Par Kebdi Rabah.
Le Foot a en effet atteint une telle notoriété que tout ce qui contribue à marquer (avant, pendant et même après) l’évènement, sera indélébilement comptabilisé comme faisant partie de son histoire. C’est dire que depuis sa création en 1930, en vingt éditions, un passé formidable a eu le temps de s’écrire, de se densifier et de passionner des milliards de gens de toutes conditions, de toutes professions. Des légendes ont été écrites, des livres ont été édités, des films produits à profusion. Bien sûr cette histoire réserve ses faveurs en priorité aux grandes nations qui se sont partagé les 20 trophées, aux grands acteurs qui se sont illustré balle aux pieds, mais il serait erroné de penser qu’ils en ont l’exclusivité. Certains pays qui ne l’ont jamais remporté, ni même réussi à dépasser les tours primaires, ont quand même laissé leur empreinte, à leur manière, au point qu’il est impossible aux historiens de parler de l’épreuve sans les citer. L’Algérie, avec quatre modestes participations, en est l’un d’eux. Elle fera parler d’elle à trois reprises dont une seule fois en tant qu’acteur direct.
D’abord en 1958 lors de la sixième édition organisée en Suède. Remportée par le Brésil, elle a vu la consécration pour la première fois de son histoire d’une « Nation-Foot » avec un jeu de rêve et la naissance d’un jeune prodige, sans doute le plus grand à ce jour, nommé Pelé. L’Algérie n’existait pas en tant que Nation, c’était un département de la France de près de sept millions d’indigènes qui s’étaient mis dans la tête que près de cent trente ans de présence coloniale suffisait amplement pour une « mission civilisatrice ». Aussi prirent-il la résolution d’en découdre par les armes avec la « mère patrie » et se lancèrent dans une insurrectionle premier novembre 1954. Pour la France métropolitaine, loin du champ de bataille, il s’agissait de troubles mineures internes, à traiter fermement sans trop d’inquiétude ni de publicité. Au demeurant, il y avait plus important que quelques fellagas : toute une équipe à préparer en vue de la coupe du monde dont la France est partie prenante pour la phase finale. Elle se doit de faire bonne figure, il y va de la renommée du coq gaulois pas tout à fait remis de la débâcle du 10 Mai 1940. L’équipe de France renferme en son sein des éléments de valeur, issus de la grande équipe de Reims, deux fois finalistes de la coupe d’Europe des Clubs Champions.
Elle avait aussi deux perles originaires de la colonie : Mustapha Zitouni et Rachid Mekhloufi, évoluant respectivement à l’AS Monaco et à l’AS Saint Etienne. Deux joueurs exceptionnels parmi tant d’autres titulaires dans les autres équipes du championnat de France.
L’Algérie, colonie de la France, n’avait pas le droit de figurer parmi les prétendants au voyage en Suède. Et bien qu’à cela ne tienne, elle fera parler d’elle autrement, autant sinon plus que n’importe laquelle des nations disputant cette coupe du monde. Comment ? D’une façon tout à fait remarquable et inattendue : Le FLN (Front de Libération Nationale) donna l’ordre à tous les footballeurs professionnels « indigènes » jouant en France de quitter leur club employeur et de rejoindre Tunis pour former la fameuse équipe FLN. Lorsque la France découvrit brutalement le départ massif de tous ces joueurs, à la veille du coup d’envoi du Mondial de 1958, ce fut un séisme pour l’opinion Française et internationale qui prit conscience enfin qu’on ne joue plus sur leur terrain, qu’il y a un pays engagé dans une guerre pour un idéal de liberté qui surclasse toutes les joutes et les médailles. C’était cela le message des joueurs qui abandonnèrent richesse et carrière pour former la glorieuse équipe du FLN. L’équipe de France quant à elle se classa troisième à cette coupe du monde et Just Fontaine, doublure de Rachid Mekhloufi, établit son record de buts inscrits (13) inégalé à ce jour. Mais de ce Mondial c’est l’Algérie qui en tira le plus grand profit car, en plus d’être à l’origine de la constitution d’une « dream team » qui porta haut les couleurs nationales à travers le monde, ce fut pour sa cause un vecteur amplificateur d’une puissance plus grande que toutes les clameurs des stades réunies. Aujourd’hui encore cet évènement ressort comme fait majeur chaque fois que des historiens parlent de cette l’édition de 1958. Le meilleur joueur de ce tournoi, Raymond Kopa envoya même une carte postale de Suède à Tunis pour dire à ses ex équipiers qu’il les comprenait parfaitement.
Il y eut ensuite 1982 : Cela faisait vingt ans que l’Algérie est indépendante et que la Méditerranée a cessé de couper la France en deux. Désormais l’Algérie a un drapeau, un hymne national et une compagnie Aérienne. Elle a également une équipe de Foot Ball pétris de grands talents dont quelques-uns évoluent en France eh oui ! Cette équipe se qualifie brillamment et gagne son billet pour la première fois pour l’Espagne organisatrice de cette douzième édition. Tout un peuple, qui a plus que doublé depuis 1958, épris de culture Foot, est derrière son équipe surnommée les fennecs ou les verts. Malgré la valeur du onze Algérien, à l’exception des chauvins, tous sont conscients qu’en terme de niveau, on ne peut rivaliser avec les grosses cylindrées. Représentant,en compagnie du Cameroun,le continent Africain, l’essentiel pour nous est de faire bonne figure et éviter de rééditer « l’exploit » du Zaïre en 1974 qui perdit 0/9 contre la Yougoslavie. Ce serait honorable de perdre dignement contre l’Allemagne que le tirage au sort a placé dans notre groupe en compagnie du Chili et de L’Autriche. Contre toute attente l’Algérie fut à l’origine de deux faits majeurs qui ont fait le buzz dirait-on aujourd’hui. Le premier : celui d’avoir battu l’imbattable Mannshaft, futur finaliste de l’épreuve, et le second de l’avoir obligée à une parodie de match avec les Autrichiens (que tous appelaient dès lors Autricheurs) pour leur permettre de se qualifier au deuxième tour. L’Algérie fut éliminée, la seule à l’être après avoir gagné deux matchs sur trois, mais elle en est sortie grandie en donnant l’occasion à tous les observateurs de démystifier ceux qui se voulaient donneurs de leçon en matière d’éthique sportive. Depuis, la FIFA résolut de faire jouer les rencontres de troisième journée de chaque groupe en même temps. Etre à l’origine de la modification du règlement de la FIFA, peu d’équipes peuvent se targuer de le faire. Et bien l’Algérie l’a fait, elle a inscrit son nom dans la jurisprudence de la FIFA et c’est une manière de marquer la scène aussi bonifiant qu’une victoire.
Enfin, deux ans avant la fin du vingtième siècle, c’est à notre ex « mère patrie » que revient le privilège d’organiser le Mondial. L’Algérie n’y est pas, malgré les quatre places réservées à l’Afrique. En pleine décennie « rouge et noire », elle avait les bombes et les meurtres de masses à gérer. Les quatre places sont donc prises par le Maroc, le Cameroun, le Nigéria et l’Afrique du Sud. Mais l’Algérie toute absente avait un représentant sur place et pas des moindres. Ce sera le vainqueur du trophée et sera aussi élu meilleur joueur du tournoi. Ce Monsieur n’est autre que le grand .Zinedine Zidane. Le meilleur footballeur que la France ait connu et il est de père et de mère Algériens, Kabyles de la région de Bejaïa plus précisément. Aux yeux de la presse et du grand public, ça ne passe pas inaperçu et rien ne pouvait l’extraire du sillon de ses origines. Bien au contraire il mit un point d’honneur à le revendiquer,ce qui eut pour effet de voir se déployer le drapeau Algérien dans les stades au point où même la presse s’est vu obligée de l’intégrer dans son corpus médiatico-informatif. La victoire de l’équipe de France sur le Brésil fut aussi celle des beurs avec tout ce que cela sous-tend comme implication sur l’émigration et leur patrie d’origine. Un acronyme « BBB »: blancs, blacks, beurs fut inventé et mis à l’honneur pour clouer le bec à tous les racismes. Les Algériens ont supporté la France parce qu’il y avait Zidane, ils ont fait la fête, tous les ingrédients de l’émotion étaient là. N’est-ce pas le but même du mondial ? Huit ans plus tard, lors de la dix-huitième édition en Allemagne, ce même joueur, en finale, donna le coup de tête le plus célèbre de sa carrière. C’est Marco Materazi, un joueur Italien, qui le reçut en plein sternum. On ne saura jamais pour quelle raison exacte.
Zidane, l’auteur, le Franco-Algérien, refusa de s’expliquer, se contentant de dire que Materazi avait attenté à ce qu’il avait de sacré. Quand il a fallu donner une explication à ce geste, c’est dans les origines culturelles, familiales et Algériennes de son auteur que les spécialistes ont cherché à décrypter les motivations profondes d’une telle réaction.Malgré l’enjeu et son expulsion par l’arbitre, sachant l’attachement viscéral des Algériens à la protection de leur honneur « nif », il y eut très peu de gens à le condamner. Le Président de la République Français lui-même dit le comprendre.Présentement, l’affaire Benzema aurait pu prolonger en filigrané le souffle de l’Algérie sur l’actuelle édition, mais il est trop tôt pour en parler.
Ainsi, puisque l’état déliquescent de notre en Football nous empêche une fois de plus de vibrer et de battre la mesure au son du « one twothree », contentons-nous de penser que l’histoire retiendra qu’une présence mémorielle dans un Mondial équivaut à crever le petit écran balle au pied. Comme dans nombre de domaines, s’il est indispensable d’être, il n’est pas toujours nécessaire d’y être.