Mohamed Chafik Mesbah a observé, depuis septembre de l’année dernière, le silence. Par précaution méthodologique, affirme-t-il. Il a accepté de s’exprimer dans nos colonnes pour livrer son analyse sur le cours actuel des évènements dans notre pays. L’entretien aborde, successivement, la situation politique en Algérie, la problématique de la réforme des services de renseignement, l’état des lieux au sein de l’ANP, l’impact de l’environnement international et, enfin, les scénarios d’évolution futurs sur la conjoncture nationale.
Liberté : Nous sommes à la veille de l’élection présidentielle. Pensez-vous que le bilan de M. Abdelaziz Bouteflika justifie sa candidature pour un quatrième mandat ?
Mohamed Chafik Mesbah : Sans doute pas. L’état des lieux est des plus négatifs. Observez donc l’Algérie en 2014. Un champ politique frappé de léthargie. Paralysie des institutions élues et perte de légitimité pour les instances exécutives. Éclipse des partis, des leaders et même du mouvement syndical et associatif, faiblement, représentatifs. Une situation économique précaire. Malgré la profusion de ressources financières, il n’existe guère de stratégie de développement économique. Pas de visibilité axée sur le long terme. La rente pétrolière est dilapidée de manière anarchique, sans logique économique. Plusieurs plans d’investissement ont été lancés avec une application freinée par des dysfonctionnements liés à la mauvaise gouvernance et à la généralisation de la grande corruption. La situation sociale est en pleine régression. Le niveau de vie de la population est loin d’être celui que peut exhiber un pays disposant d’autant de ressources financières. Le chômage, en termes réels, frappe, fortement, les couches sociales les plus jeunes du pays. L’accès aux besoins essentiels — santé, école et logement, notamment — est en deçà des normes universelles. Le rayonnement diplomatique de l’Algérie est en déclin avec perte, pour le pays, de son statut de puissance régionale.
Pas de voyant vert dans ce sombre état des lieux ?
En termes de rajeunissement et de professionnalisation, l’armée algérienne a subi une certaine mue. Mais, depuis quelques années, le processus marque le pas. En marge de ce processus, des faiblesses subsistent, en particulier le coût excessif des dépenses militaires — plus exactement la nature des dépenses militaires — et une ambigüité persistante dans la doctrine de défense.
Vous n’évoquez pas la corruption jamais aussi présente dans le pays. Comment expliquez-vous que M. Abdelaziz Bouteflika — après avoir fait de la lutte contre la corruption, en 1999, son credo de campagne — se retrouve, en 2014, via son entourage, embourbé dans d’énormes scandales ?
Dans un système démocratique où le contrôle du peuple s’effectue, véritablement, et où la justice est, réellement, indépendante, les dévoiements sociaux, comme la corruption, ne sauraient se développer impunément. Nous sommes, hélas, dans un système autoritariste qui interdit l’exercice du contrôle populaire.
Certainement, le président Abdelaziz Bouteflika a-t-il voulu donner l’illusion qu’il faisait de la lutte contre la corruption une priorité. Il n’a pas manqué, à cet égard, de créer une pléiade d’institutions censées prévenir ou punir la corruption. Dans la réalité, volontairement ou par impuissance, il a laissé faire les prédateurs qui foisonnent à l’intérieur comme à l’extérieur du système. À propos, par exemple, de trois grandes affaires de corruption, autoroute Est-Ouest, les subventions aux concessions agricoles et Sonatrach, l’implication de l’entourage du président Abdelaziz Bouteflika est, volontiers, invoquée.
L’état de santé de M. Abdelaziz Bouteflika n’est pas un obstacle pour l’exercice d’un quatrième mandat ?
Ne nous attardons pas sur la maladie du président Abdelaziz Bouteflika. C’est un domaine qui relève de son intimité. Il est, cependant, possible d’examiner la question par rapport à son impact sur la gouvernance publique. La conclusion s’impose d’elle-même. Le mieux serait que M. Abdelaziz Bouteflika quitte, volontairement et dans la dignité, ses fonctions pour se consacrer à sa guérison. C’est le seul service digne d’intérêt qu’il peut, encore, rendre à l’Algérie.
Quels obstacles pourraient, selon vous, entraver le prochain scrutin ?
Vous voulez parler d’une obstruction à l’accession de M. Abdelaziz Bouteflika au quatrième mandat ? Deux obstacles, seulement, l’issue biologique qui est entre les mains de Dieu Tout-Puissant et un veto franco-américain, clairement, notifié.
Comment décrire le processus de prise de décision politique en Algérie. Quelle est la nature du système politique algérien ?
C’est un système autoritariste marqué par une dose, plus ou moins grave, d’anarchie. Il est possible d’évoquer, à cet égard, la notion de “dictature molle”. C’est un régime autoritariste qui étouffe les libertés politiques sans recourir, forcément, à la répression brutale. Une fiction de démocratie est, certes, entretenue. Qu’en est-il, cependant, de la séparation des pouvoirs ? Le Parlement, dans ces deux composantes, est une chambre d’enregistrement. La justice est, ostensiblement, sous le contrôle du pouvoir exécutif. Seul fait marquant dans ce régime autoritariste, l’irruption de deux acteurs inattendus. D’abord, le cercle présidentiel qui parvient jusqu’à se substituer au président de la République lui-même. Ensuite les “baltaguia” de l’économie, infiltrée dans les rouages les plus sensibles de l’administration publique, et qui désormais, pèsent même sur la décision politique.
Comment se présente ce cercle présidentiel que vous évoquez ?
Il se compose, d’abord d’un “noyau dur”. Il s’agit d’un groupe de personnes ayant accaparé les instruments de puissance publique pour un usage privatif. Ce “noyau dur” a pour pivot M. Saïd Bouteflika, frère et conseiller du chef de l’État. Autour de lui, s’amoncellent “baltaguia” de l’économie nationale, véritables prédateurs des richesses du pays, ainsi qu’une cohorte de responsables nommés par M. Saïd Bouteflika à la tête d’organismes publics — notamment dans les médias — qui lui obéissent au doigt et à l’œil. Le cercle comprend, également, un “cercle périphérique” constitué de responsables éminents, désignés par le président
Abdelaziz Bouteflika. Il s’agit, pour l’essentiel, de MM. Tayeb Belaïz, ministre d’État chargé de l’Intérieur, Tayeb Louh, ministre de la Justice, Mourad Medelci, président du Conseil constitutionnel. Les membres du “noyau dur” et du “cercle périphérique” proviennent de la même région du pays, l’extrême Ouest, voire de la même localité, Tlemcen et ses périphéries. À noter que ces personnes évoluant dans le cercle périphérique sont interchangeables. Il suffit de se souvenir comment —sans ménagement aucun — en ont été chassés MM. Yazid Zerhouni, ancien ministre d’État chargé de l’Intérieur, Hamid Temmar, ancien ministre en charge des Participations de l’État et Abdelatif Benachenou, ancien ministre des Finances. J’omets, à dessein, de citer l’ancien ministre de l’Énergie, M. Chakib Khelil lequel, même dans son exil forcé aux États-Unis d’Amérique, continue de jouir d’une proximité certaine avec le “noyau dur” du cercle présidentiel.
Vous oubliez, également, des responsables de premier plan, le général Gaïd Salah, vice-ministre de la Défense et chef d’état-major de l’ANP ainsi que M. Abdelmalek Sellal, tout récemment encore Premier-ministre…
Le général Gaïd Salah, vice-ministre de la Défense et chef d’état-major de l’ANP ainsi que M. Abdelmalek Sellal, Premier ministre, malgré leur proximité avec le président de la République, évoluent, selon la conjoncture, à côté du “noyau dur” ou à la marge. Est-il besoin de souligner que le reste des ministres et autres responsables de parti bien qu’ils affichent, ostensiblement, leur soumission au président de la République ne sont pas, à proprement parler, membres à part entière du cercle présidentiel ? En résumé, le cercle présidentiel dans toutes les nuances et de ses composantes fonctionne suivant la règle de l’allégeance directe, un mode de fonctionnement, largement, inspiré du “makhzen” marocain.
Puisque les jeux sont faits, faut-il comprendre que M. Abdelaziz Bouteflika va perdurer, longtemps, au pouvoir ?
Oui, si la possibilité lui en était offerte. Une présidence à vie, modèle anachronique dans la nouvelle réalité mondiale, n’est pas pour rebuter M. Abdelaziz Bouteflika ou les membres du cercle présidentiel. Concrètement, toutefois, le président de la République qui dispose d’une manne financière impressionnante ainsi que de l’appui avéré de la communauté occidentale tire profit, aussi, de l’immobilisme de la classe politique et du mouvement associatif. L’actuel chef de l’État aura beau s’assurer, cependant, d’un quatrième mandat, son pouvoir sera chancelant. Le dispositif mis en place par M. Abdelaziz Bouteflika, c’est un château de cartes susceptible d’être emporté à la moindre secousse.
Existe-t-il une panacée pour sortir le pays de l’impasse où il se trouve ?
Par-delà les hommes qui sont interchangeables, c’est le système de gouvernance dans sa globalité qu’il faut réformer. Les responsables publics actuels disposent de pouvoirs exorbitants, hors tout contrôle populaire. Il faut une régénération du système politique avec l’avènement de responsables choisis par le libre vote populaire, sur la base de la compétence, de l’intégrité et de l’amour passionné pour la patrie. Ce n’est pas tirer des plans sur la comète que d’évoquer pareils objectifs. Il s’agit d’instaurer un vrai système démocratique. Instaurer un vrai système démocratique est une démarche laborieuse. Une véritable phase de transition démocratique est indispensable pour l’Algérie.
Selon vous, M. Abdelaziz Bouteflika pourra-t-il exercer, normalement, ce quatrième mandat ?
Dans l’esprit de l’opinion publique nationale, au sein de l’encadrement de l’administration publique et des hiérarchies des services de renseignement et de l’armée, du plus bas vers le plus haut, quatre préoccupations majeures sont omniprésentes. Des lignes rouges, en quelque sorte, qu’il serait hasardeux de dépasser. Refus de l’avènement au pouvoir d’un islamisme radical et violent, condamnation de la grande corruption, rejet des démarches d’essence régionaliste, hostilité, enfin, à une succession familiale déguisée à la tête de l’Etat.
Comment se présente le paysage politique actuel ? La crise qui affecte le FLN, en particulier, vous paraît-elle conjoncturelle ?
Le paysage politique national déjà appauvri va vers l’assèchement. C’est le moins que l’on puisse dire. Examinons le cas du FLN qui traverse une crise structurelle risquant de l’emporter. Le FLN n’a pas su s’adapter au nouveau contexte national et international, ni, d’ailleurs, renouveler sa base en s’ouvrant aux couches sociales les plus jeunes et les plus dynamiques. Il n’a pas su préserver les idéaux qui ont fait sa gloire, ancrage nationaliste, justice sociale et progrès économique. Le FLN s’est éloigné du mode de fonctionnement collectif qui avait fait sa force. Il a, par contre, favorisé le “zaïmisme” et permis l’intrusion en, son sein, des “bazaristes” qui, progressivement, se sont accaparés des leviers de commande en son sein. Chaque jour que Dieu fait, ce parti perd un peu plus de son âme.
Le Front des forces socialistes qui, un moment, a été le pivot du pôle démocratique semble avoir perdu de sa combativité et même de son indépendance. Le FFS, parti d’opposition, c’est fini ?
Le FFS a constitué, une longue période, l’espoir des élites nationales, pas seulement les élites originaires de Kabylie. M. Hocine Aït Ahmed, par sa personne, a procuré au courant démocratique en Algérie, la figure emblématique qui lui faisait défaut. Certes, le FFS a versé dans l’excès en pratiquant une politique qui confinait au nihilisme. Il n’en a pas moins représenté un bastion avancé du combat démocratique dans le pays. Le sort malheureux qui semble se profiler pour lui ne peut qu’attrister les hommes de bonne volonté en Algérie. Le FFS, en effet, s’achemine, inexorablement, vers une implosion de l’intérieur. Une hypothèse que rend encore plus probable l’incapacité de son leader historique. La proximité ambigüe mais perceptible de la direction actuelle du FFS avec M. Abdelaziz Bouteflika conforte cette crainte.
Venons-en aux islamistes algériens qui ont décidé de boycotter le prochain scrutin présidentiel. La menace islamiste est-elle levée ? S’agit-il, seulement, d’un recul tactique ?
L’existence d’un courant islamiste pérenne en Algérie ne constitue pas, en soi, une menace. Les islamistes sont des citoyens, à part entière. La ligne de démarcation, c’est le rejet de la violence, le respect de la légalité constitutionnelle et l’engagement de s’aligner sur l’impératif de l’État “civil”, pas l’État “théocratique”. Nonobstant la dimension religieuse de leur démarche, les islamistes se distinguent par une prise en charge murie des attentes concrètes de la population. C’est là que réside leur potentiel de croissance. Le courant islamiste, en Algérie, est, actuellement, émietté. La distribution d’honneurs officiels et de bienfaits matériels ont permis d’en domestiquer une partie. C’était le cas du MSP et des partis évoluant dans la même orbite. Il reste les salafistes qui sont en situation de “force dormante”. Ni les services de renseignement ni les chercheurs en sciences sociales n’en ont une connaissance approfondie. Ce courant salafiste qui ne participe pas aux élections rejette la confrontation ouverte avec les pouvoirs publics. Il inscrit sa démarche sur le long terme. Une nouvelle génération de militants islamistes est née, difficilement, réductible, aux grilles d’analyse classiques. Ces nouveaux islamistes exhalent leur rancœur dans la discrétion, mais, parfois, avec un sens déroutant de l’efficacité. En cas de soulèvement populaire, pourront-ils faire basculer le rapport de forces ? Pour s’en convaincre, il faut des arguments plausibles. Il n’existe pas, pour le moment, d’informations corroborées sur leur mode d’organisation et la nature du leadership qui s’exerce parmi eux.
Quels commentaires faites-vous à propos des autres candidatures pour cette élection présidentielle ? M. Ali Benflis, par exemple, dispose-t-il, comme il se murmure, du soutien de pôles agissants au sein du pouvoir ?
En 2004, le chef d’état-major de l’ANP de l’époque, le général Mohamed Lamari, hostile, en effet, à la réélection de M. Abdelaziz Bouteflika, envisageait, favorablement, l’élection de M. Ali Benflis. Le positionnement tranché des États-Unis d’Amérique en faveur de M. Abdelaziz Bouteflika s’étant imposé, le général Lamari s’était ravisé avant de démissionner. À l’époque il existait, objectivement, la possibilité d’une transition, même si elle ne devait pas être parfaite. Rien de comparable avec le contexte actuel où l’actuel vice-ministre de la Défense, chef d’état-major de l’ANP, le général Gaïd Salah, intronisé “bras armé”, ne laisse planer aucun doute sur sa détermination à favoriser la réélection de M. Abdelaziz Bouteflika. Le général Mediène Mohamed, chef du DRS, homme prudent s’il en fut, ne peut céder à la tentation de se positionner autrement que le vice-ministre de la Défense, chef d’état-major de l’ANP. De quels pôles agissants parlez-vous ? Je pense que M. Ali Benflis, dont les qualités morales et intellectuelles ne sont pas en cause, a voulu, malgré le rapport de force défavorable, prendre date avec l’histoire.
Quelle interprétation faites-vous des déclarations de M. Mouloud Hamrouche. Que pensez-vous de son diagnostic de la crise ? Pourra-t-il jouer, encore, un rôle politique en Algérie ?
M. Mouloud Hamrouche n’est pas homme à se tromper sur les rapports de force au sein du système en Algérie. Il a pointé du doigt, à juste titre, la place prééminente de l’armée, seule institution encore valide. Seulement, le président Abdelaziz Bouteflika a fermé le jeu, sous toutes ces formes. Pas, seulement, au niveau des urnes. Par esprit de discipline, au moins, le commandement militaire est, totalement, acquis au chef de l’État. Tout ce qui peut bouger dans le pays, institutions, appareils, formations politiques et syndicales, a été placé sous contrôle ou étouffé. Les leaders, eux-mêmes, ont été corrompus ou réduits au silence. M. Mouloud Hamrouche ayant pris la mesure de l’impasse où se trouve le pays pourrait avoir voulu, pour l’histoire, délivrer son témoignage. Je reste convaincu que M. Mouloud Hamrouche pourra jouer un rôle dans le pays, si la phase de transition démocratique — que je vois incontournable — se précise.
Il est prévu un taux d’abstention électoral record pour ce prochain scrutin électoral. Comment expliquer ce phénomène devenu récurrent dans la vie politique nationale ?
En effet, l’abstention est devenue, en Algérie, un phénomène récurrent. Dans mes écrits, je n’ai cessé de mettre en exergue le divorce qui sépare “société réelle” et “société virtuelle”. Avec moins de 20% de participation électorale en général, la “société virtuelle” — appareils et institutions officiels avec leurs encadrements — se croit investie du droit légitime de légiférer et d’administrer le pays. La “société réelle” — majorité écrasante de la population, notamment “les laissés-pour-compte” — prenant ses distances avec les pouvoirs publics, s’administre elle-même, selon sa logique et ses moyens. À quoi bon, dans ce contexte voter ? C’est un acte inutile. La fraude électorale et l’absence de sanction politique ont, totalement, perverti le principe de l’élection. Ce phénomène va s’accentuer à la faveur du prochain scrutin où le taux de participation probable ne dépassera pas les 10%. Naturellement, ce ne sera pas le taux qui sera exhibé officiellement.
Il vous semble donc que la fraude est inévitable et qu’il ne soit guère possible de la combattre ?
Posez la question aux leaders de l’opposition ! Pourquoi ne prendraient-ils pas l’initiative d’organiser, par des moyens propres, en concertation avec des organismes internationaux de réputation incontestable, un sondage d’opinion dit “sortie d’urnes” qui permettrait — de manière quasiment incontestable — de confirmer ce taux d’abstention et même de donner les tendances lourdes effectives du scrutin ? C’est ainsi que l’opposition chilienne unie put battre le général Augusto Pinochet lorsqu’il organisa, en octobre 1988, un référendum dont il était convaincu qu’il allait sortir vainqueur. Ce sont sur ces petits pas, d’apparence anodine, que se fondent les victoires des peuples.
Grâce au dispositif qu’il a mis en place, M. Abdelaziz Bouteflika est sûr d’être réélu. Faut-il en déduire qu’il se passera, désormais, des services de ceux dénommés “faiseurs de rois” ?
Pas aussi simplement. Pour un temps, le chef de l’État aura besoin, encore, des services du vice-ministre de la Défense, chef d’état-major de l’ANP, le général Gaïd Salah intronisé “bras armé” du régime. Même si ses attributions seront revues en proportion. Il devrait, tout aussi bien, continuer de solliciter le savoir-faire du chef du DRS, le général Mediène Mohamed, en matière d’“ingénierie politique”. A priori, M. Abdelaziz Bouteflika malgré les atouts dont il dispose, est un homme prudent pas un aventurier téméraire. Intuitu personae, le président Abdelaziz Bouteflika est un homme pragmatique calculateur. Ce qui le distingue, d’ailleurs, des autres membres du “noyau dur” au sein du cercle présidentiel, y compris son propre frère, M. Saïd Bouteflika.
Vous affirmez, à propos, que la démarche actuelle du cercle présidentiel procède d’une logique de “politique de la ‘terre brûlée’”…
Cette “politique de la ‘terre brûlée’” pourrait être, plus, l’œuvre du “noyau dur” du cercle présidentiel, mais il est improbable qu’il y soit fait recours sans l’assentiment de M. Abdelaziz Bouteflika.
En quoi consiste cette “politique de la ‘terre brûlée’” ?
Plutôt que de “politique de la ‘terre brûlée’”, peut-être conviendrait-il mieux de parler de tactique de guerre. En 1812, après qu’il eut envahi la Russie, Napoléon Bonaparte fut confronté à une technique de guerre redoutable qui a été mise en œuvre par le général Mikhaïl Koutousov. Celui-ci, ne se contentant pas de brûler les habitations en bois de Moscou où venait de pénétrer l’Empereur, fit brûler provisions et cheptels des populations locales de Russie pour contraindre l’armée napoléonienne à la retraite. Sur une distance de 2 000 km, allant de Moscou à la frontière russe, sous le harcèlement, incessant, de guerriers cosaques, sans affrontements avec les troupes russes, l’armée napoléonienne fut, dans le désordre et le désarroi, contrainte à la déroute. Stupéfait par les effets dévastateurs de cette technique de guerre inouïe, Napoléon s’était exclamé : “C’est une tactique horrible. Brûler ses propres villes ! (…) Quelle résolution farouche, quelle audace !” Une résolution et une audace identiques semblent animer le cercle présidentiel en Algérie. Jugez-en : corruption de la population et des élites, manipulation scandaleuse de l’image du chef de l’État, recours à la fraude sur une large échelle. Au risque de me répéter, je considère que nous sommes dans la même logique que celle du régime de Bachar al-Assad, sans la violence pour le moment. Il est vain, par conséquent, de s’attarder sur les considérants éthiques, à l’image des manquements à la loi et, peut-être, à la Constitution. C’est en ce sens que le scrutin du 17 avril 2014 ne saurait constituer un enjeu véritable. Un rouleau compresseur est en mouvement qui n’a cure des obstacles.
L’acharnement à conserver le pouvoir dont vous faites état, ce n’est pas de l’aveuglement ?
À la veille du déclenchement de la guerre de Libération nationale, bien que les prémices de l’insurrection armée se profilaient déjà, le président de l’Assemblée algérienne — institution coloniale de l’époque —, Raymond Laquière proclamait, fièrement, la mi-octobre 1954 : “L’Algérie française se lève dans la splendeur de son aurore. Il faut se garder, jalousement, de tout nuage qui pourrait obscurcir sa radieuse ascension”. Les responsables français du monde du renseignement et de la sécurité avaient bien tiré, en ce moment là, la sonnette d’alarme. Le colonel Paul Schoen et le préfet Jean Veaujour, respectivement chef du Service de Liaisons nord-africaines et directeur de la Sécurité publique en Algérie, avaient, vainement, appelé l’attention des autorités centrales en France. Celles-ci faisaient dans “le déni du réel”. Nos responsables sont, aujourd’hui, dans un même état d’esprit. Ils sont dans l’aveuglement le plus total, afférés qu’ils sont à vouloir franchir le cap du 17 avril 2014 pour sauvegarder le statu quo.
Bio-express
Ancien journaliste à la Radiodiffusion Télévision algérienne, officier supérieur de l’ANP à la retraite, Mohamed-Chafik Mesbah est docteur d’État en Sciences politiques de l’université d’Alger et diplômé du Royal College of Defence Studies de Londres. Il est l’auteur de Problématique Algérie, ouvrage de référence sur l’Algérie actuelle.
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L M-C