Ce n’est pas tant l’information que la CIA piste Belmokhtar qui est la révélation, mais l’aveu américain vaut son pesant d’or car révélateur de la conception que se font la Maison-Blanche, le Pentagone et le département d’État du terrorisme.
Le sujet, décrété par Washington au lendemain des attentats de New York du 11 septembre 2001, de préoccupation majeure et de tâche d’intérêt géostratégique, aura été soumis à la démarche américaine du deux poids, deux mesures. Officiellement, les États-Unis avaient déclaré la guerre totale au terrorisme international allant jusqu’à graduer leurs relations bilatérales et multilatérales à l’aune de ce combat planétaire, mais force est d’admettre que le combat à leurs yeux était plutôt restrictif et que tout compte fait, ils ne l’ont engagé que lorsque leurs propres intérêts l’ont exigé. Leurs 007 et autres soldas de l’ombre ont suivi de près le parcours et les activités de Belmokhtar mais ils n’avaient jamais tenté de l’appréhender ou de le neutraliser.
Et certainement ce ne sont pas les opportunités qui ont manqué. Lorsqu’Obama a voulu exposer dans son tableau de chasse Ben Laden pour le jeter aux requins dans la mer Rouge, la CIA a réagi au quart de tour. Et cette cohorte de chefs djihadistes régulièrement exécutés par des drones américains en Afghanistan, dans les zones tribales du Pakistan et au Yémen. Mais Belmokhtar lui a jusqu’ici échappé parce que les barbouzes de la CIA et consorts n’ont pas reçu les ordres de la hiérarchie militaire de leur pays. Les chefs du Pentagone se défaussent aujourd’hui en affirmant avoir été dissuadés d’émettre l’ordre de neutraliser Belmokhtar par le rapport de l’ex-ambassadrice américaine au Mali prévenant qu’une opération de ce genre contre le terroriste en chef du Sahel provoquerait des troubles tribaux au nord du Mali ! Islamabad a invoqué des considérations similaires dans sa lutte contre le terrorisme, son gouvernement et ses services de sécurité se sont vus ipso facto accusés par Washington d’entretenir de coupables liens avec le terrorisme international. Les nombreux États qui ont fondé leur sécurité uniquement sur la coopération internationale ménagée par les États-Unis, à laquelle ils ont enrôlé les autres nations du monde en les menaçant par le “qui n’est pas avec nous est contre nous” brandi par George
W. Bush, doivent savoir que pour ceux-ci, les seuls terroristes que l’Amérique doit traquer et neutraliser sont ceux qui visent ses intérêts nationaux. Tant qu’il n’avait pas attaqué les intérêts US, Belmokhtar pouvait exercer en toute impunité ses activités. Contrairement à ses alter ego en guerre contre l’Amérique. Dans ces cas de figure, la CIA ne s’est jamais embarrassée de considérations, allant jusqu’à violer la souveraineté d’États tiers, comme au Pakistan. Ainsi donc, pendant dix ans Belmokhtar a pu tisser des complicités avec les organisations d’Al-Qaïda, la nébuleuse terroriste internationale dans le point de mire des États-Unis, s’établir dans le nord-Mali et fédérer ses groupuscules sahéliens, des schbebs de Somalie au dernier-né, le Mujao en passant par Boko Haram du Nigeria.
Les Américains se sont contentés de suivre ses péripéties de leurs yeux ! Washington ne s’est pas contenté de préserver la vie du terroriste en chef le plus recherché dans le Sahel, probablement que les Américains, estimant que Belmokhtar ne représentait pas une menace pour leurs intérêts, n’ont pas renseigné leurs partenaires dans la lutte antiterroriste pour qui les menaces du chef terroriste représentent un danger constant. Washington ne pourra pas démentir qu’il savait que le terroriste le plus recherché du continent africain a vécu pendant presque une année dans une villa jaune entourée d’un muret dans le quartier de Bourgoundjé, à Gao, dans l’est du Mali. L’ex-clinique de la Croix-Rouge a aussi été sa seconde maison, entre juin 2012 et janvier 2013.
Les jeunes de Gao qui savaient tout de ses déplacements, eux qui passaient régulièrement à son domicile, afin d’y récupérer du carburant pour les motos, des puces de téléphones, des cartes mémoires, de l’argent, disent que la vie de Belmokhtar était réglée comme une horloge. Ça ne pouvait pas échapper à la CIA : chaque soir, il partait à 20 heures dormir dans le désert et revenait le lendemain au lever du soleil, et s’il quittait la ville à bord d’un Land Cruiser blanc, sans plaque d’immatriculation, à Gao, il n’avait raté aucune prière du vendredi.
D. B