Ce premier novembre, Daho Ould Kablia a essayé d’“expliquer” l’assassinat d’Abane Ramdane. D’autres avant lui, qui n’avaient pas aussi digéré l’avènement et les orientations du Congrès de la Soummam, se sont essayés à la justification de ce qui fut le plus grave crime politique commis au nom du FLN.
Le propos de l’ancien ministre de l’Intérieur suggère qu’Abane avait, du seul fait de sa personnalité, un problème avec la Révolution. “Abane Ramdane avait une perception différente de la gestion de la Révolution, il était en total désaccord avec les autres dirigeants militaires”, précise-t-il. “Les autres dirigeants militaires”, ce sont ceux qui étaient aux frontières. Du point de vue d’Oujda, l’assassinat d’Abane était devenu probablement “inévitable”, pas pour son arrogance, mais parce que, vivant, il figurait les principes adoptés, en août 1956, de la primauté du politique sur le militaire et de l’intérieur sur l’extérieur. Par sa conception de la Révolution, mais aussi par sa conception de… l’État, il constituait un obstacle au “coup d’État permanent”.
Conscient de l’illégitimité des modalités de prise de pouvoir, le personnel qui, par filiation clanique, monopolise toujours, par la force, par la terreur, et parfois dans le sang, les institutions de l’État, recourt, ainsi, parfois à la justification du crime fondateur du système. C’est une conception de la Révolution et, subséquemment, une conception de l’État que les exécuteurs d’Abane Ramdane ont assassinée. L’historiographie a dissimulé bien des aspects de la Révolution, en particulier ceux qui peuvent expliquer l’impuissance de l’Algérie indépendante à évoluer vers une société de citoyens libres. L’historien El-Korso vient de rappeler la raison politique de l’assassinat d’Abane : “Il avait une perception différente de la guerre de Libération nationale, une perception exigeante, démocratique et dynamique.”
L’autoritarisme répressif qui sévit encore de nos jours est hérité de ce détournement clanique et violent de la libération. La soif de pouvoir a imposé à la Révolution “une guerre dans la guerre”. L’issue en fut un système qui, parce qu’il s’est emparé de l’État naissant par la force, est condamné à le conserver par la force. C’est cette nature originelle du système qui fait que la guerre de pouvoir se prolonge, plus d’un demi-siècle après l’Indépendance. Elle s’exprime par la traque de toute manifestation de l’aspiration démocratique et l’hostilité à toute forme de liberté citoyenne.
Et c’est ce même système inchangé qui prétend aujourd’hui œuvrer à l’avènement d’un “État civil”, suggérant ainsi qu’il se serait émancipé de sa généalogie putschiste et de sa nature politique militariste et policière. Et laissant croire que des élections autoritairement “encadrées” suffisent à homologuer sa mutation démocratique.