Mohamed Benguerna. Sociologue et directeur de recherche au CREAD «Il faut que le travail dans le Sud cesse d’être une sanction»

Mohamed Benguerna. Sociologue et directeur de recherche au CREAD «Il faut que le travail dans le Sud cesse d’être une sanction»
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Depuis des années, la population des zones enclavées des Hauts-Plateaux et du sud du pays souffre d’un manque flagrant en médecins spécialistes, à votre avis, pourquoi ce déséquilibre entre le Nord et le Sud ? Pourquoi nos médecins rechignent-ils lorsqu’il s’agit de se rendre au Sud ?

En premier lieu, il est souhaitable pour saisir et comprendre votre constat de l’inscrire dans son contexte historique. En effet, le détour historique permet d’observer une centralisation et une concentration des lieux de la formation supérieure médicale dans les grandes ville et plus particulièrement la capitale.

De fait, les études terminées et surtout après le cycle de la spécialisation, l’installation professionnelle s’effectue dans les grandes villes. Une petite radiographie des médecins spécialistes en activité dans les grandes villes classiques permet d’observer la nature des origines géographiques de ces derniers.

La plupart ont fait des études médicales avec spécialités à Alger, Oran, Annaba, Constantine et ont entamé en général leur carrière professionnelle sur les mêmes lieux. Au moment où les pouvoirs publics en ont pris conscience, le processus était largement entamé.

Il me semble que cette question de l’exercice des médecins spécialistes dans le Sud doit être traitée avec réalisme et éviter de la diaboliser.

Dans un contexte de désenchantement idéologique et politique, le réalisme économique et social s’impose pour nous signifier l’urgence d’un traitement lucide et serein de cette question et qui doit s’inscrire dans la durée loin des actions sporadiques et médiatiques.

Le travail dans le Sud ne doit pas apparaître comme une sanction. A ce sujet, les problèmes de salaires, de primes, de logement, de scolarité, etc. sont à prendre en charge, d’ailleurs, le problème n’est pas propre aux médecins spécialistes et commence à se poser pour d’autres professions.

En outre, il est plus que primordial d’écouter et d’impliquer les concernés dans l’approche de ce problème. Le corps médical algérien, dans ses différentes composantes associatives (professionnelles et syndicales), a fait preuve ces dernières années d’un dynamisme constructif et peut être un acteur important dans la résolution de cette question.

Tout cela, pour dire que je ne pense pas que nos médecins spécialistes ne rechignent pas à partir au Sud, mais ils ont besoin d’être écoutés pour participer en connaissance de cause et en bénéficiant de la reconnaissance sociale nécessaire.

-Les praticiens spécialistes exigent, pour leur installation dans le Sud, un bon salaire et un traitement similaire à celui des cadres du secteur de l’énergie. Pourquoi, à votre avis, l’Etat ne répond pas à cette exigence et pourquoi ce deux poids, deux mesures ?

En complément à la question précédente, cette dualité dans le traitement des salaires entre les cadres de l’énergie et les médecins spécialistes travaillant dans le Sud doit disparaître. Quelle différence y a-t-il entre la formation supérieure et les conditions d’exercice d’un ingénieur et d’un médecin dans le Sud ? Les deux corps ont un statut et un rôle très important dans le fonctionnement de leurs activités respectives dans les régions du Sud

A ce niveau, les décideurs doivent se débarrasser d’un tel héritage culturel en affichant clairement leur volonté politique par la mise en place des mécanismes d’un traitement égalitaire à tous les niveaux.

-Au moment où des médecins algériens chôment, le gouvernement fait appel à des médecins étrangers pour pallier la pénurie de médecins. Comment qualifiez-vous cette démarche tout en sachant qu’ils ne seront pas payés en dinar ?

Il est utile de prendre connaissance de la réalité des données sur cette question : la présence des médecins étrangers afin d’éviter les faux procès. Quels sont les médecins spécialistes étrangers qui exercent en Algérie ? Quels profils ? Dans quel cadre et où ? Et quelle est la nature du traitement financier ?La réponse à cette question évitera peut-être de noircir ce tableau.

Par contre, les pouvoirs publics doivent éviter le traitement différencié entre les spécialistes algériens et étrangers d’un niveau de compétence et d’expertise égal.

-Le gouvernement se défend en affirmant avoir pris des mesures incitatives pour encourager les médecins à s’installer au Sud. Les médecins nient en bloc ces faits. A votre avis, quelle est la meilleure solution pour remédier à cette situation ?

Effectivement, des actions incitatives ont été entreprises, mais qui ne s’inscrivent pas en profondeur et dans la durée. Il est temps que nos décideurs engagent un travail de réflexion en collaboration avec les acteurs directs et indirects impliqués par cette question.

Il faudra sortir du face-à-face et éviter les décisions unilatérales et expéditives. Le corps médical algérien a capitalisé une expérience importante, une expertise de haut niveau qui peut mettre à profit dans le traitement de ce problème et être un vecteur et une passerelle professionnels dans l’accompagnement d’une telle stratégie. Un tel objectif est conditionné par l’urgence d’une volonté politique saine prenant appui sur une participation consciente des concernés. La reconnaissance sociale et le dialogue réel sont des leviers incontournables.

Nabila Amir