Mohammed Méchati est l’un des rares survivants du Groupe des 22 qui ont pris l’initiative du 1er Novembre 1954. Il est l’une des mémoires vivantes des faits qui ont marqué la glorieuse Révolution de Novembre. Cet ancien militant pour la libération de l’Algérie, livre à notre journal, son sentiment sur le Congrès de la Soummam, et surtout sur son artisan, Abane Ramdane.
L’Expression: En votre qualité d’ancien membre du Groupe historique des 22, qui a planifié le déclenchement de la guerre de libération, que reste-t-il, aujourd’hui, de l’héritage du Congrès de la Soummam, 56 ans après?
Mohammed Méchati: L’héritage du Congrès de la Soummam, celui de tous les Algériens, a été confisqué par certaines personnalitées politiques et militaires ambitieux, sourdes et aveugles, coupables de crimes abominables. Ces gens-là se sont imposés par la force des armes, faisant fi des sacrifices du peuple. Ainsi, il va sans dire que l’héritage du Congrès de la Soummam a été torpillé. Ces gens-là sont coupables des échecs enregistrés depuis l’Indépendance à ce jour. L’exemple d’Ahmed Ben Bella, qui s’est retrouvé Premier président de l’Algérie indépendante, renseigne amplement sur les déviations idéologiques commises à la veille de la libération de l’Algérie. Quant à ceux qui ont traité Abane d’ «agent de l’ennemi», voire de «traître», et lorsque ces accusations viennent d’un haut responsable de la Révolution, cela est plus grave encore. Comment se fait-il qu’une personne comme Ahmed Ben Bella, ancien sous-officier de l’armée française, enrôlé dans le régiment des Tabors (un régiment réservé uniquement aux Marocains), décoré par Charles de Gaulle, et qui avait divulgué et donné des informations bien détaillées sur l’Organisation spéciale (OS) à la police française, lors de son arrestation, s’est retrouvé président de l’Algérie indépendante? Pis encore, celui qui était ennemi déterminé du Congrès de la Soummam, et conduit par les bons soins de Abane Ramdane et de Mohamed Larbi Ben-M’hidi, a osé salir la mémoire de nos valeureux piliers de la Révolution sans que les hautes autorités du pays réagissent et encore moins le Front de libération nationale (FLN).
Où voulez-vous en venir?
C’est très simple de comprendre, regardez seulement le FLN, par exemple, héritier des orientations du 1er Novembre et du Congrès de la Soummam, est devenu un parti, qui se cherche des repères identitaires, religieux et culturels dans d’autres contrées ignorant les valeurs ancestrales des Algériens. Il en a fait de même à l’aube de l’Indépendance. L’ex-parti unique a déraillé, devenant un moyen pour le pouvoir et non un parti porteur des espoirs de Novembre.
Pourtant, la Proclamation du 1er Novembre, couronnée par le Congrès de la Soummam, est un acte fondateur de l’État algérien moderne et pilier déterminant pour la réussite de la Révolution algérienne. Ce congrès a été principalement organisé par Abane Ramdane, qui a réussi à rallier à sa cause Ben M’hidi et Krim Belkacem. Les partisans du Congrès de la Soummam étaient Krim Belkacem, Omar Ouamrane, Si M’hamed Bouguerra et Zighoud Youcef. Le congrès, qui a consacré la primauté du politique sur le militaire, de l’Intérieur sur l’Extérieur, affirmant que l’Algérie ne sera pas, à son indépendance, l’Orient et non plus l’Occident, comme référence à la construction du futur Etat algérien souverain. Donc, il fallait déterminer les principes fondateurs conduisant aussi bien à la victoire de la Révolution algérienne sur le colonialisme français, que la pose des premiers jalons pour bâtir un Etat algérien digne des sacrifices consentis par le peuple durant un siècle et demi. Les organisateurs du Congrès avaient su traduire les revendications du peuple algérien en projet de société et arrêté la conduite à prendre pour faire tomber le colonialisme français. Ils avaient mis de l’ordre dans la Révolution et adopté la plate-forme politique qui a permis la mise en place des structures et instances de la Révolution sur les plans interne et externe, en vue de transformer la lutte armée en une révolution populaire, et définir le champ d’action sur le plan diplomatique afin de conquérir l’opinion internationale pour le soutien de la lutte armée du peuple algérien et son droit à recouvrer sa souveraineté nationale. Une tâche dont s’occupait le Gpra (Gouvernement provisoire de la République algérienne).
Que pensez-vous de l’homme, Abane Ramdane, et de son rôle durant la Révolution?
Abane s’est comporté en chef, parce qu’il est un véritable chef. Même incontestable par ses détracteurs. Et quel chef! En pleine guerre, ne s’est-il pas comporté, en homme autoritaire et intransigeant? Néanmoins, n’oublions pas qu’Abane avait également cet art de discuter, écouter, objecter, lorsqu’il n’était pas convaincu.
Il était très ouvert aux idées aux suggestions et aux pro positions, qui lui étaient faites. C’était en effet un véritable chef, crait par ses idées et ses prises de position. D’ailleurs, même mort, il ne cesse de hanter les esprits de ses détracteurs et de servir de repère au peuple algérien. Les idées de Abane quant à la primauté du politique sur le militaire sont connues. L’histoire ne lui a-t-elle pas donné raison pour la période antérieure à 1962 comme pour celle qui lui a succédé? Ainsi, au cours de son itinéraire de militant, que cela soit au PPA-Mtld où il a été membre du Comité central après avoir été chef de wilaya, que cela soit au FLN dont il a dirigé les destinées, il a toujours fait montre de nationalisme et de patriotisme, condamnant sévèrement toute tentative de division ethnique ou régionale. Abane n’éprouvait aucun complexe devant qui que ce soit. Pour Abane, l’impératif, c’était l’unité de tous les Algériens sans distinction, qui seule pouvait libérer l’Algérie de la domination coloniale. Et, stratège qu’il était, il a, contre la propagande de la France qui accusait le FLN d’être au service d’une puissance étrangère, fait savoir dans la Plate-forme que «la Révolution algérienne est un combat patriotique dont la base est incontestablement de caractère national, politique et social. Elle n’est inféodée ni au Caire, ni à Londres, ni à Moscou, ni à Washington». Seulement, l’évocation du nom du «Caire» a suscité et renforcé la haine de Fethi Dhib et bien sûr de Abdel Nasser contre Abane. Car ces derniers se comportaient comme des «tuteurs de la Révolution algérienne».
Vous avez rencontré des membres de la Délégation extérieure du FLN durant votre détention en prison, qu’en est-il de leur position à l’égard du Congrès de la Soummam?
Ce dont je me souviens comme sujet de discorde, qui ne cessait de rendre les rapports tendus entre Alger et Le Caire, c’étaient les éléments envoyés d’Alger pour représenter le FLN sur la scène, internationale et qui étaient contestés par ceux du Caire: Debbaghine, Ferhat Abbas, Kiouane, Tewfik El Madani. Cependant, dans chacune de ses lettres au Caire, Abane revient à la charge sur la question des armes où il parle des insuffisances et des défaillances commises par ceux qui représentaient la Révolution à l’extérieur, notamment au Caire. D’ailleurs, c’est par souci de régler tous ces problèmes politiques, militaires et autres et désigner la direction officielle du FLN absente de la scène politique depuis 2 ans qu’Abane finit par prendre l’initiative de s’adresser aux chefs de maquis en vue d’une rencontre. A ce sujet, il faut dire qu’Abane avait au préalable l’accord de Krim (Kabylie), Ouamrane (Algérois).
Cependant, il n’avait pas pu rejoindre Benboulaïd, alors qu’à Zighoud Youcef (Nord-Constantinois) il dépêcha Saâd Dahlab. Pour ceux qui étaient à l’extérieur et même en prison, en l’occurrence Aït Ahmed, Ben Bella, Ben M’hidi, Boudiaf, ils ont été contactés par le biais des avocats du FLN. Seul Ben M’hidi, qui avait déjà pris la décision de rentrer, le fera et sera à Alger en mai 1956. Signalons juste qu’en prison, Ben Bella menait une campagne critique contre Abane et s’est montré manifestement contre le Congrès de la Soummam.
Ben Bella nous a même demandé de nous mettre à l’écart de Hocine Aït Ahmed qui a soutenu le Congrès de la Soummam et Abane dans son initiative