Mohamed Rezig, politologue, enseignant-chercheur à l’université d’Alger: Monarchies arabes les luttes de leadership éclatent au grand jour

Mohamed Rezig, politologue, enseignant-chercheur à l’université d’Alger: Monarchies arabes les luttes de leadership éclatent au grand jour

Très offensif économiquement et diplomatiquement, le Qatar, estime Mohamed Rezig, a fini par mettre en alerte ses voisins et inquiéter par son émergence fulgurante. Doha n’a jamais caché ses ambitions et ses prétentions pour s’assurer une place de leader dans cette région, voire au-delà. Cela a fortement embarrassé au plus haut niveau l’Arabie saoudite dont l’influence historique commençait à vaciller.

Le Temps d’Algérie : Le Qatar vient d’être mis en quarantaine par ses voisins, l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis et le Bahreïn, ainsi que l’Égypte. Quelle lecture faites-vous de cette surprenante rupture diplomatique ?

Mohamed Rezig : Est-ce vraiment une surprise ? Je ne le pense pas trop. Cette région connaît des soubresauts récurrents selon les conjonctures du moment. L’histoire nous apprend que les pays du Golfe ont souvent vécu des crises qui ont conduit parfois à des guerres. Le cumul de contentieux entre ces pays dure depuis des décennies, entre notamment l’Arabie saoudite et le Qatar ; litiges sur les frontières. A cela s’ajoutent les rivalités secrètement nourries ou carrément affichées.

Elles ont ponctué de tout temps les équilibres politiques, sécuritaires et géostratégiques dans cette région. Doha a beaucoup investi sur son image depuis ces deux dernières décennies. Fort d’une manne gazière conséquente, le Qatar a engagé des plans de développement colossaux. En deux décennies à peine, cet Etat a surpris par une émergence fulgurante dans cette partie du monde mais également à l’échelle internationale. Très attractif, offensif économiquement et diplomatiquement, il a fini par mettre en alerte permanente ses voisins. D’autant plus que le Qatar n’a jamais caché ses ambitions et ses prétentions pour s’assurer une place de leader dans cette région, voire au-delà. Cela a fini par embarrasser au plus haut niveau l’Arabie Saoudite dont l’influence historique commençait à vaciller. Les Saoudiens digèrent mal que ce minuscule Etat aspire au rôle d’acteur primordial dans les enjeux qui agitent cette région.

Il est reproché au Qatar de financer le terrorisme…

Qui peut définir à notre époque le terrorisme ? Que fait l’Arabie saoudite en Syrie et au Yémen? N’a-t-elle pas soutenu financièrement et militairement des groupes armés dans ces pays ? Ce n’est un secret pour personne, le royaume wahhabite a joué un rôle sombre et sinistre dans la promotion du terrorisme. Ceci étant, le Qatar non plus n’est pas exempt de tout soupçon. Je crois même que ces pays, en fait, se valent. Les accusations qu’ils s’échangent mutuellement, sur ce plan précis, n’ont aucun sens si ce n’est que celui de prétexter des actions et décisions comme celle qui vient de se produire.

Pensez-vous que la visite récente de Donald Trump ait pu influencer de quelque manière que ce soit cette décision de rupture diplomatique ?

Cela coule de source ! Je pense que le président américain a beaucoup de ressemblances avec l’ancien président irakien Saddam Hussein. Ils ont, à quelques différences près, le même profil. Saddam ne s’encombrait pas du tout avec les formes quand il s’agissait de traiter avec les monarchies arabes. Il savait ce qu’il voulait et y allait droit au but. Quand la diplomatie ne payait pas, il recourait à la force. Trump est sur cette voie. Il est allé en Arabie saoudite non pas pour négocier mais pour imposer sa feuille de route avec, en prime, la signature de contrats faramineux. En plus d’un jackpot s’élevant à 500 milliards de dollars, la visite de Trump avait clairement pour but de renforcer l’isolement de l’Iran. Il y a en effet une feuille de route des Américains. Cela ne date pas d’aujourd’hui. Le remodelage de toute la région se fait déjà jour.