Morsi, le pas de trop…

Morsi, le pas de trop…
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Le Président égyptien continue de vouloir gagner du temps jusqu’à pouvoir mettre son peuple devant le fait accompli d’une Constitution contestée.

Il était inutile de revenir sur le décret qui lui donnait les pouvoirs étendus du moment que le renoncement à ces pouvoirs ne signifie absolument rien maintenant. Morsi n’a cédé que sur ce qui n’a plus d’importance et au moment où le décret lui-même est devenu inutile car son objectif était de permettre à la commission constitutionnelle de terminer son chantier et de remettre son projet. C’est chose faite et donc nul besoin de ces pouvoirs pharaoniques surtout que les magistrats de la cour constitutionnelle, seuls à même d’invalider ce projet de loi fondamentale, sont toujours empêchés par les partisans du président d’accomplir leur travail.



L’appel au dialogue était aussi de la poudre aux yeux car, au moment où le pseudo dialogue devait avoir lieu, l’horloge du compte à rebours d’un référendum contesté, continuait, elle, à fonctionner.

Entêté, Morsi l’aura été jusqu’au bout, faisant le bonheur des membres de son parti. Pas après pas, il aura accompli une marche inébranlable, certes, mais une marche qui poussait son pays vers le chaos. L’opposition refusait le fait accompli et exprimait à haute voix son refus. Les pro-Morsi soutenaient le président et le disaient tout haut aussi. Chaque côté prétend être le gardien d’une révolution qui accuse l’autre côté de vouloir la confisquer. Convaincus d’avoir payé le lourd tribut de la révolution, les Frères musulmans s’agrippent à un projet dont ils ne cachent pas la paternité mais qu’ils disent avoir bénéficié de l’accord de toutes les parties. De leur côté, réunis autour de Amr Moussa, d’El Baradei et d’autres figures nationales, les opposants se disent être les véritables révolutionnaires, ceux qui ont fait chuter Moubarak et crient à la tentative de hold-up sur leur révolution et à un projet de Constitution pétri par la seule main des islamistes.

Au lieu d’essayer de baisser la tension, d’affronter le problème de face et de rassembler les diverses tendances, le président égyptien a préféré jouer la division en misant sur la diversion et l’indifférence. Résultat: déjà des morts et déjà des blessés. Du sang qui aurait pu être évité à un moment crucial comme celui-ci car le sang a ceci de particulier qu’il appelle toujours le sang. Jusque-là, les heurts n’ont pas été trop importants mais il est à craindre que ce mardi les choses ne prennent une tout autre tournure. En effet, pro et anti Morsi ont décidé de descendre dans la rue ce mardi dans toute l’Egypte. La démonstration de force augmente d’un cran. Et le risque de dix fois plus dans une ambiance électrique où l’on parle d’usage d’armes à feu depuis les derniers affrontements. Accusée de s’en prendre uniquement aux anti-Morsi, la police est dépassée et contestée et il lui sera très difficile de contenir la marée humaine de ce mardi. L’armée est alors intervenue pour rappeler sa présence par des menaces non voilées en déclarant que l’Egypte risque d’aller vers l’inconnu et qu’elle ne le permettrait pas. Il ne fallait pas plus pour que Morsi saute sur l’occasion et lui fasse appel.

En signant, au Journal officiel, un décret qui prend effet à partir de ce lundi (hier) et par lequel l’armée a pouvoir d’intervenir et de procéder à l’arrestation de qui elle juge nécessaire, Morsi a enfoncé encore le clou. Cette décision de dernière minute est, dit-on, destinée à maintenir l’ordre et à préserver la sécurité du pays jusqu’à ce que les résultats du référendum soit proclamés. Encore une fois, Morsi veut à tout prix faire passer sa Constitution. Quitte à mettre l’Egypte sur une poudrière et de s’y promener avec une bougie allumée car telle est la situation actuelle de ce pays qui vient à peine de sortir d’une dictature que certains ont dû certainement commencer à regretter. Comment est-ce que Morsi, président nouvellement élu suite à une éviction de son prédécesseur, a-t-il osé se comporter de cette manière, c’est-à-dire n’en faire qu’à sa tête et demeurer impassible devant les appels de la rue? Comment est-ce possible qu’il ait osé cela alors qu’il sait que le peuple égyptien est capable de lui servir le fameux «dégage» qui a emporté Moubarak? Tout porte à croire que le nouveau Raïs n’est pas parti à l’aventure, le dos exposé. Il a certainement assuré ses arrières par des soutiens, voire des garanties externes. Tout laisse croire, en effet, que le Raïs tire cette entêtement incroyable à ignorer le peuple de certains appuis qui ne peuvent être qu’américains et israéliens surtout. Israël a beaucoup de raisons de soutenir l’actuel Raïs. Peu importe pour les Israéliens que l’Egypte soit gouvernée par des islamistes, par des communistes ou par le diable en personne, l’essentiel pour eux c’est que leur sécurité soit garantie. Or, Morsi, et juste quelque temps après avoir été élu, avait fait ses preuves en menant une campagne anti-terroriste de balayage du Sinaï qui a redonné la quiétude au pays de Shimon Péres. Ensuite il a bien su faire aboutir une négociation de cessez-le-feu dont Israël avait besoin plus que Hamas. En six mois, le nouveau Raïs a servi deux fois de pompier pour le bien d’Israël et il a, donc, fait mieux que son prédécesseur. Par ailleurs, et cela tout le monde le sait, pour les Israéliens, l’intérêt d’Israël passe avant tout. On n’a pas besoin de lunettes grossissantes pour comprendre que l’intérêt d’Israël n’est pas dans une Egypte stable. Il l’est moins dans une Egypte forte. Aussi tout ce qui pourrait nuire au pays du Nil est bienvenu pour les Israéliens et s’il faut pour cela soutenir les Frères musulmans, eh bien ils n’hésiteront pas un seul instant. Les intérêts des israéliens et celui des Américains étant liés dans cette région du monde pour les raisons que l’on connait, il va de soi que s’il a l’appui des Israéliens, Morsi a aussi celui des Américains.

D’un autre côté, les mêmes Américains (et pourquoi pas les Israéliens?) soutiennent aussi ceux qu’ils présentent comme étant les démocrates, les libéraux ou simplement les «modérés», ceux qui constituent leur cheval de Troie à tous les coups et qui leur offrent le prétexte politique.

L’opposition égyptienne, donc, aussi dispose de certains appuis, surtout de la part ces mêmes Américains et d’autres parties, sans quoi il lui aurait été plutôt difficile de défier le puissant mouvement des Frères musulmans à travers leur représentant qui est le président. Où va l’Egypte? Nul ne peut le savoir pour l’instant. Et si le peuple ressort le «dégage» encore une fois et s’il y tient comme il y a tenu contre Moubarak, que fera Morsi? Inutile de dire que le sang coulera, beaucoup de sang, cette fois car Morsi n’est pas Moubarak et on a plutôt l’impression qu’il ferait plutôt brûler l’Egypte que de céder le pouvoir. C’est une simple impression mais une impression tout de même qui se dégage jusque-là. Encore une fois, où va l’Egypte? Pas sur le bon chemin en tout cas et en faisant intervenir les militaires dans le conflit qui l’oppose à son peuple, Morsi a peut-être fait, sur ce mauvais chemin, le pas de trop.