À quelques jours d’un match décisif de qualification à la Coupe du monde, le ministre de la Jeunesse et des Sports a été sommé hier de parler encore une fois de football, un sujet qui, quoi qu’on fasse, finit toujours par accaparer les débats.
Aussi, le match à venir n’aura rien d’anecdotique dans un pays où le football est en passe de devenir véritablement une deuxième religion. L’enjeu politique est également prééminent. Il faut dire qu’un but de football peut, de nos jours, pulvériser l’horizon. Ça réussit à rendre les Algériens heureux même dans la misère ! Non seulement ça vient rompre l’ordinaire mais cela donne du rêve. Et particulièrement à ceux qui n’en ont plus.
Comme dans l’Antiquité, où c’était, paraît-il, les jeux du cirque qui faisaient oublier au bon peuple — comme au mauvais — ses ennuis du quotidien, le football est, bel et bien, ce sport roi dont usent et abusent nos dirigeants. Plus qu’une pratique sportive, le “spectacle” est devenu, de nos jours, une compétition qui tente, selon de nombreux observateurs, de justifier la violence doublée d’une vaste entreprise d’abrutissement. Derrière le “divertissement”, il y a en effet beaucoup de manipulation, de la politique, de la corruption, de la magouille, des matchs truqués, du blanchiment d’argent, des salaires indécents… Aussi, le professeur Mohamed Tahmi a commencé par affirmer qu’il ne pouvait pas endosser un maillot qui n’est pas tout à fait le sien. “Le sport ce n’est pas seulement le football. Il faut aider aussi les autres disciplines.” Invité à dresser les grandes lignes de son département, le ministre a tenu, d’emblée, à préciser qu’il s’occupait bien de la jeunesse, des sports. Une manière de rappeler que l’actualité “boulimique” se rapportant au sport et précisément au football ne saurait occulter ses autres responsabilités. En matière d’activités pour la jeunesse, l’invité de Liberté a insisté sur le rôle important que doit jouer son ministère.
Il révélera, ainsi, l’existence au sein du gouvernement d’un comité intersectoriel regroupant pas moins de 17 ministères chargés de se pencher sur cette question cruciale. Il livrera à cette occasion la démarche progressive qu’il entend imprimer à son secteur. “Il s’agit d’une nouvelle procédure qui consiste à financer des projets et non pas le fonctionnement des associations”. Le ministre de la Jeunesse et des Sports veut rompre, semble-t-il, avec la politique d’assistanat qui, selon lui, se résume “à recevoir des subventions de l’État et à rester absent sur le terrain”. Sur ce plan, le ministre révélera que le ballon ne tourne toujours pas rond. D’après lui, beaucoup d’argent a été distribué ces dernières années. “L’État finance à hauteur de 80%.”
Comment moraliser le secteur
Devant les questions des journalistes se rapportant aux deniers publics injectés dans le secteur, le ministre n’hésite pas à parler ouvertement de “disfonctionnements”. Un euphémisme qui vient rappeler que son secteur (comme tant d’autres) est aujourd’hui gangrené par la corruption. Que peuvent faire, à cet égard, une inspection générale avec ses huit inspecteurs pour lutter contre, ce qui est devenu, hélas, un “sport national” ?
Le ministre ne veut pas s’avouer vaincu.
“Nous avons un programme de travail étalé sur une année avec de nombreux contrôles routiniers.
En une année seulement, nous avons saisi à cinq reprises l’Inspection générale des finances qui doit, elle, qualifier les faits pour pouvoir aller en justice. Il faut moraliser et lutter contre ces pratiques qui sont de véritables entraves à l’essor sportif national. Il s’agit de délimiter les responsabilités des uns et des autres.” Dorénavant, les associations sportives sont tenues de déposer leurs demandes de “financement de projets” auprès d’une commission ministérielle chargée de les examiner. Il ne s’agit plus de financer comme auparavant sans discernement le fonctionnement même des associations. S’ensuit alors une procédure d’évaluation trimestrielle des dépenses engagées nonobstant les différentes inspections qu’aurait à mener le ministère. Ceci dit, le ministre a tout de même réitéré la volonté de l’État à encourager et à promouvoir ces associations qui, souligne-t-il, sont “partie intégrante de la société civile”. Il annoncera, par ailleurs, que l’édifice règlementaire va être enrichi par neuf nouveaux textes qui, selon lui, sont, aujourd’hui, fins prêts pour être discutés avec les fédérations et les autres partenaires. Il s’agit notamment de la création d’une maison des fédérations, de l’encadrement des comités de supporters, et du sport scolaire. Concernant ce dernier volet, le professeur Tahmi s’est dit désolé de constater que ce creuset d’athlètes potentiels, un véritable vivier, ait dévié de sa véritable vocation à savoir la pratique sportive. Sur un autre registre, le ministre révélera que la violence dans les stades a diminué de “manière significative” lors de la saison écoulée. Il en veut pour preuve les chiffres de la DGSN qui font état d’une réduction du nombre d’incidents, d’interpellations, de présentations au parquet, de mandats de dépôt et de véhicules saccagés. “La société est, peut-être, en train de changer”, a-t-il spéculé, un brin optimiste. Quoiqu’il en soit, il saluera, à ce propos, les efforts continus des services de sécurité qui, faute de juguler définitivement ce phénomène, le maîtrisent, selon lui, aujourd’hui, beaucoup mieux. Pour lui, contenir des supporters de plus en plus nombreux n’est jamais une mince affaire. Y a-t-il eu un “pont aérien” vers Ouagadougou lors de la phase aller du match de barrage ? Le ministre est catégorique : “Nous n’avons pas mis un centime !” Et de remercier particulièrement les sponsors pour avoir mis la main à la poche et pour avoir facilité, ainsi, le déplacement des supporters. Quant aux maladies infectieuses dont auraient été contaminés certains supporters de retour du Burkina Faso, le ministre s’est montré à ce sujet plutôt sceptique. “Tout le monde a été vacciné normalement contre le paludisme. Des comprimés à prendre, avant et après le séjour, ont été prescrits. Ceci dit, je sais en tant que médecin qu’avec toutes ces mesures, on n’est pas à l’abri à 100% puisqu’il existe des formes résistantes de ces maladies.” S’agissant du diktat “politico-commercial” d’Al-Jazeera qualifié par le ministre d’inacceptable, il a avoué son impuissance en matière de droits de retransmission des matchs. “Bien sûr qu’on est partisans de l’intérêt national mais rien ne pourra être fait sans passer par les instances internationales à savoir la CAF et la Fifa, seules habilitées à discuter de ces droits. De ce point de vue, leurs statuts mêmes devraient être revus”.
Enfin, le problème ne se pose pas pour le match retour puisque c’est la Télévision algérienne qui va donner le signal. Il préconise toutefois pour le Mondial que les médias publics et privés pensent à acheter à l’avance les droits car “ce serait malheureux d’être exclu de cet événement pour des raisons commerciales”. Sur le plan des résultats sportifs aux différentes joutes internationales, l’année 2013 a été, d’après lui, plutôt fructueuse sauf que les succès engrangés durant cette période n’ont pas été “suffisamment médiatisés” car occultés vraisemblablement par les piètres résultats du football qui, lui, a toujours les faveurs des médias.
Il citera les disciplines qui se sont distinguées en l’honneur de l’Algérie comme les arts martiaux, le handisport ou encore l’haltérophilie, autant de “parents pauvres” de nos médias. S’agissant, par ailleurs, de la réalisation de nouvelles infrastructures, le ministre donnera un chiffre impressionnant : “En tout, ce sont 11 000 projets qui ont été lancés !” Il pointera du doigt l’exploitation de ces enceintes sportives comme, par exemple, l’accès aux piscines. On apprendra, ainsi, qu’il existe en Algérie 90 piscines qui, du propre aveu du ministre, gagneraient à être mieux utilisées.
Il révélera, ainsi, que l’on fait du “commerce” autour de ces bassins en y monnayant notamment les inscriptions. Enfin, pour le professeur Tahmi, il est temps de mettre le holà à ces pratiques, et ce, d’autant que 271 autres piscines de proximité sont inscrites au programme. “Si avec tout cela, l’Algérie ne devient pas une nation sportive, on devrait penser à céder notre place aux autres”, a-t-il conclu sincèrement.
M.-.C. L