L’émotion était grande hier au carré des Martyrs du cimetière de Sidi-Braham, en contrebas de la ville de Miliana, des moudjahidine, des moudjahidate, des enfants de chouhada, des élus et de simples citoyens de tous âges ont accompagné du regard, un regard embué de larmes, la longue procession de jeunes militaires portant dans des caissons en bois, recouvert de l’emblème national et vaporisés à chaque passage de parfum par les mains tremblotantes d’émotion d’une moudjahida et d’un jeune de l’Algérie indépendante, les restes de 40 chouhada pour les poser devant ce qui sera pour l’éternité leur demeure, une demeure digne de leur statut de martyrs et digne du sacrifice suprême consenti pour que vive l’Algérie indépendante.
Signe du destin, ces chouhada, dont les restes ont été retirés d’une fosse, commune ont aujourd’hui une sépulture décente, digne de leur sacrifice et ce, à la veille de la commémoration de la journée nationale du Chahid.
Ils étaient là, ces hommes de Novembre réunis autour de M. Saïd Abadou, secrétaire général de l’Organisation nationale des moudjahidine, accompagné du wali de Aïn-Defla pour leur rendre hommage et pour s’incliner à leur mémoire.
Officiers de la glorieuse Armée de Libération Nationale, djounoud et moussebiline, le visage grave, l’esprit envahi par le souvenir et les souffrances endurées lors de la glorieuse Révolution armée, ils étaient là, par devoir, par fidélité aussi au serment prêté.
C’est au niveau de l’actuel caserne du Groupement d’intervention rapide de la gendarmerie nationale, dans la ville de Miliana que les restes de ces chouhada ont été trouvés. La pelleteuse a mis au jour des os, nous révèle le commandant du GIR. Des travaux devaient être effectués pour la construction d’une salle de sport dans l’enceinte même de la caserne. Aussitôt les travaux ont été suspendus et un travail minutieux et délicat de fouille a été entamé. C’est un véritable charnier qui est découvert, les ossements entassés pratiquement. L’alerte est donnée.
Aussitôt l’Organisation nationale des moudjahidine est contactée. Les ossements sont acheminés sur Alger où, ils subissent un examen scientifique approfondi au niveau du centre de criminologie de la gendarmerie nationale. Les résultats sont formels, il s’agissait bien de restes de chouhada, ces ossements datent d’une cinquantaine d’année, soit entre 1957 et 1958. Du temps du colonialisme, la structure servait de quartier général pour la soldatesque française et de centre de transit pour les civils algériens et les moudjahidine arrêtés. Un centre de tri, un centre de torture précisément, et des témoins encore vivants sont là, ils étaient présents hier à Miliana pour en témoigner. Miliana compte 830 martyrs, dont 18 femmes, près de 10% de la population algérienne musulmane de l’époque. C’était juste après la fameuse bataille d’Alger, les paras de Bigeard se sont installés au niveau de ce centre. Les ossements de chouhada, qui sait, peut-être même enterrés vivants, mais sûrement torturés, relève un ancien moudjahed, sont là pour parler, pour témoigner des atrocités et des crimes perpétrés par l’armée colonialiste française.
Maarouf Araïbi Abderahmane
M. Saïd Abadou, secrétaire général de l’ONM
«Criminalisation du colonialisme, sans rancune mais pour consacrer le droit des peuples à vivre en paix et libres»
Voilà un des crimes de guerre commis par le colonialisme français, a souligné M. Saïd Abadou dans sa prise de parole. C’est un crime commis contre l’humanité tout entière, il mérite d’être sanctionné par les nations, par l’humanité tout entière. Pensaient-ils que leurs crimes ne seraient pas découvert, en voilà la preuve, une preuve supplémentaire, et d’appeler « les parlementaires à ouvrir la voie pour que soit criminalisé le colonialisme ». Sans haine pour le peuple français, sans rancune aucune, a précisé le secrétaire général de l’ONM, « mais pour que soit consacré le droit de tous les peuples à la liberté, à l’indépendance. »
Cette terre sacrée d’Algérie, arrosée, irriguée du sang des martyrs mérite toute notre attention et tout notre engagement a relevé M. Abadou. En s’adressant aux jeunes générations : « Il nous faut être vigilants et unir nos efforts pour la défendre et la construire, construire une Algérie forte, basée sur la justice, l’égalité, la fraternité en fidélité au serment prêté aux chouhada ».
Reprenant Ferhat Abbas à qui un journaliste lui demandait le pourquoi de cette Révolution : « Nous luttons pour que nos enfants ne vivent pas la misère que nous avons vécue. » Et, la meilleure preuve de fidélité au serment des Martyrs a conclu M. Abadou : “ C’est comme l’a déclaré le moudjahed Abdelaziz Bouteflika, construire tout simplement l’Algérie.”
Omar Ramdane
Présentement membre du Conseil de la nation, M. Omar Ramdane est l’un des commandants de l’historique Wilaya IV. Il était présent hier au cimetière de Sidi Braham pour l’inhumation des restes des 40 chouhada, la gorge nouée par l’émotion. Et pour cause, les os de sa propre mère étaient peut-être là aussi, dans l’un des caissons. Oum Cheikh Zitouni dont l’un des établissements scolaires de la ville de Miliana porte le nom, avait été arrêtée et emprisonnée dans le sinistre centre de transit. Ses enfants avaient pris les armes, répondant à l’appel du Front de Libération Nationale.
Ahmed Benslimane s’en souvient, il était jeune embarqué par les forces coloniales. « Courage mes enfants, il ne faut pas avoir peur », elle avait envoyé par terre un officier d’un magistral coup de pied. Elle était forte physiquement et moralement. Un jour elle n’est pas revenue de la séance d’interrogatoire, doux euphémisme pour parler des atroces séances de torture. «C’est sûr que j’y pense de temps à autre, mais à l’époque quand la nouvelle de son arrestation m’est parvenue, j’étais dans le feu de l’action, nous confie M. Omar Ramdane.
En 1962, juste après le cessez-le- feu, j’ai chargé M. Boualem Benhamouda, qui faisait partie de la commission mixte de suivi, de se renseigner sur ma mère. L’officier français, un certain colonel Colombier voulait me voir, pour m’expliquer, j’ai refusé. J’avais compris que je ne la reverrais plus. » A l’indépendance, avec le retour des moudjahidine et la joie des retrouvailles, Omar et ses frères et sœur trouvent la maison vide. Même pas une tombe pour se recueillir sur sa mémoire. Une grande peine, il est vrai, mais la joie, la grande joie de cette indépendance retrouvée était comme un baume.
Semmar Mohamed
Semmar Mohamed est fils de chahid. Son père, Abdelkader est passé également par ce centre de transit. Il n’en est jamais revenu. Torturé à sang, enseveli vivant dans une fosse commune, blessé par les pires des atrocités sans être soigné, à quelques mètres seulement de l’hôpital de la ville, jouxtant la caserne de sinistre mémoire. Il a été arrêté en novembre 1958, à 4 h du matin.
« Si je meurs prends soin de mon benjamin, de Mohamed » devait-il demander à un de ses compagnons. Chaque jour, après une « séance d’interrogatoire, il revenait dans la cellule le corps en sang, le visage tuméfié, peinant à marcher, à parler même. Un jour, il n’est plus revenu. Ses compagnons de cellule avaient compris. Les paras de Bigeard venaient de signer un énième crime. Deux de frères de Mohamed, alors encore jeune, étaient au maquis. L’un d’eux s’est suicidé au lendemain de l’indépendance, son esprit n’avait pu supporter les terribles et inhumaines séances de torture dont il traînait les séquelles physiquement et moralement…
Propos recueillis par A.M.A.