Au regard des liens culturels, linguistiques et religieux qui unissent les deux peuples, la rupture peut-elle durer éternellement? On ne fait que retarder une échéance inéluctable.
A chaque fois que des bonnes volontés à Alger militent pour un nouveau départ entre l’Algérie et le Maroc, le roi alaouite ou un de ses ministres brisent ces efforts par des maladresses regrettables. Ils torpillent ainsi des démarches que des hommes politiques et des associations algériennes et marocaines peaufinent pendant des mois loin des feux de l’actualité, pour la construction du Grand Maghreb. Le dernier discours que le monarque a prononcé à l’occasion du 36e anniversaire de la «Marche verte» procèdent de ces missiles dévastateurs. Pour les observateurs politiques, rien ne justifie cette attitude belliciste du roi. Ce discours qui prend le sens inverse de l’Histoire a surpris plus d’un. Au plan régional, l’Algérie et le Maroc apparaissent comme désormais deux îlots à sauvegarder et qui ont jusque-là échappé à un bouillonnement arabe dans lequel émerge un islamisme inattendu. A la veille des élections législatives anticipées au Maroc, ce discours n’est pas fait pour resserrer l’axe Alger-Rabat contre le péril vert rampant sur toute la région maghrébine. Jamais la conjoncture régionale n’a été aussi propice pour les deux pays – à défaut de tourner la page – se tourner vers l’avenir. L’Algérie a besoin d’une ouverture vers le voisin de l’Ouest étant donné que sa frontière orientale est très instable du côté libyen et incertaine sur le flanc tunisien. Le Maroc a d’autant plus besoin de cette ouverture d’abord pour sortir de son splendide isolement et ensuite respirer au plan économique. L’Europe est au bord de l’asphyxie financière. Une récession économique, qui n’est pas exclue dans les toutes prochaines années, sera dévastatrice pour le Maroc dont le tourisme constitue l’une des premières ressources en devises. L’ouverture des frontières avec l’Algérie représente, au bas mot, une cagnotte de trois milliards de dollars à gagner et au moins un million de touristes à attirer avec ce que cela sous-entend comme dépenses des touristes algériens nantis en pétrodollars. L’Algérie aura à bénéficier évidemment des produits agroalimentaires marocains très prisés en Europe, du savoir-faire dans le secteur agricole et de la main-d’oeuvre marocaine au lieu de faire appel à des Chinois dont on ne maîtrise pas la culture et on ne comprend pas la langue. La liste des avantages d’une réelle normalisation entre les deux pays est loin d’être exhaustive, encore faut-il une prédisposition politique. En février dernier, c’est-à-dire à deux mois du début des révoltes arabes, l’Algérie et le Maroc ont convenu, d’une initiative politique destinée à renforcer leurs relations bilatérales. Les deux pays ont conclu un accord qui permettra des échanges de visite ministérielle. La roue a commencé à tourner dès le mois de mars dernier quand les ministres de l’Energie, de l’Agriculture et de l’Education des deux pays ont échangé des visites. On se rappelle des couvertures en grande pompe réservées par les médias des deux pays à ces visites, notamment celle des ministres de l’Agriculture. On est loin du clash de 1994. Le 26 août de cette année, une attaque terroriste contre un hôtel à Marrakech fait tomber le rideau de fer. Avant même que le sang des deux touristes espagnols tués dans l’attaque ne séche, les autorités marocaines accusent les services de sécurité algériens d’avoir fomenté cette attaque. Elles décident même d’instaurer le visa pour les ressortissants algériens désireux de se rendre au Maroc.
Tout cela, sans attendre les conclusions d’une enquête. Répondant par la réciprocité, Alger décide de fermer la frontière terrestre avec le Maroc. Que de dégâts économiques pour les villes frontalières marocaines, que d’occasions ratées depuis pour les deux peuples! Des petits pas de part et d’autre ont permis d’éclore des bourgeons d’espoir en mars dernier. Mais ce discours du roi Mohammed IV vient d’annihiler tout espoir d’une relance. Il faut attendre le prochain printemps. Mais devant les liens culturels, linguistiques et religieux entre les deux peuples, la rupture peut-elle durer éternellement? Ils ne font que retarder une échéance inéluctable.