Dans l’Algérie de l’indépendance, les parents s’étaient donnés pour rôle de prodiguer la meilleure éducation possible à leurs enfants, afin d’en faire des citoyens capables de faire face à leurs responsabilités, des hommes et des femmes qui allaient changer le futur de leur pays, le sortir du sous-développement, et l’élever au rang des plus grandes nations.
Cinquante ans plus tard, ces aspirations ont beaucoup changé, parce que l’Algérie a beaucoup changé. La « décennie noire » est passée par là, avec son lot d’horreurs qui ont marqué à jamais les esprits des Algériens, et il n’est plus question de préparer les jeunes aux responsabilités. Non, aujourd’hui il est question de protéger les enfants de la violence quotidienne, habituelle dans laquelle notre société s’est enfoncée, engluée.
Les conditions de vie des Algériens sont très difficiles : chômage, manque de logements, école et hôpitaux loin d’être à la hauteur des attentes légitimes des citoyens, pas de perspectives pour l’avenir,…
Alors, c’est le règne de la débrouille. Les parents sont fatigués de devoir faire des « acrobaties » avec leur maigre budget pour arriver à joindre les deux bouts. Ils n’y arrivent pas, et se reposent en partie sur l’aide de leurs enfants, qu’ils sortent d’on ne sait où, mais qui aide bien quand même.
Les jeunes sortent de plus en plus tôt d’un système scolaire qui n’a fait qu’exacerber leurs frustrations, et il ne leur reste que la rue pour seul refuge, comme seule source de travail. Alors tout y passe, les micro- commerces, mais aussi (et surtout) les petits et gros trafics. Cambriolages, trafics de drogue,…un milieu dans lequel il faut manger avant d’être mangé.
Dans ce monde, le moindre désaccord se règle à coups de couteaux, car perdre la face devant les autres, c’est perdre leur respect, et la crainte révérencielle qu’ils doivent toujours garder au cœur en vous voyant. Dans ce milieu, on cherche à être craint plutôt qu’aimé.
Une mère, hadja Fatma, nous ouvre son cœur : « Mon mari est mort alors que mes six enfants étaient encore très jeunes. Il a fallu que j’aille travailler, et même comme ça ils manquaient de beaucoup. Il n’y avait pas de place pour les petits plaisirs. Très vite, mon dernier, Bachir, a voulu gagner de l’argent pour sortir de cette misère, et être comme tout le monde, tout simplement. Mais pour y parvenir, il a pris le mauvais chemin, celui des gens pas comme tout le monde justement. Il a fait de petits cambriolages, vendu de la drogue,… Je n’en savais rien au début, et quand je l’ai appris, c’était déjà trop tard. La rue l’avait prise, il disait que ses copains étaient comme une famille. Sauf que quand ça va mal avec « un frère », ça finit souvent à l’hôpital. Ils sont prêts à s’entretuer pour une parole, pour un regard. J’ai tout fait pour le convaincre de reprendre l’école, de faire un stage. Perte de temps, il me dit : » je gagne plus en une semaine que toi en six mois « . Comment voulez-vous rivaliser et le remettre dans le droit chemin avec de tels arguments ? ».
L’argent facile, la crainte qui se lit dans les yeux des autres, se sentir fort, supérieur,voilà ce que recherchent certains jeunes et ce qui les jette dans la spirale de la violence. Pour les en sortir, il faudrait leur proposer un vrai projet pour leur avenir. Or pour l’instant, rien de tout cela.