Montage de véhicules en Algérie: Entre « usines tournevis » et une industrialisation par étapes

Montage de véhicules en Algérie: Entre « usines tournevis » et une industrialisation par étapes

Tout le monde a bien compris à la lecture des très nombreux articles, commentaires d’ « experts » , reportages et vidéos publiées dans la presse nationale au cours des derniers jours que le développement d’une industrie de montage automobile dans notre pays serait tout sauf « un long fleuve tranquille ».

Résumé des chapitres précédents : Pour conserver leur place sur un marché algérien qui tend à se fermer aux importations, les constructeurs automobiles internationaux sont en voie de se décider à faire le pas qui était réclamé depuis plusieurs décennies par les pouvoirs publics et à commencer à installer des usines de montage en Algérie. La démarche, très volontariste, adoptée par le gouvernement algérien dans ce domaine met fin à près de 30 années d’hésitations et d’attentisme et pourrait permettre à notre pays de produire plusieurs centaines de milliers de véhicules dans quelques années.

Cette stratégie qui semblait d’abord couronnée de succès avec une rapidité surprenante connaît cependant ses premiers couacs et soulève déjà de nombreuses interrogations.

Les « usines tournevis », tricherie ou première étape ?

Il est remarquable de constater que le débat médiatique national s’est focalisé au cours des dernières semaines sur la question du caractère « industriel » ou non des usines de montage déjà installées ou programmées en Algérie. Le « taux d’intégration » est la grande vedette de toutes ces « analyses » dont les plus pessimistes affirment qu’on est face à une « tricherie » pure et simple de la part des constructeurs. Des commentaires plus tempérés insistent sur le fait que le taux d’intégration de 40% fixés par les pouvoirs publics algériens est seulement un objectif à moyen terme que les constructeurs se sont engagés à réaliser dans un délai de 5 ans.

L’existence d’ « usines tournevis » est un vieux débat international ,tout nouveau en Algérie en raison de l’absence d’investissements internationaux dans le domaine manufacturier, mais que nos voisins marocains, entre autres exemples, ont expérimenté depuis plusieurs décennies. Pour fixer les idées, signalons que l’industrie automobile marocaine, dont les succès récents sont souvent cités en exemple par la presse nationale et internationale, a déjà près d’un quart de siècle d’existence et que le taux d’intégration moyen de cette industrie de montage automobile dominée par le groupe Renault est estimée actuellement à environ 35 %.Un vaste projet industriel, ratifié avec le partenaire Renault en 2106, et basé sur la création d’un ambitieux écosystème de sous- traitance vise à porter ce taux d’intégration à un niveau supérieur à 65% à l’horizon 2023.

Controverse sur les taux d’intégration

Deux ans après la naissance officielle de son industrie automobile, l’Algérie n’en est bien sûr pas encore là. Renault Algérie Production annonçait à l’occasion du deuxième anniversaire de sa création une production de 30 000 véhicules depuis 2 ans et un taux d’intégration de 30 % .Un chiffre qui ne semble pas avoir convaincu les pouvoirs publics algériens puisque le ministre de l’industrie, M.Bouchouareb, estimait voici quelques jours dans une intervention à la radio nationale le taux d’intégration atteint par l’usine de Oued Tlelat à seulement 20% tout en se félicitant du résultat ainsi obtenu.

Qui connait la Tahkout manufacturing company ?

Mais c’est un autre projet qui est en train de semer le doute sur les chances de succès du développement d’une filière automobile dans notre pays. Il s’agit de celui de la Tahkout Manufacturing company. L’usine, installée à Tiaret, doit produire dans une première phase pas moins de 30.000 véhicules /an pour élever sa capacité à 100.000 unités par an en 5 ans. Ce projet, inscrit dans le cadre d’un partenariat entre ce groupe privé et le constructeur sud-coréen Hyundai vise un taux d’intégration atteignant les 40% dans les cinq années qui suivront la mise en production de l’usine .

De « mauvaises langues » faisaient courir depuis plusieurs mois le bruit que l’usine de Tiaret aurait commencé à monter des véhicules qui ont été interdit à l’importation et sont revenus en Algérie en pièces détachées. Plus récemment, des photos ont circulé sur les réseaux sociaux montrant des véhicules Hyundai neufs et emballés, importés dans des containers, où seules les roues étaient démontées, mettant en cause la pertinence de l’usine d’assemblage Tahkout.

Tahkout Manufacturing Company (TMC), propriétaire de l’usine d’assemblage des véhicules Hyundai en Algérie, a répondu de façon très didactique aux critiques dont l’entreprise fait l’objet : « TMC a commencé par l’assemblage des véhicules comme l’ont fait précédemment deux autres constructeurs de renommée mondiale en Algérie en appliquant le principe du SKD qui demeure le plus simple et le plus adapté à notre pays, dans le sens où il applique une formule d’assemblage de kits assez simple », explique TMC dans un communiqué publié jeudi dernier qui rappelle également que l’usine « de montage a été réalisée en un temps record qui ne dépasse pas les 9 mois ».

L’entreprise indique en outre avoir lancé un deuxième projet d’usine, « encore plus complexe, qui demande plus de technicité et un investissement assez conséquent ainsi qu’une main d’œuvre très qualifiée comparée aux industries du SKD ». « Ce projet, dit de CKD, a été entamé, et une grosse partie de ce projet est déjà en cours de réalisation telle que la mise en place des lignes de production et la construction des ateliers de soudage et de peinture, un projet qui voit le jour graduellement et sera finalisé dans peu de temps ». « Le projet de l’intégration des composants et de pièces produites en Algérie par des entreprises algériennes, viendra compléter les efforts fournis par les équipes ayant participé à la concrétisation du premier projet de l’assemblage », affirme par ailleurs le communiqué de TMC.

Bouchouareb répond aux critiques

Le ministère de l’industrie aurait-il de doutes sur la capacité de la Tahkout Manufacturing Company a respecter ses engagements ? Sur les ondes de la radio nationale M. Bouchouareb avait précisé dès le dimanche 12 mars que « le gouvernement s’opposera à tout projet qui n’est pas viable et qui ne donne pas de garantie à travers « un pacte technologique signé avec le constructeur pour réaliser un taux d’intégration minimum de 40% sur 5 ans » . M .Bouchouareb a ajouté que « Hyundai vient de démarrer mais nous l’observons. Si on ne voit pas qu’il y a une amélioration dans le taux d’intégration, le contrat sera rompu ».

Le ministre a également affirmé avoir signalé, il y a quelques semaines, que « ceux qui s’inscrivent dans l’activité de montage des véhicules seront observés et les conséquences seront tirées au cas où il y aurait des défaillances ». Selon lui, « le principe sera le même pour tous les constructeurs , pour garder leur part du marché, ils ont intérêt à monter en cadence vers le niveau de 40% du taux d’intégration. Les facilités fiscales seront liées à l’amélioration du taux d’intégration ».

Le feuilleton Tahkout se poursuit

A l’heure actuelle, le feuilleton Tahkout se poursuit et Abdeslam Bouchouareb a indiqué dimanche 26 mars qu’une inspection diligentée par le Premier ministre allait se rendre à l’usine Tahkout de Tiaret pour vérifier que les obligations prévues dans le cahier des charges sont respectées. « Le Premier ministre, Abdelmalek Sellal, va dépêcher une inspection mixte comprenant l’Inspection générale des finances, l’Inspection générale des douanes et l’inspection générale de l’industrie ainsi que les représentants de l’Enacta (Etablissement national de contrôle technique automobile), a-t-il indiqué . Cette mission va « se déplacer ces jours-ci sur le site de l’usine et on verra ce qu’il y a lieu de faire ». Bouchouareb a également souligné que « TMC a signé un engagement et un cahier des charges, et la première inspection a donné un résultat positif ».

Par ailleurs, une « visite guidée » organisée le 26 mars par TMC à l’intention de la presse à l’intérieur de l’usine de Tiaret semble indiquer clairement que le processus utilisé au sein de l’usine se traduit par le montage de 37 kits différents et correspond bien au « principe du SKD » décrit par le communiqué de l’entreprise. Les reportages effectués au sein de l’entreprise nous apprennent également qu’elle a déjà créé un peu plus de 400 emplois seulement trois mois après sa création.