Le ministre de la Justice, Mohamed Charfi, a achevé hier son allocution prononcée à l’occasion de l’ouverture de la session ordinaire du Conseil supérieur de la magistrature par un sanglot qui a surpris les magistrats membres de cette instance.
Certains expliquent l’émotion du ministre de la Justice par sa joie de retrouver un secteur qu’il a bien connu puisqu’il a été secrétaire général du ministère de la Justice de 1989 à 1991, conseiller à la Cour suprême, président de section de 1991 à 1997 et ministre de la Justice, garde des Sceaux en juin 2002, avant de revenir aux commandes de ce secteur en septembre de l’année en cours. D’autres pensent que les larmes de Charfi sont l’illustration d’une prise de conscience du poids de la responsabilité et des enjeux d’un secteur aussi sensible que celui de la justice. Mohamed Charfi, c’est surtout un retour inattendu. Il a, en effet, été limogé du poste du ministre de la Justice en septembre 2003, en plein conflit ayant opposé le président de la République, Abdelaziz Bouteflika, à Ali Benflis, ex-chef du gouvernement et candidat à l’élection présidentielle de 2004.
Il avait la réputation d’être proche de Ali Benflis. Après la tempête de 2004, Mohamed Charfi a connu une traversée du désert pendant six ans, avant d’être nommé au poste de conseiller à la Présidence en 2010.
Sur cette émotion qui l’a submergé, comme sur d’autres points contenus dans son discours, nous n’avons pas pu avoir des explications et des détails de la part du nouveau ministre de la Justice.
Il n’a pas jugé utile d’animer une conférence de presse. Il faut signaler, en revanche, que l’ouverture de la session du Conseil supérieur de la magistrature, en partie à la presse, est un fait inédit. Les journalistes ont pu ainsi écouter l’allocution du ministre qui a d’emblée planté le décor en tenant à remercier le chef de l’État de lui avoir permis de tenir “cette session dans des circonstances institutionnelles particulières”, sans préciser lesquelles.
Il y voit dans cette célérité du chef de l’État “l’expression de sa volonté de voir le corps judiciaire jouer un rôle actif dans la traduction, au quotidien, des grandes orientations de la réforme de la justice et d’amplifier le pas aux côtés des autres corps constitués afin d’en consolider les acquis, en approfondir et en élargir le champ”. Il a dans ce sens appelé le juge à se hisser “vers la norme de qualité de la justice et vers la norme morale des comportements des hommes chargés de la rendre” en tant que garant d’une citoyenneté et de sanctionner les atteintes au plein exercice de la citoyenneté quels qu’en soient l’auteur et le mode. “Les atteintes au plein exercice de la citoyenneté peuvent avoir des causes variables et revêtir des formes multiples. Mais aujourd’hui, il apparaît clairement que la cause première en est cette corruption métastasique qui risque de gangrener le tissu social, de dénaturer l’effort d’édification de l’État de droit, de pervertir le fonctionnement de l’économie nationale, de ronger les liens des citoyens avec les représentants de l’État et pourrait même, s’il n’est pas mis un frein, menacer les relations des citoyens entre eux et mettre ainsi, en péril la paix sociale”.
Il précise, toutefois, que “la lutte contre la corruption n’a de pertinence que si la justice est la première à être immunisée de ce fléau”. Mohamed Charfi a appelé les magistrats à rendre les jugements dans la sérénité, sans s’adonner à une “chasse aux sorcières” contre les cadres. “S’il est légitime pour la société d’attendre du juge une application de la loi contre les auteurs de corruption, active ou passive, il n’est pas moins légitime que les cadres honnêtes engagés dans la lutte contre la corruption soient protégés contre les pressions multiformes qui peuvent les viser dans le but d’affaiblir leur volonté”, conclut le ministre de la justice.
À noter que la session du Conseil supérieur de la magistrature avait pour ordre du jour le mouvement dans le corps des magistrats et la gestion de leur carrière professionnelle.