Les dépenses à tours de bras du gouvernement pour financer des augmentations sans précédent des salaires et le lancement inconsidéré des projets d’infrastructures gigantesques qui avalent des milliards de dollars, ne font plus l’unanimité. C’est en tout cas le sens à donner à la montée au créneau du président du Conseil national économique et social (CNES) qui a jugé utile aujourd’hui de mettre le holà sur les ondes de la radio chaîne III.
La hausse de la dépense publique à hauteur de 25% dans la loi de finances complémentaire 2011, a fait sortir Mohamed Seghir Babés de sa réserve habituelle pour pointer du doigt une politique porteuse de «dérives».
Le président du CNES qui est dans son rôle, en sa qualité de responsable d’une institution chargée d’évaluer les politiques publiques, a ainsi tiré la sonnette d’alarme sur les dangers que représente le recours systématique au trésor public pour financer les projets et les mesure sociales.«25 % de hausse, cela signifie 23,5 milliards de dollars qui sont injectés en autorisations de programmes et en crédits de paiements. C’est lourd. Cela doit s’apprécier», s’est exclamé M. Babès, sur un ton contrarié par ce recours à la solution de facilité. Ce reproche lourd de sens s’adresse prioritairement au gouvernement et son chef qui pilotent les projets et tentent d’acheter la paix sociale par la distribution à tort et à travers des augmentations de salaires avec effets rétroactifs.
Le président du CNES accuse implicitement le gouvernement d’être en panne d’imagination pour concevoir des politiques qui à même d’amorcer une croissance hors hydrocarbures. M. Babès pointe également la multiplication de chantiers pharaonique lancés simultanément et qui engloutissent des milliards de dollars grâce à l’argent du pétrole.
C’est pourquoi, Babès a invité le gouvernement a «reconsidérer certains aspects ». « Devant la masse des investissements qui portent sur les grosses infrastructures, qui relèvent d’un effort de rattrapage historique sur le désinvestissement qui a marqué le dernier quart de siècle, il faut décaler un certain nombre d’investissements» indique t-il. Pour autant M. Babès estime que le gouvernement doit faire des «arbitrages», pour voir quels sont les projets à lancer et ceux qui peuvent attendre. «Il ne s’agit pas d’arrêter les méga chantiers, il faut décaler dans le temps les investissements pour permettre d’absorber les effets inflationnistes potentiels qui sont contenus dans les augmentations des salaires », a-t-il estimé.
Babès contre Ouyahia
Babès a ainsi mis le doigt sur la plaie en laissant entendre que la cascade d’augmentations des salaires des fonctionnaires et des travailleurs des entreprises publiques accompagnés systématiquement avec des rappels de trois années font planer un grand risque inflationniste. Pour y remédier, le président du CNES, recommande d’aller «vers un autre régime de croissance». Mais c’est à ce niveau justement que le bât blesse en ce sens que l’Algérie a du mal à sortir du carcan de la rente pétrolière qui plombe toute croissance économique réellement créatrice de richesse. Cela étant est dit, bien qu’il ait souligné que les dernières revalorisations salariales accordées constituent un «rattrapage», M. Babès n’en attire pas moins l’attention sur les risques.
«Évidement, la propension naturelle, lorsqu’on est dans un contexte comme celui-ci, est d’aller vers la surenchère. Et les surenchères sont potentiellement porteuses de dérives », a-t-il noté.
Le président du CNES note que l’inflation est «rebondissante» mais elle reste d’après lui «dans des limites contenables, gérable jusqu’à 2014». Un clin d’œil politique pour signifier que Bouteflika pourrait finir son troisième mandat sans trop de casse. Mais pas pour longtemps. Mohamed Seghir Babès avertit que si le gouvernement continue sur cette voie, «on ne va pas aller très loin ! ». Pire encore, il pense qu’il serait «suicidaire de ne compter que sur la rente pétrolière et gazière».
Cette sortie médiatique, un peu osée, du président du CNES est –elle annonciatrice d’un changement à la tête du gouvernement ? Il n’est pas exclu dans la mesure où les reproches ciblent d’abord le premier Ministre qui est le maitre d’œuvre de la politique ainsi décriée.