Dans cet entretien qu’il a bien voulu accorder à L’Expression, le ministre de la Défense de la Rasd, Mohammed Lamine Bouhali, a abordé toutes les questions. Après avoir échoué d’inscrire le combat du Front Polisario parmi les organisations terroristes, les services marocains, soutenus par leurs homologues français, tentent d’inscrire les Sahraouis dans les activités des réseaux de trafic.
L’Expression: Le secrétaire général du Front Polisario et les congressistes rencontrés à Tifariti ont mis en évidence l’aspect décisif de ce XIIIe congrès comparativement aux précédents. En quoi consiste cet aspect décisif?
M.L. Bouhali: En effet, le XIIIe congrès se tient dans des conditions exceptionnelles tant au plan national, que régional et international. La nouvelle équipe du Front aura à assumer des responsabilités majeures, en l’occurrence le choix entre la reprise de la lutte armée et la continuité de la lutte pacifique et diplomatique pour le recouvrement de notre indépendance. Et puis, il faut dire que c’est un congrès qui se tient 20 ans après le cessez-le-feu. Au cours des travaux du congrès, il est prévu la prise en charge, l’évaluation de deux décennies de cesser-le-feu et qu’en est-il depuis à ce jour? Le peuple, notamment les jeunes, est au bord de l’explosion. Il ne peut plus prendre son mal en patience. La reprise des armes pour briser les chaînes du colonialisme marocain n’est pas un mot vain pour eux. Les débats du congrès en sont une preuve. Beaucoup de congressistes ont plaidé pour la reprise de la lutte armée contre l’occupant marocain. La patience a des limites. Les signes du réveil de la résistance armée dans l’esprit du peuple sahraoui sont là. Ils disent qu’ils ne peuvent plus continuer à mourir dans l’attente. Hommes et femmes ont compris que l’autodétermination s’arrache, et elle ne se donne pas. Néanmoins, comme l’a dit à l’ouverture des travaux du congrès le secrétaire général du Front Polisario et chef de l’Etat, la reprise de la résistance armée est une décision souveraine du peuple sahraoui.
Prétendez-vous alors à la reprise de la lutte armée contre l’occupant marocain?

Moi, je suis un soldat au service du peuple. L’armée sahraouie qui est placée sur une ligne défensive tout le long de la frontière avec le Maroc, s’étendant sur une ligne de 2400 km, n’attend que l’ordre du peuple et de l’Etat de la Rasd pour se mettre en marche pour les combats de la liberté. Cette volonté est surtout animée et soutenue par l’échec des efforts de la diplomatie sahraouie, qui sont confrontés au silence de la communauté occidentale, mais surtout à celui des Nations unies qui ne bougent pas le petit doigt afin de mettre à exécution leur résolution datée de 20 ans.
L’Europe et particulièrement la France sont, foncièrement, alignées en faveur du Maroc dans le cadre de la gestion de la question du Sahara occidental. Cela s’explique par le veto que celle-ci a opposé au Conseil de sécurité contre certains pays qui ont demandé à cette institution onusienne d’élargir le champ d’action de la Mission des Nations unies pour le référendum au Sahara occidental (Minurso), dans le cadre de la protection des droits de l’homme. La France ne voulait pas que l’Institution onusienne constate de visu les violations des droits de l’homme dans les territoires occupés.
Qu’en est-il de la mission des Nations unies en charge du processus de décolonisation?
Aujourd’hui, les Nations unies nous demandent de patienter et mettre l’option de la reprise des armes en marge du processus de la décolonisation. Je pense que l’Onu est orientée contrairement à ses missions initiales par certains pays occidentaux partenaires du Maroc, en l’occurrence la France. Cette dernière a affiché, sans scrupules, sa position en faveur du Maroc. Cela s’explique notamment par ses prises de position en faveur du Maroc et contre le processus de décolonisation du Sahara occidental. La France a, comme je l’ai déjà souligné, opposé son veto au Conseil de sécurité contre l’élargissement des pouvoirs et les prérogatives de la mission onusienne de la Minurso dans le Sahara occidental.
20 ans après le cessez-le- feu, la mission des Nations unies pour le référendum au Sahara occidental n’arrive toujours pas à assurer et à mener à bon port sa mission. C’est dire qu’elle est devenue une organisation dirigée par les pays influents titulaires du veto et agit selon leurs orientations et selon leurs intérêts. Pour nous les Sahraouis, les résolutions des Nations unies dans le cadre du traitement de la question du Sahara occidental représentent le même cas que celui de la Palestine.
Les Nations unies reconnaissent notre droit à l’autodétermination, néanmoins se mettent du côté des occupants. D’où, nous comptons aujourd’hui grandement sur notre armée pour le recouvrement de notre indépendance.
Comment jugez-vous le rejet par le Parlement européen, la semaine dernière, du renouvelement de l’accord de pêche signé entre l’UE et le Maroc?
Le rejet du renouvellement de la Convention de l’Union européenne avec le Maroc par le Parlement européen mercredi dernier à Strasbourg, est tombé comme un couperet sur les gardiens du trône marocain.
Car cela ne présente pas seulement pour les autorités marocaines la perte d’un marché juteux mais surtout, c’est le fait que le Maroc a ressenti une reconnaissance indirecte du Parlement européen de la souveraineté de la République arabe sahraouie démocratique (Rasd). Donc, le protocole entre le Maroc et l’Union européenne permettant aux bateaux européens de pêcher dans les eaux sous notre souveraineté est annulé du fait qu’il est rejeté par 326 voix contre 296 en faveur du Maroc et 58 abstentions. La France coloniale aux desseins hégémoniques, a été très contrariée et a promis d’agir sur la scène européenne pour contrecarrer la résolution du Parlement européen.
Vous avez accusé les services marocains et français d’être derrière l’enlèvement des trois humanitaires européens dans le camp des réfugiés. Avez-vous des preuves matérielles certifiant vos déclarations? Et quelles sont les visées des auteurs de l’enlèvement?
En effet, nous avons suffisamment de preuves mettant le Maroc au banc des accusés pour ce qui est de l’affaire de l’enlèvement des trois humanitaires européens, dans le camp des réfugiés sahraouis de Hassi Rabuni, le 23 octobre dernier. Les services marocains ont, avec l’aide des services français, orchestré l’enlèvement de ces humanitaires pour porter préjudice a la République du Sahara à occidental et salir le combat de son peuple afin de l’inscrire dans la liste des réseaux de grande criminalité, après avoir échoué à l’inscrire parmi les organisations terroristes. Par ailleurs, il est à souligner que les individus arrêtés sont les preuves justifiant mes déclarations. Ils font partie des grands réseaux de barons de la drogue activant dans l’axe Maroc-Sahel, transitant par notre frontière. Ces derniers sont notoirement connus pour leurs ramifications avec les milieux des services secrets marocains. Parmi les 11 individus arrêtés par nos combattants se trouvait notamment le cerveau de ce groupe, qui est d’origine malienne, connu dans le milieu du trafic de drogue et entretenait des connexions avec des groupes terroristes. Il est entre les mains des services de sécurité sahraouis. Des Maliens, des Sahraouis et un Mauritanien figurent parmi les personnes arrêtées.
Pour ce qui est de la lutte contre le terrorisme et la grande criminalité, la République sahraouie est-elle en relation avec les pays du champ sahélien?
En effet, nous avons de parfaites et intimes relations avec les pays de la bande sahélo-saharienne. D’ailleurs, nous sommes toujours présents et invités dans les rencontres du Comité d’état-major opérationnel conjoint des pays du champ (Cemoc). Néanmoins, nous ne considérons pas aussi prioritaire la question de la lutte contre le terrorisme et la grande criminalité comme cela est manifesté par les pays, membres du Cemoc. Nous, nous sommes en guerre contre l’occupant marocain. Ni nos moyens humains ni matériels nous permettent de s’y inscrire activement. Cependant, notre seule préoccupation et priorité, c’est l’autodétermination de notre peuple. Néanmoins, cela n’exclut pas notre soutien indéfectible pour les actions du Cemoc et notre intervention contre les groupes terroristes et les bandes des contrebandiers quand il le faut et là où il faut.
Avez-vous des relations avec l’administration américaine ou les représentants de l’Africom sillonnant la région depuis deux ans?
Quoique nous ne soyons pas directement impliqués dans des actions de la lutte contre le terrorisme dans la région, néanmoins nous recevons les ambassadeurs des Etats-Unis établis à Alger ou au Maroc, mais aussi des hauts officiers militaires américains en mission au Sahara occidental. Nous discutons avec eux des questions liées à la mission onusienne au Sahara occidental, de processus de décolonisation mais aussi la lutte contre le terrorisme et la grande criminalité, voire de la guerre en Libye et de la prolifération des armes dans la région.
Nous entretenons un partage de renseignements lié à la stabilité de la région et aux mouvements des réseaux de criminels de tout bord.