Après son fameux long métrage Le bus 678 sur le harcèlement sexuel, le jeune cinéaste engagé revient dans la partie cette fois à Cannes, film présenté dans la section «Un certain regard», pour dévoiler un peu plus la réalité loin d’être reluisante dans l’Egypte d’aujourd’hui. Sans concession, Mohamed Diab nous sert un échantillon humain toutes mouvances politiques et religieuse confondues qu’il fait s’entrechoquer et cohabiter ensemble le temps d’un enfermement dans un bus antiémeute.
Intéressant comme procédé et un filmage bien précis, au scalpel et bien réaliste si ce n’est le scénario qui finit par tourner en rond. Peut-être le temps d’installer ses personnages qui sont nombreux? Toutefois, Ishtibak refuse l’apitoiement, mais pour une fois, l’image se passe de tout discours. La scène de lynchage est terrible, mais vraie. Le réalisateur montre les choses telles qu’elles se passent. A quand une véritable conscience politique chez les Arabes outre de s’entre-tuer pour entendre et surtout comprendre?
L’Expression: Votre film est engagé. Cependant, il ne prend pas beaucoup de distance car vous vivez toujours cette situation aujourd’hui. N’avez-vous pas eu peur de trahir justement cette réalité?
Mohamed Diab: Le dernier film que j’ai fait est le bus 678 sur le harcèlement. Quand il est sorti la révolution s’est déclarée et nous a rattrapés. Cela fait cinq ans que j’essaye de réaliser un film, des coproductions importantes. J’avais plusieurs projets en tête dont un documentaire, mais je n’ai pas pu les réaliser, car je n’ai pas éprouvé l’envie. Je n’ai pas eu le sentiment d’avoir trouvé l’histoire qui peut raconter les choses de façon juste.
Après cinq ans, Khaled mon frère a ramené l’idée de l’histoire du film Ishtibak. Au milieu d’un fourgon, des gens de différents courants et appartenances sociales vont se retrouver emprisonnés ensemble. On verra comment cette prison va les transformer. L’idée m’a plu. Mais, effectivement, le fond devenait aussitôt vieux car les choses évoluaient à une vitesse rapide en Egypte en l’espace d’un mois.
Vous avez entamé son écriture quand?
2013. On a fait en sorte que le film évolue en fonction des évènements. Je précise que je suis l’auteur et le réalisateur. Aujourd’hui nous sommes en 2016. Le film parle à 100 pour 100 de l’Egypte de maintenant et la façon dont il est traité, renvoie à l’anarchie au Venezuela, à l’Algérie quand elle était divisée…etc. Elle l’est encore…
Mais pas de façon folle telle que nous le vivons aujourd’hui chez nous en Egypte. Mais n’importe quel pays qui vit une forte scission sociale et politique pourrait se retrouver dans ce film. Les USA vivent de nombreux conflits aussi.
Ce qui m’a plu dans votre film est sa radicalité, vous n’y allez pas avec le dos de la cuillère pour exprimer de façon brute ce qui se passe en Egypte. Est-ce aussi une manière de dire que les Arabes n’arrivent pas à communiquer entre eux et se mettre d’accord?
Tout à fait. Les Arabes, les Egyptiens. Mais c’est une affaire qui concerne le monde. Au temps des guerres et des conflits, les gens regardent avec deux couleurs. Soit noir, soit blanc. Notre rôle, nous les gens mûrs et conscients, ceux qui voient la vie autrement, avec ses diverses variantes de gris, notamment nous les artistes, est de comprendre. Le noir et blanc est le propre des enfants, des gens immatures.
Quelle réponse donneriez-vous à ceux qui disent que vous avez été dur envers les Frères musulmans(ceci n’est pas mon avis)
Je vais vous dire une chose, j’ai parlé avec diverses personnes. Chaque individu me dit que j’ai été soit dur avec les Frères musulmans, soit envers les policiers, soit envers d’autres camps. Chacun selon sa sensibilité sent les choses et tout dépend pour qui il se prend d’affection.
Soit, il trouve que j’ai été salaud avec l’un, soit il trouve que j’ai été gentil en montrant que l’Autre n’est finalement qu’un être humain avec des émotions et des sentiments et cela le dérange. Je pense que le film dérangera beaucoup de monde à cause de cela. Mon but était effectivement de filmer tout le monde de façon humaniste. C’était ma façon de faire.
Dites-moi, quel autre film égyptien a filmé les Frères musulmans de cette façon, comme des individus à part entière? Ils sont au contraire toujours montrés du doigt. Moi j’ai tenté de transcender le politique et aller vers l’humain qui est en eux. En nous.