre quotidien. Car celle-ci détermine l’ensemble des comportements, des questionnements, des réflexes et des pratiques.

C’est la question que notre rencontre propose de traiter. Comment les conditions de la réalité nous permettent d’envisager la question du développement durable dans notre pays.

Dans ce contexte, les libertés publiques jouent un rôle décisif pour la simple raison qu’en dehors de leur exercice, il ne peut y avoir de production de sciences et de savoirs, de progrès technique, d’innovation dans la façon de produire et dans la façon de gérer, d’administrer et de développer dans les domaines de la culture et de la communication.

Il ne peut y avoir non plus de possibilité d’entrer en compétition avec les autres. Car sans un exercice effectif, confiant et massif des libertés fondamentales, la société se condamne à la faiblesse, à la stagnation, à la régression et donc à la soumission.

Il faut donc avoir à l’esprit ce que le développement engage, comme démarche et comme politique, la société, l’État, le gouvernement et également les citoyens, à travers leurs organisations sociales, syndicales, professionnelles, politiques et opérateurs économiques. C’est là une condition sine qua non du développement, et, a fortiori, du développement durable.

Le développement est en réalité une démarche qui consiste non seulement à faire croître l’économie, mais aussi à permettre la réduction des inégalités sociales et l’amélioration des conditions de vie de l’ensemble des citoyens ainsi que de leur épanouissement.

À ce titre, toutes les associations sont initiatrices et créatrices du développement durable. Ce sont ces organisations qui assument le rôle le plus primordial dans le maintien du développement et de la stabilité tout en opérant toutes sortes de compositions/recompositions, structurations/restructurations, des champs, politique, social et économique. Elles créent ainsi les conditions les plus propices et les plus saines pour toutes sortes de compétitions, d’accumulation de richesses, d’expériences et de pratiques, politiques, sociales, économiques, syndicales, professionnelles, utiles pour la société et pour les citoyens.

Ces associations/organisations sont des outils de régulation, d’adhésion et de mobilisation par excellence. En plus, elles encadrent les citoyens, participent à la gestion de la paix sociale, à la régulation économique, à la surveillance des activités et à la bonne utilisation des biens sociaux.

Toutes ces organisations/associations jouent aussi un rôle de contre-pouvoir et ne doivent pas se transformer en un soutien inconditionnel. Leurs prises de positions doivent être discutées et décidées au sein de leurs assemblées générales et à la majorité. C’est pourquoi l’exercice des libertés, politiques, économiques, sociales et culturelles etc. est tributaire d’une information officielle honnête, vraie et avérée.

En fait, la réponse à la question que vous posez sur le rapport entre libertés publiques et développement durable, dépend de la réponse que nous apporterons aux multiples et très concrètes questions. Elle dépend aussi de la capacité de notre société, de notre pays, de notre État, de notre culture et notre système de gouvernance à développer les moyens endogènes de notre épanouissement et de notre développement.

Le développement durable

Le développement durable voudrait répondre aux besoins d’aujourd’hui sans hypothéquer les besoins des générations futures et sans abimer l’environnement.

Cette notion est née d’une inquiétude des riches suite à l’apparition de nouvelles demandes des économies émergentes des régions jadis pauvres et inactives.

Le « développement durable » est devenu le terme de référence obligé des politiques publiques et le mot d’ordre de la coopération internationale. Il bénéficie d’un agenda des Nations Unies et des ONG défenderesses de l’environnement.

Dans un processus de développement durable, les organisations/associations politiques, sociales, syndicales, professionnelles et opérateurs économiques ne sont pas uniquement des outils de luttes politiques, de revendications ou de défense d’intérêts, mais des promoteurs qui développent et structurent leurs domaines respectifs d’interventions à leur profit et à celui de la société, de l’État et de la bonne gouvernance.

L’équation de l’exercice des libertés, toutes les libertés, est d’importance pour un développement durable. Elle est d’une acuité suprême dans les sociétés bloquées. Elle l’est encore plus quand l’État est fragile pour des raisons culturelles, sociales et surtout politiques. Notamment quand la gouvernance n’est pas efficace et les organisations politiques ne sont pas représentatives.

Ce qui est reproché aux dirigeants de toutes ces organisations/associations ce n’est pas leur proximité avec le pouvoir ou leur alignement sur des positions officielles mais le manque de considération à l’égard de leurs adhérents. Cette attitude altère à la fois leur mission, leur action et leur militantisme. Ce comportement ne profite pas aux adhérents ni à ceux chargés de mener des politiques publiques. Cela prive aussi la société elle-même d’un outil d’ajustement dynamique et d’équilibrage pour l’exercice des droits.

Il est risqué de surévaluer/sous-évaluer la représentativité de ces organisations. Cela nourrit la démagogie, encourage la fuite en avant et incite à la surenchère. Ce type d’organisation n’est d’aucune utilité pour toute mise en œuvre et exécution de tout accord et autre pacte social ou politique.

Cette lecture explique-t-elle l’échec de notre développement, la faiblesse de notre gouvernance, le décalage de nos différentes organisations/associations et la démobilisation de notre population.

Quand un gouvernement ne contrôle pas, ne régule pas et n’est pas soumis à la règle de comptabilité et de contrôle, il ne peut être promoteur de développement. Même s’il dispose ou prétend disposer de moyens et de monopoles, politique, économique, culturel et social. C’est à l’aune de cette affirmation que se mesurent les échecs répétés de notre pays. C’est aussi à cette aune que se calculent les coûts des fausses ouvertures politiques et économiques.

Le manque d’exercice des libertés publiques, à cause de leurs captages ou de leurs confiscations, est à l’origine de plusieurs failles et faiblesses sur le plan économique, social, culturel, politique et même sécuritaire. Cette carence aggrave l’isolement des gouvernants, met les institutions à l’écart des préoccupations urgentes et l’État au-dehors de la société. Cela rend la tâche de préserver la sécurité et la tranquillité aléatoire.

Dans ces conditions une solidarité nationale risque de ne pas se manifester et personne ne sera solidaire de personne, le gouvernement n’aura pas le soutien de la population. Il ne pourra pas agir, même en s’appuyant sur des partenaires économiques et financiers. Ce type de gouvernement redoute de se trouver face à des organisations sociales, syndicales, professionnelles, encore plus politiques. De ce fait il renonce à la régulation des rapports sociaux.

Le système de gouvernance est en crise, il semble, qu’il ne peut plus produire d’alternatives politiques ou d’alternatives économiques. Si cette appréciation est pertinente, alors, toutes les organisations et structures qui sont nées de la crise ou pour la crise du terrorisme ne deviennent-elles pas obsolètes et elles ne peuvent servir d’alternances.

De similaires situations et de similaires gouvernances ont conduit à l’abandon de nombreuses populations dans de nombreux pays. Ce sont ces populations qui constituent une part importante du flux des émigrants.

Notre pays possède des hommes et des moyens pour édifier une société libre et équilibrée où s’exercent toutes ces libertés. Il a les capacités d’édifier un État de droit d’essence démocratique, une gouvernance efficiente et de lancer le processus de développement durable.