S. F.
C’était un monstre sacré de la photographie sud-africaine et un homme engagé dans la lutte contre l’apartheid. Avec ses images, il était un témoin extraordinaire de la vie et de l’injustice sous le système de l’apartheid. David Goldblatt est décédé ce lundi 25 juin, à l’âge de 87 ans.
Quand les étudiants sud-africains manifestaient en 2015 contre le maintien d’un monument célébrant le colonisateur britannique Cecil Rhodes, il était là. «Déboulonnage de la statue de Cecil Rhodes, après qu’elle a été maculée d’excréments humains et que l’université a accédé aux demandes des étudiants de la retirer.»
C’est le titre d’une image prise le 9 avril 2015 à l’Université du Cap par David Goldblatt. Jusqu’au bout, le photographe est resté fidèle à son engagement pour la justice et un témoin sans faille des soubresauts de son pays, l’Afrique du Sud. David Goldblatt reste un modèle pour la jeune génération de photographes comme Zanele Muholi, une des artistes sud-africaines contemporaines les plus percutantes de nos jours. «Goldblatt est un mentor pour moi et j’admire son travail. C’est quelqu’un qui nous a donné le droit de nous exprimer. Grâce à lui nous pouvons parler avec des voix différentes à partir du même espace.»
Des constats et des combats contre l’apartheid en Afrique du Sud
Goldblatt avait une sensibilité et un talent sans pareil de se promener entre les lignes, entre le noir et le blanc, pour en extraire une vérité minant les injustices d’un système politique ou moral. Pour ses premières photos, il était obligé de se contenter de faire des constats. Devenu photographe de presse en 1948, il observe avec sa caméra l’apparition des panneaux de ségrégation raciale, manifestation de la politique d’apartheid. Ensuite il documente avec une persistance incroyable pendant des décennies la vie quotidienne des Blancs et des Noirs en Afrique du Sud. Ses dernières photos résonnent comme un appel : «plus jamais ça». Par exemple, en 2016, quand il prend en photo une simple passerelle et la transforme en mémorial anti-apartheid.
Le double escalier conçu pour séparer les Blancs des Non-Blancs devient un monument de la honte rappelant la loi n° 49 sur les équipements publics séparés (Reservation of Separate Amenities Act) de 1953. Et il insiste aussi pour nous dire que si les panneaux indiquant les files séparées ont bien été retirés après la victoire et la libération de Nelson Mandela, les traces et certaines pensées restent ancrées dans le territoire, les corps et les esprits jusqu’à aujourd’hui.
«David Goldblatt était l’une des figures majeures de la photographie de notre époque, une conscience éthique et morale du rôle de l’artiste dans nos sociétés», a réagi Bernard Blistène, directeur du Musée national d’art moderne. La grande rétrospective dédiée à David Goldblatt au Centre Pompidou-Paris a fermé ses portes début mai, mais son testament photographique restera pour toujours.
Extrait de l’une de ses interviews :
«Je devais prendre des photos, non seulement de Johannesburg mais de toute l’Afrique du Sud. Je dirais que je voulais explorer la société dans laquelle je vivais, voir à quoi elle ressemblait. Je vais citer un grand photographe du nom de Garry Winogrand. On prend des photos pour voir à quoi ressemble le monde en photos. Si je devais me définir, je ne suis certainement pas un journaliste. Si j’avais été journaliste, j’aurais été viré tout de suite. Pourquoi ? Mais parce que je suis si mauvais. J’oublie des choses, je suis incapable de prendre des notes correctement. Donc, je ne suis pas un journaliste. Je ne suis pas un sociologue. Je ne suis pas un criminologue. Je ne suis pas un psychiatre. Je suis juste un observateur, un observateur critique de la société dans laquelle je vis».