Montpellier exile son Musée de l’histoire de la France et de l’Algérie

Montpellier exile son Musée de l’histoire de la France et de l’Algérie

Un gâchis intellectuel, financier et politique » : les membres du conseil scientifique du Musée de l’histoire de la France et de l’Algérie, qui devait ouvrir en 2015 à Montpellier, ne cache pas leur colère face à la décision du nouveau maire et président de la communauté montpelliéraine d’agglomération, Philippe Saurel, de mettre fin au projet.

A peine élu, ce socialiste dissident, ancien fidèle de Georges Frêche et ex-adjoint à la culture de la maire sortante, Hélène Mandroux, a décidé d’annuler l’installation du musée prévue dans l’hôtel Montcalm, un bel édifice du XIXe siècle en plein centre-ville, et de transformer le lieu en centre d’art contemporain. Ce choix devrait être entériné à l’issue d’un vote du conseil d’agglomération prévu le 19 juin.

C’est par la presse locale que Philippe Saurel a annoncé, le 14 mai, cet abandon. Ni l’équipe de la conservatrice Florence Hudowicz ni le conseil scientifique composé d’universitaires et d’historiens français (parmi lesquels Marc Ferro, Benjamin Stora, Jean-Robert Henry), algériens (Ahmed Mahiou, Ahmed Djebbar) et français d’Algérie (Georges Morin), n’ont été consultés.

Dans une lettre ouverte au maire, datée du 16 mai, le conseil scientifique fustige ce procédé « abrupt et improvisé » et pointe le « gâchis que représente l’enterrement d’un projet sans équivalent en France ». Une pétition, lancée il y a quelques jours pour s’opposer à la décision du maire, a déjà recueilli 1 800 signatures.

« J’ai pris mes responsabilités », plaide Philippe Saurel, qui met en avant l’absence de label délivré à ce projet « aussi bien par Frédéric Mitterrand que par Aurélie Filippetti ». En réalité, le ministère de la culture devait examiner cet automne l’obtention du label « Musée de France ». « Cela fait douze ans que ça dure, poursuit l’élu, et on n’en voit pas le bout. Au-delà de la façade crépie de neuf, à l’intérieur, tout est dans le même état qu’en 2010. Il n’y a que 2 ou 3 millions qui ont été dépensés pour les collections, le reste concerne les travaux, et cela me permet de faire une belle opération immobilière », assume-t-il.

EFFET FRONT NATIONAL

L’histoire de ce musée remonte à 2002 lorsque Georges Frêche, président de la communauté d’agglomération de Montpellier, décide de créer un « musée de l’histoire de la France en Algérie ». « Il avait cédé au lobby des rapatriés qui voulaient faire un lieu à la gloire de l’Algérie française », explique Georges Morin. En 2010, son successeur, Jean-Pierre Moure, choisit de nommer une conservatrice, de solliciter des historiens et de réorienter le projet en rebaptisant le musée « histoire de la France et de l’Algérie ». « Il s’agissait d’élargir la problématique initiale, de tout mettre sur la table afin de prendre en compte toutes les mémoires », insiste M. Morin.

Deux ans de travaux scientifiques et d’aménagement, trois mille pièces rassemblées, trois millions d’euros déboursés pour l’achat de tableaux, de photographies et d’objets, des prêts calés avec le Musée du quai Branly et le MuCEM, une exposition permanente en cours d’élaboration et une première exposition temporaire (« L’Algérie et la France au miroir de la Grande Guerre »), labellisée par la Mission du centenaire : le musée semblait sur les rails. Sur le blog qu’il tenait pendant la campagne des municipales, Philippe Saurel s’était dit favorable au projet : « J’estime qu’en histoire il n’y a rien de pire que le non-dit. »

Pourquoi ce revirement ? Un membre du conseil scientifique du musée, qui ne veut pas être cité, y voit un effet Front national. « La victoire de Ménard à Béziers a terrorisé tout le monde dans la région. Pour avoir la paix, on refuse de regarder l’histoire en face. » Un autre évoque « un retour de la politique clientéliste à la Georges Frêche » et la pression des associations de rapatriés. « Les pieds-noirs ont bien compris que ce projet était vicié depuis l’origine », finit par lâcher le maire qui qualifie le dossier d’« extrêmement polémique ». Et ajoute : « Je ne marcherai pas sur la mémoire des Français d’Algérie. Le projet a changé d’âme le jour où Frêche est mort ; il est devenu moins chargé de sens, plus historique et plus général. »

Benjamin Stora ne décolère pas : « La France ne veut pas entendre parler d’une présence culturelle algérienne, c’est inouï. » Pour ce spécialiste du Maghreb et des guerres de décolonisation, « les élus municipaux anticipent d’éventuelles réactions non consensuelles, il y a comme une forme de peur ».

Philippe Saurel fait remarquer que sa décision de stopper le musée « n’a soulevé aucune protestation, ni des associations ni des élus des communes de l’agglomération, mais seulement du conseil scientifique. Que vaut-il mieux pour un centre-ville : un centre d’art contemporain capable d’attirer 800 000 visiteurs par an ou un musée de l’Algérie qui aura cinq visiteurs par jour ? J’ai été élu pour gouverner, je gouverne. »

Pour son projet alternatif, M. Saurel envisage de passer une convention avec le fonds régional d’art contemporain et de réactiver une ancienne convention avec Beaubourg. Quant au Musée de l’histoire de la France et de l’Algérie, le maire propose de le délocaliser à l’ouest de la ville dans les locaux désertés du Musée de l’infanterie.