« Dans le nord du Mali, il faut que les Algériens sortent de leur attitude de retrait et d’expectative, il faut qu’ils se réveillent ! ». Voilà ce que dit Mohamed Bazoum, le ministre nigérien des Affaires étrangères, et il n a pas sa langue dans sa poche. De passage à Paris, il était l’invité de RFI, au micro de Christophe Boisbouvier.
RFI : Mohamed Bazoum, bonjour. Au nord du Mali, Ansar Dine et le MNLA ont du mal à se mettre d’accord sur la charia. Les mettez-vous tous les deux dans le même sac, ou faites-vous une distinction entre ces deux mouvements ?
Mohamed Bazoum : Pour moi, c’est la même chose. On peut passer du MNLA à Ansar Dine, comme on peut passer d’Ansar Dine au MNLA, avec beaucoup d’allégresse.
RFI : Ce qui veut dire que, pour vous, il n’y a pas de négociation possible avec l’un ou l’autre de ces mouvements ?
M.B. : Il y aura une négociation lorsqu’une offre sérieuse aura été faite, sur la base du principe de l’unité du Mali et de sa laïcité. Lorsqu’il y aura un gouvernement malien sérieux, qui ferait cette proposition, tous ceux qui prendraient cette proposition et accepteraient de discuter, sur les bases que je viens d’indiquer, seraient les bienvenus qui qu’ils soient.
RFI : Le Béninois Boni Yayi, président en exercice de l’Union africaine, propose aujourd’hui le déploiement d’une force internationale au nord du Mali. Est-ce que c’est, pour vous, la solution ?
M.B. : L’option militaire est la seule qu’il y a lieu de retenir, lorsqu’il s’agit de se battre contre Aqmi et tous ceux qui accepteraient d’être associés avec cette organisation jusqu’au bout. Quelle forme cela doit-il prendre ? Cette hypothèse invoquée par le président Boni Yayi est une hypothèse sérieuse. En tout état de cause, le plus simple pour le moment, c’est qu’il y ait une force de la Cédéao, qui aille soutenir une armée malienne à reconstituer dans les meilleurs délais, avec l’implication de toute la communauté internationale – actuellement une résolution du Conseil de sécurité de l’ONU.
Mais tous les partenaires, les Etats-Unis d’Amérique, la France, sont d’accord pour nous donner la logistique dont nous aurions besoin, et les renseignements qui seront précieux dont seuls eux ont les moyens aujourd’hui pour conduire à bien une telle opération, parce que, cet adversaire qui est Aqmi, est un adversaire contre lequel cette mobilisation me paraît absolument indispensable.
RFI : Donc, concrètement, vous êtes d’accord avec l’idée qu’un Conseil paix et sécurité de l’Union africaine saisisse le Conseil de sécurité de l’ONU ?
M.B. : Oui, tout à fait. Il est urgent, dès l’instant où la Cédéao aura mis un peu d’ordre dans ce qu’elle est en train de faire actuellement au Mali, qu’un Conseil de paix et de sécurité se réunisse, et qu’elle engage cette procédure, pour la faire aboutir au Conseil de sécurité.
RFI : Alors concrètement, cette opération militaire, elle serait menée par qui ? Par les Maliens ou par les pays de la sous région ?
M.B. : Elle serait menée par les Maliens et soutenue par les pays de la sous région. On ne fera pas l’économie d’un engagement de l’armée malienne, qui n’a pas perdu. Donc, dans ce qui a été sa débandade les semaines passées, en vérité, le coup d’Etat de Sanogo a atteint l’armée malienne à son moral, et cela avait concouru à sa débandade. Mais ses forces sont intactes, même si elle a laissé beaucoup d’armes, malheureusement, et dont Aqmi va profiter. Il faut reconstituer l’armée malienne, il faut composer la force en attente de la Cédéao, et il faut définir les moyens de soutien dont tout cela aura besoin, lorsqu’il sera mis en mouvement.
RFI : Parmi les soldats de l’armée malienne, il y en a 600 qui sont repliés au Niger, sous les ordres du colonel Ag Gamou. Est-ce qu’ils pourraient être opérationnels dans une telle hypothèse ?
M.B. : Oui, tout à fait. Ils seront opérationnels. D’autres aussi sont au Mali, en attente. Ils sont nombreux. À mon avis, on comptera beaucoup sur les populations du Nord Mali, qui sont asservies aujourd’hui et qui savent qu’elles n’ont aucun avenir avec de telles perspectives.
RFI : Vous pensez aux milices d’autodéfense ?
M.B. : Toutes les milices d’autodéfense, les troupes du colonel Ould Medou et d’autres encore.
RFI : Est-ce que l’armée nigérienne pourrait participer à cette opération et à quel niveau ?
M.B. : Elle le fera au niveau qui sera requis. Donc, si c’est à l’échelle de la Cédéao, qu’on doit mobiliser 10 000 hommes, le Niger aura son quota. Si c’est une option plus légère de 3 000, le Niger aura son quota, qui fera une option plus importante. Mais pour des raisons évidentes de sécurité intérieure, nous serons prêts à toutes les formes d’engagements qui nous seront assignées.
RFI : Ce sera peut-être des combats dans le désert. Est-ce que les soldats des pays de la Cédéao sont préparés à ce type de combats, dans une zone qu’ils connaissent très mal ?
M.B. : En vérité, il n’y aura pas de combat dans le désert. Aujourd’hui, il y a trois localités qu’il s’agit de libérer et surtout une fois qu’on les aura libérées, les combats changeront de forme et l’aviation aura un rôle prépondérant à jouer.
RFI : Chacun sait que cette opération ne pourra pas réussir sans l’aide de l’Algérie. Est-ce que vous n’êtes pas agacé par le silence des Algériens depuis plusieurs mois ?
M.B. : Moi, je pense que nos frères algériens ont commis quelques erreurs, ne serait-ce que de communication. Nous étions dans le Cemoc ensemble, et le comité d’état-major opérationnel unifié était conçu pour faire face à de telles situations. Or, depuis que cela est arrivé au Mali, le Cemoc a été mis en hibernation. Je pense que pour le prestige de l’Algérie, pour son rôle dans la sous région, ils doivent se ressaisir.
Je ne désespère pas aujourd’hui encore. Il y a lieu que nous parlions encore plus à nos frères Algériens, que nous leur demandions de se réveiller, et de jouer leur rôle, parce que personne ne sera là à le faire à leur place. Et je ne vois aucune raison qui puisse justifier cette situation de retrait, d’expectative, de la part de l’Algérie aujourd’hui.
RFI : Vous ne craignez pas que le déploiement d’une force internationale à la frontière sud de l’Algérie n’effraie les Algériens ?
M.B. : Elle ne doit pas les effrayer, si les Algériens sont partie prenante à la conception de l’opération et à sa mise en œuvre aussi. Pourquoi pas ?
RFI : Mohamed Bazoum, merci.