Moi, Algérien, 27 ans, chercheur au Massachusetts Institute of Technology: «Il faut apprendre à ne plus attendre l’Etat pour trouver un emploi»

Moi, Algérien, 27 ans, chercheur au Massachusetts Institute of Technology: «Il faut apprendre à ne plus attendre l’Etat pour trouver un emploi»

Un parcours universitaire ordinaire entamé dans une université algérienne peut, contrairement à ce que pensent aujourd’hui beaucoup d’étudiants, mener très loin, et pas nécessairement à aller allonger la liste des diplômés chômeurs.

Riyadh Baghdadi, Algérois de 27 ans, en témoigne. Plutôt que de s’attarder sur les causes du retard scientifique et du déficit de la recherche en Algérie, il préfère se concentrer sur l’essentiel : travailler dur et faire de son mieux. C’est le principal message qu’il veut transmettre aux milliers de jeunes étudiants parsemés dans les universités algériennes, accusées de «former des diplômés ignorants». De l’Ecole supérieure d’informatique (ESI) au prestigieux Massachusetts Institute of Technlogy, aux Etats-Unis, la voie était pavée de travail. De beaucoup de travail.

Entretien réalisé par Samir Tazaïrt

Reporters : Vous avez fait toute votre instruction en Algérie, complétée en France par un doctorat spécialisé, puis vous entrez dans le premier centre de recherche de la planète auquel nous devons la moitié des inventions qui régissent nos vies. Comment fait-on pour se retrouver dans le prestigieux Massachussetts Institute of Technology ?

LG Algérie

Riyadh Baghdadi : A mes yeux, mon parcours est des plus ordinaires. Il a commencé en 2010 lorsque j’ai obtenu mon diplôme d’ingénieur en informatique à l’Ecole supérieure d’informatique, puis il était question pour moi de franchir d’autres étapes. La première, c’était le doctorat, que j’ai fait à Paris-VI. Pour prétendre au poste de doctorant, j’ai dû vraiment travailler très dur, car la concurrence était particulièrement rude. Une fois le doctorat en poche, j’ai entrepris l’étape suivante durant laquelle j’ai effectué beaucoup de stages dans le but de préparer un excellent curriculum vitae qui pourrait justement me conduire le plus loin possible. Alors, j’ai enchaîné les stages en tant que chercheur associé chez nVidia, Google, l’INRIA… Tout ceci m’a beaucoup aidé à arriver au Massachusetts Institute of Technology où je prépare un post-doc. J’ajouterai que la thématique et l’objet de mes recherches durant mon doctorat ont été déterminants, car ils ont motivé l’intérêt porté à mes travaux par des chercheurs qui travaillent sur la même discipline. Un premier contact s’est établi et, depuis, j’ai été appelé à collaborer avec eux.

C’est donc vous-même qui avez provoqué une telle opportunité ou alors est-elle seulement le fruit de la providence ? 

C’est toujours moi qui cherche les opportunités ; à charge pour moi de préparer un curriculum vitae qui me dirige vers une meilleure opportunité chaque fois que possible !

Une fois au MIT, qu’est-ce qui a immédiatement retenu votre attention ?

Beaucoup de travail, beaucoup de challenges, un environnement de recherche vraiment riche, d’excellents chercheurs, d’excellents étudiants, mais surtout un océan d’opportunités avec les industriels ! Tout ce que nous faisons est directement utilisé par l’industrie. A titre d’exemple, nous menons tout juste des travaux de recherche sur un nouveau langage de programmation et qui est d’ores et déjà en cours de déploiement et de production chez Facebook, Google et Toyota. Ce que nous faisons au MIT, c’est véritablement de la recherche pour et vers l’industrie. D’ailleurs, c’est de cette dernière que proviennent les financements de nos travaux de recherche.

A propos, sur quoi menez-vous vos recherches et pour quelles applications ?

Nous nous penchons sur l’élaboration de langages de programmation destinés aux systèmes haute performance, c’est-à-dire des systèmes qui utilisent la puissance de plusieurs microprocesseurs afin d’accélérer les calculs. Cela peut aller d’un simple téléphone portable muni d’un processeur multi-cœur à une carte graphique dotée également d’une multitude de cœurs de calculs, en passant par les supercalculateurs. Ce que nous tentons de faire, c’est d’écrire des langages simples à utiliser pour la programmation de ces machines ; un exercice réputé difficile et complexe, car nécessitant l’écriture de milliers de lignes de code et de scripts.

Ce nouveau langage sur lequel nous travaillons doit également rendre accessible à des profils non informaticiens, comme les biologistes, les mathématiciens ou des ingénieurs issus d’autres disciplines, l’utilisation simplifiée de ces machines haute performance pour leurs besoins en calculs et leurs propres travaux de recherches dans leurs domaines respectifs et qui font appel à la puissance des calculs – simulations en temps réel, rendus graphiques complexes, par exemple, NDLR. Dans le chapitre des applications, je vous citerai l’exemple d’un langage de traitement d’images que nous avons créé, Halide, et que nous avons destiné aux professionnels du domaine. Cas concret : il est utilisé par Google dans la partie image de Google Plus. Une fois qu’un utilisateur charge une photo dans Google Plus, elle est automatiquement redimensionnée, améliorée et optimisée. Tout comme dans Facebook d’ailleurs. Un autre exemple d’application : un système embarqué dans un smartphone, si simple à utiliser en apparence sans même avoir des connaissances poussées en informatique, alors que derrière c’est de la haute performance de calcul. Une thématique passionnante sur laquelle mes confrères et moi-même travaillons et qui est la continuité de mon doctorat en France, surtout c’est, une nouvelle fois, l’une des raisons qui font que je suis au MIT.

« Nous nous penchons sur l’élaboration de langages de programmation destinés aux systèmes haute performance, c’est-à-dire des systèmes qui utilisent la puissance de plusieurs microprocesseurs afin d’accélérer les calculs. »

Votre doctorat, que vous avez effectué en France, vous a conduit au MIT, certes, mais quels ont été la part et l’apport de l’Université algérienne dans le fait que vous vous retrouviez dans ce prestigieux institut ?

Je dirai que l’Université algérienne m’a apporté la base. Beaucoup d’amis aussi ! Cela dit, il y a un aspect de l’informatique que nous faisons très bien en Algérie, et un autre que nous faisons beaucoup moins bien. En tout cas, la part de l’Université algérienne est là, c’est la base. Ensuite, c’est à chacun de se créer ses propres ouvertures, ses propres initiatives.

Que faisons-nous très bien et inversement ?

L’aspect théorique, nous le maîtrisons parfaitement. Son corollaire, le côté pratique, en revanche, non. Il est vrai que, maintenant, la situation s’améliore quelque peu. Pour preuve, à l’Ecole supérieure d’informatique (ESI), beaucoup de choses ont changé, notamment les programmes d’enseignement qui sont nettement mieux. Mais, en général, je ne m’attarde jamais sur le côté négatif de quelque chose ; je reste toujours dans le positif.

Une fois le post-doc achevé, quelles sont vos perspectives, rester aux Etats-Unis ou revenir au bercail, en Algérie ?

Pour le moment, j’avoue que ce n’est pas encore clair pour moi. C’est un post-doc, donc cela peut aller de trois à cinq ans. Revenir en Algérie est une possibilité, rester aux Etats-Unis aussi.

Mais vers quelle possibilité la balance penche-t-elle ?

Beaucoup plus rester quelques années aux Etats-Unis, disons six à sept ans, puis songer à rentrer.

Différents rapports mondiaux n’ont pas épargné l’Université algérienne qui a de tout temps été considérée comme peu performante. Vous avez fait tout votre cursus à l’Université algérienne avant de vous essayer aux universités française et américaine. Quel est votre comparatif-classification à vous qui avez vécu et fréquenté ces universités dont les dernières sont réputées pour leur classement qui tient le haut du pavé ? 

Il est clair qu’aux Etats-Unis, c’est nettement mieux comparativement aux deux universités algérienne et française réunies. En informatique, le meilleur endroit pour travailler et faire de la recherche sont les Etats-Unis. C’en est presque évident ! Il existe des différences entre chaque pays, mais l’Algérie… reste encore en voie de développement. Il ne faut pas comparer l’Algérie avec les Etats-Unis ni avec la France, ce qui n’aurait pas de sens ! D’ailleurs, entre les Etats-Unis et la France existe une grande disparité : les Américains sont orientés pratique, les Français, eux, sont plutôt orientés théorie.

Ray and Maria Stata Center, bâtiment à l’architecture déconstructive où travaille Riyadh Baghdadi.

Pourquoi vos initiatives vous ont-elles conduit à nVidia, au MIT… et non auprès de centres de recherche algériens, à l’image du CDTA – Centre de recherche et de développement des technologies avancées – qui, pourtant, dispose de laboratoires qui planchent sur l’intelligence artificielle ? Les avez-vous approchés et essuyé un refus ?

Non, pas du tout ! Je suis en phase de «building» – construction – et j’ai besoin encore de quelques années à l’étranger pour devenir un vrai chercheur. Le faire en Algérie, oui, peut-être, mais les opportunités ne sont pas les mêmes. Si l’on veut faire de la recherche sur des thématiques précises, il faut chercher le meilleur endroit pour le faire, si on peut le faire. C’est ce que j’ai fait ! Si nous recherchons l’excellence, ça c’est le parcours normal.

Donc, il n’était pas facile ou possible pour vous de vous épanouir ici en Algérie…

Ce n’était pas facile, et ce, pour beaucoup de raisons ! D’abord, parce que le rayon ou le spectre des thématiques de recherche existantes est très limité. Ensuite, l’entreprise n’est pas reliée à l’université, d’où l’absence d’un écosystème recherche-entreprise. En Algérie, il y a de la recherche effectuée à partir d’un programme gouvernemental, un programme universitaire, mais il n’existe aucun programme de recherche émanant d’une entreprise ou dont les résultats lui sont destinés. L’entreprise n’investit pas dans la recherche, ni la subventionne, l’Etat continue à être le principal bailleur de fonds de la recherche scientifique ou technologique. A vrai dire, il est très difficile de faire de la recherche orientée application.

A votre avis, pourquoi l’entreprise algérienne n’investit-elle pas dans la recherche ?

Pour rester dans mon thème de prédilection, il n’existe pas d’entreprises algériennes qui utiliseraient et appliqueraient à leur échelle les résultats de mes recherches. De plus, en Algérie, la majorité des entreprises, ou du moins celles qui exercent dans le domaine de l’informatique, sont versées dans les systèmes d’information, un type d’entreprises qui n’ont pas besoin de faire de la recherche. Pour résumer, nous n’avons pas en Algérie de gros industriels qui ont besoin de recherche ou d’inventions scientifiques pour leur pérennité. Et donc, pas encore d’entreprises d’une taille telle qu’elles deviennent demandeuses et consommatrices de recherche scientifique.

Qu’avez-vous retenu de chacun de vos passages à l’ESI, à Paris-VI et maintenant au MIT ?

A l’ESI, j’ai appris à apprendre. A Paris-VI, j’ai appris ce qu’est la recherche. Maintenant au MIT, j’apprends comment appliquer les résultats de la recherche dans la vie de tous les jours.

Récemment, le Conseil national économique et social (Cnes) établissait le nombre de diplômés algériens qui partent travailler ou pousser le niveau de leurs études à l’étranger à 10 000 par an, alors que le Centre de recherche en économie appliquée au développement (CREAD) parle de 30 000. Surtout, ce dernier, a appelé l’Etat à créer des mesures de rétention s’il veut arrêter la saignée. Sur ce dernier point, ne vous sentez-vous pas vous-même retenu ici en Algérie ?

Si on veut revenir en Algérie, il existe pleins d’opportunités. Je pense que c’est à nous de bâtir notre Algérie. Pour ma part, je n’attendrai pas que l’Etat me demande de revenir pour le faire, c’est à moi de revenir et de travailler. Je sais que je peux aller à l’ESI ou à l’USTHB où il y a des postes à occuper soit dans l’enseignement, soit dans la recherche. Sauf que les opportunités à l’étranger sont plus nombreuses et de loin incomparables, et c’est ce qui attire principalement les diplômés algériens. Lorsque je parle d’opportunité, il faut entendre un meilleur salaire, un meilleur niveau de vie, un meilleur cadre de vie… et c’est tout à fait normal d’aspirer au meilleur ! Seulement, ceux qui décident de revenir en Algérie savent qu’ils font un sacrifice. Si l’on revient en Algérie, nous abandonnons un excellent salaire, un excellent environnement de travail et peut-être plus, un excellent cadre de vie. C’est un sacrifice.

« Je dirai que l’Université algérienne m’a apporté la base. Beaucoup d’amis aussi ! Cela dit, il y a un aspect de l’informatique que nous faisons très bien en Algérie, et un autre que nous faisons beaucoup moins bien. »

Depuis la chute des prix de l’or noir et la «fonte» de nos réserves de changes, l’Algérie s’est engagée au pas de course dans une ré-industrialisation du pays et diversification de notre économie dans le but de la sortir de sa dépendance de la rente pétrolière. Imaginons un instant que vous étiez à la tête du portefeuille de l’Industrie, qu’aurait été votre stratégie pour diversifier notre économie ?

Il existe pleins d’opportunités rien que dans le domaine informatique dans lequel nous n’avons même pas besoin d’investir beaucoup sauf, peut-être, en amont, dans la formation, alors que les revenus engendrés sont énormes. Je fais allusion à l’offshore, là où les Marocains nous ont devancés de beaucoup, au même titre que les Tunisiens qui prennent des projets européens ou américains pour les développer sur leur sol et les livrer une fois finis, avec une importante entrée en devises fortes. Pour en revenir à votre question, ma stratégie aurait ciblé en priorité la formation qu’il est important de réorienter et de faire corréler avec l’emploi. Il faut former, en nombre et en qualité, en adéquation avec les emplois à pourvoir. J’aurais également porté toute mon énergie sur les PME, véritables créatrices d’emplois et de richesses de par le monde. Et surtout apprendre aux jeunes de ne plus attendre l’Etat pour leur trouver un emploi, mais qu’ils prennent l’initiative de créer leur propre entreprise et leur propre emploi. Il faut qu’ils apprennent à être autonomes et à être entreprenants.

Et quel serait votre message aux étudiants algériens ?

De travailler beaucoup et durement, et de faire de leur mieux. L’essentiel est de faire de son mieux. Et aussi de moins attendre des autres !