Mohamed Laksaci propose sa vision de la stabilisation financière (contribution)

Mohamed Laksaci propose sa vision de la stabilisation financière (contribution)

Nous publions en exclusivité, le texte intégral de l’allocution de Mohamed Laksaci, ancien gouverneur de la Banque d’Algérie, le 30 juin dernier, à la 3e édition de l’Africa Meeting of the Econometric Society, une rencontre qui a eu lieu à Alger du 29 juin au 1er juillet 2017 et à laquelle a notamment pris part  le prix Nobel d’économie 2014, Jean Tirole.

Après quatorze années de stabilité macroéconomique adossée à l’excès structurel de l’épargne sur l’investissement, en situation d’augmentation soutenue du taux d’investissement, les années 2014 à 2016 ont enregistré un retournement de situation. Suite au choc externe persistant depuis mi-2014, les « coussins de sécurité » constitués au cours des années 2001 à 2013, tels que le fonds de régulation des recettes, les réserves de change et la liquidité des banques, ont subi une érosion rapide au cours des deux dernières années. Le degré d’érosion des « coussins de sécurité » notamment le fonds de régulation des recettes a fait émerger dès l’année 2015, les risques qui pèsent sur la stabilité du cadre macro financier. Sa préservation est indispensable pour engager et mener à bien une dynamique de croissance économique diversifiée sur le moyen et long termes.

1. Après trois années successives de doubles déficits, déficits budgétaire et du compte courant extérieur, la préservation de la stabilité macro financière devient primordiale à partir de l’année 2017, l’objectif étant d’asseoir les bases d’une croissance économique non inflationniste sur le moyen et long termes.

Afin de faire face au choc externe persistant et à la baisse conséquente de la fiscalité pétrolière, les pouvoirs publics ont engagé en 2016 une démarche de réduction de la vulnérabilité des finances publiques à la chute des prix des hydrocarbures. Cela a consisté en une baisse des dépenses budgétaires globales de près de 9 %, avec un rythme plus élevé pour les dépenses d’équipement. Le budget pour l’année 2016 a intégré également un ajustement à la hausse de la fiscalité sur les produits énergétiques (essence, gasoil, électricité et gaz,…). Ce début de consolidation budgétaire n’a pas pu assurer la viabilité des finances publiques, puisque le déficit global du Trésor est estimé par le Fonds Monétaire International (FMI) à 14 % du produit intérieur brut en 2016. Il s’agit d’un niveau de déficit élevé pour la seconde année consécutive (15,8 % en 2015), qui a eu pour conséquence la chute de l’encours du fonds de régulation de recettes à son niveau plancher dès le premier semestre de l’année 2016. Il s’en est suivi l’apparition du phénomène d’éviction financière suite notamment au lancement par le Trésor de l’emprunt national au second trimestre 2016.

Afin de mener à bien la nécessaire consolidation budgétaire en phase avec un objectif d’inflation de moyen terme autour de 4%, le nécessaire ajustement budgétaire graduel sur le moyen terme devrait se traduire, conformément aux dispositions de la loi de finances pour 2017, par une réduction plus significative du déficit budgétaire à partir de l’année 2017.Au-delà du volet dépenses publiques et subventions implicites, cet ajustement budgétaire devrait concerner aussi les recettes fiscales hors hydrocarbures dont l’assiette est potentiellement importante, notamment au fur et à mesure de l’intégration du secteur informel à l’économie formelle. Cela appuierait une trajectoire des dépenses budgétaires, de moins en moins vulnérables vis-à-vis de la volatilité des prix du pétrole, suite à l’adoption d’un cadre budgétaire de moyen terme (loi de finances pour 2017).

En outre, les dispositions de la loi des finances pour l’excercice 2017 évacuent la régle d’épargne budgétaire qui avait été instituée en 2000 en tant qu’un des principaux piliers de la gestion prudente des surcroîts des ressources issues des exportations des hydrocarbures. Cela offrait une protection provisoire contre les chocs externes.

La conduite de l’ajustement budgétaire graduel à partir de l’année 2017sera le principal levier de la stabilisation macro économique où le phénomène d’éviction financière devrait être contenu. Il importe de conduire la consolidation budgétaire, tout en assurant une contribution conséquente de la sphère budgétaire à « un nouveau régime de croissance ». Après une contribution directe et importante à la croissance des secteurs hors hydrocarbures qui s’est établie à plus de 6 % en moyenne annuelle entre 2000 et 2013, le stock de capital représenté par les importantes infrastructures réalisées au cours des dix années (2005-2014)précédant le choc externe, comporte un gisement d’externalités à même d’appuyer une nouvelle dynamique de croissance économique tirée par le secteur privé. Tirant profit également du potentiel en capital humain, une croissance soutenue des activités hors hydrocarbures de plus en plus diversifiées devra être appuyée par la reprise des investissements dans le secteur des hydrocarbures.

Compte tenu de la part relativement importante des importations de biens et services relevant de la sphère budgétaire, l’ajustement budgétaire est également requis pour contribuer à réduire le déficit du compte courant extérieur, estimé par le FMI à 16,9 % du produit intérieur brut pour l’année 2016. Il s’agit principalement des importations de biens d’équipement et des services liés à des projets publics. S’il existe une marge de manœuvre appréciable en termes de réduction à partir de l’année 2017 des services importés, il reste que la diminution des importations de biens d’équipement au titre des projets publics pourrait être en partie contrebalancée par l’augmentation des importations de biens d’équipement par le secteur des hydrocarbures. Cela représente un risque pour la balance des paiements qui pourrait contrarier l’objectif de réduction du déficit du compte courant extérieur au cours de la période de stabilisation consécutive à l’avènement du choc externe. Pour ce qui est des importations de biens et services par le reste de l’économie, elles seraient contraintes par des conditions financières moins favorables.

Afin de soutenir la position financière extérieure suite à l’érosion du niveau des réserves de change, le « gap » en ressources devrait être comblé en partie par le recours prudent à l’épargne du reste du monde à travers notamment des investissements directs étrangers dans le cadre de partenariats. Pour ce faire, les flux d’investissements directs étrangers devraient être stimulés au moyen de réformes structurelles, ayant pour objectif la promotion d’un cadre plus attractif pour les investissements des non-résidents en situation de consolidation de la convertibilité courante du dinar. Le recours à l’épargne du reste du monde doit venir en support à l’ajustement du compte courant extérieur. Le niveau encore adéquat des réserves de change à fin 2016 représente un élément de sauvegarde de dernier ressort, qui ne peut aucunement dispenser d’un rééquilibrage des comptes extérieurs. La flexibilité du taux de change doit demeurer l’instrument de premier plan dans cette conjoncture d’incertitude liée au secteur des hydrocarbures.

Cette flexibilité conjuguée à l’ajustement budgétaire graduel aiderait à préserver la marge de manœuvre de la politique monétaire, pour ce qui est du rôle crucial qu’elle doit continuer de jouer en matière de stabilisation macroéconomique. A court et moyen termes, la conduite de la politique monétaire fait face à deux défis majeurs, une inflation à la hausse et des risques potentiels pour la stabilité financière liés notamment au cycle de crédit en phase ascendante. En effet, le taux d’inflation s’est accru à 7 % à mai 2017 (3,9 % en moyenne annuelle pour la période 2001-2015), en dépit de la très faible croissance monétaire durant les deux années précédentes.

2. Soutenu par l’excès structurel de l’épargne entre 2000 et 2013, la structure du financement des investissements indique un niveau très élevé de l’autofinancement. Quant aux crédits bancaires internes à moyen et long termes, boostés par l’amélioration des conditions de crédit (taux d’intérêt, maturité et autres facilitations), leur progression a été appréciable durant les années 2012 à 2015. La forte expansion des crédits à l’économie au cours des années 2013 et 2014 surtout en termes réels, s’est conjuguée à des flux nets de crédits distribués aux entreprises privées portant plus sur les crédits à moyen et long termes distribués pour financer les investissements que sur les crédits d’exploitation.

En dépit de l’acuité à partir de l’année 2015du phénomène de « gap » de ressources face aux besoins de financement des investissements, l’expansion des crédits à l’économie s’est poursuivie au cours des années 2015 (11,9 %et 16,5 % les crédits rachetés y inclus) et 2016 (près de 10 %, source FMI), notamment ceux alloués aux entreprises privées. Avant la phase ascendante à partir de l’année 2012, les crédits au secteur privé avaient enregistré un taux de croissance annuel moyen de près de 23 % sur la période 2000-2009.

En situation de poursuite du programme d’investissements publics à un rythme approprié, contraint désormais par la faible capacité d’autofinancement de l’Etat, la réalisation du potentiel de croissance hors hydrocarbures devra être portée par des investissements productifs du secteur privé notamment en partenariat avec des investissements directs étrangers. Une amélioration soutenue du climat des affaires est nécessaire pour dynamiser la contribution de ce secteur à une croissance hors hydrocarbures forte et inclusive.

Le financement des entreprises par les banques et/ou à travers le marché financier ne peut remplacer une bonne décision d’investissement prise par l’entreprise elle-même, car l’amélioration de l’allocation du capital relève des entreprises. En conséquence, l’autofinancement partiel à partir de ressources propres est requis, du moins pour les grandes entreprises.

Si le financement bancaire est nécessaire pour les PME, il reste qu’il importe d’endiguer le phénomène de concentration de crédits au titre des grandes entreprises. Dans la perspective du développement graduel du marché financier pour répondre en partie aux besoins de financement de grandes entreprises, les banques devront diversifier leurs instruments de financement pour répondre avec la transparence requise aux besoins de leur clientèle des entreprises et ménages, notamment ceux résultant de nouvelles opportunités d’investissement. A cet effet, la poursuite d’un objectif cible de moyen terme portant ratio de crédit à l’investissement des entreprises dont les PME, par rapport au produit intérieur brut hors hydrocarbures est économiquement intelligible tant au niveau macroéconomique qu’en ce qui concerne les banques.

Pour asseoir le nouveau schéma de financement de la croissance hors hydrocarbures où le recours à l’épargne du reste du monde devra être graduel, les banques doivent développer leurs moyens d’action à terme par la promotion de produits financiers attractifs, notamment en termes de rendements réels et de motifs d’épargne, pour drainer le « cash » hors du système bancaire qui est évalué à 32 %de la masse monétaire M2 à fin 2016.La mobilisation des ressources de cet important gisement offrira une opportunité très appréciable pour contribuer à un développement de l’intermédiation bancaire post-excès de liquidité et par-là, améliorer les ratios d’intermédiation bancaire. Une intermédiation bancaire de qualité est désormais requise pour contribuer à une allocation efficiente des ressources, en contexte de persistance de l’insuffisance de l’épargne intérieure.

Compte tenu de l’incertitude liée aux ressources d’hydrocarbures dans un contexte de prépondérance budgétaire et de forte contraction de la capacité d’autofinancement du secteur des hydrocarbures, l’Institut d’Emission est appelée à injecter des liquidités dans l’économie pour stimuler une dynamique de crédits bancaires saints, tout en veillant à la viabilité de la position financière extérieure. En injectant des liquidités dans le système bancaire après plus de quinze années au cours desquelles elle n’avait pas eu à jouer son rôle de préteur en dernier ressort, la Banque d’Algérie devra également continuer à veiller à la concrétisation de l’objectif d’inflation en situation de risques à la hausse en la matière.

Le refinancement accru auprès de l’Institut d’Emission devra contribuer aux sources de financement intérieures, alors que le système financier manquera encore de profondeur à court et moyen termes. Aussi, pour faire face aux risques pour la stabilité financière post-excès de liquidité, le renforcement du dispositif macro-prudentiel relève du court terme.

L’utilisation prudente de la marge de manœuvremonétaire, à travers une contribution des ressources apportées par la création de monnaie de base au financement intérieur,pour asseoir un nouveau schéma de financement de la croissance, moins dépendant des ressources d’hydrocarbures, devra être appuyée par la pleine prise en compte du coût d’opportunité du capital dans l’allocation des ressources de crédit. Comparativement à la longue période d’excès de liquidité, le coût du capital devrait désormais commencer à jouer son rôle dans l’allocation des ressources.Enfin, un système financier avec plus de profondeur est indispensable pour une croissance économique durable.