Le ministre des Affaires religieuses et des Wakfs, Mohamed Aissa, a prêché, vendredi, à la Grande mosquée de Paris où il a défendu la « voie du juste milieu » et vitupéré des cheikhs « autoproclamés » qui sont à l’origine de l’extrémisme et du radicalisme dans la pratique religieuse.
Le ministre qui détonne par rapport à ses prédécesseurs – hormis cependant le professeur et ophtalmologue Said Chibane qui a été ministre dans le gouvernement de Mouloud Hamrouche – est depuis son arrivée à la tête du département en mai dernier en campagne pour la défense d’un islam « national » contre une version de l’islam, d’inspiration wahhabite, qui se diffuse à travers les chaines satellitaires et internet.
A Paris, il a dénoncé les « égarements » et un « dévoiement dans la pratique religieuse » de la part de ceux qui se contentent « d’acheter des livres » et d’aller « vers des chaînes de télévision ou le réseau internet écouter des pseudo-cheikhs dont on ne connaît ni les capacités ni les affiliations, ce qui a donné lieu à des déviations, des excès, des extrémismes et des radicalismes dans la façon de pratiquer la religion musulmane ».
La pratique de la religion a été « dénaturée, dévoyée de la voie du juste milieu, celle enseignée par des maîtres et des imams et déviée de la trajectoire prophéticale » a-t-il dit en mettant en cause « l’ignorance » et des « aventuriers et qui des gens qui voudraient quelquefois idéologiser la religion et l’instrumentaliser à des fins personnelles ».
Le discours du ministre des affaires religieuses n’est pas nouveau. Son style, qui lui attire la sympathie des « laïcs » et de l’inimitié chez les salafistes, est conforme à son profil d’universitaire (il a un doctorat d’Etat en sciences islamiques).
L’homme porte costume plutôt que la gandourah traditionnelle. Il a choqué les salafistes en déclarant qu’il ne ferait pas une fatwa contre ceux qui rompent le jeûne publiquement durant le mois du ramadhan, pas plus qu’il n’enverra la police pour les en empêcher. Discours très applaudi chez les modernistes mais l’homme a surtout évité au gouvernement de s’empêtrer dans une affaire inextricable.
Sa prise de position a eu pour effet de dégonfler le mouvement des « mangeurs de ramadan » qui ont subi, à Bejaia, les foudres des habitants. Manifestement, la décision de ne pas « envoyer la police » était à double tranchant.
Une bonne image
Mohamed Aïssa n’est cependant pas un nouveau dans le ministère des Affaires religieuses où était directeur central, chargé de l’Orientation Religieuse et de l’enseignement coranique de 2001 à 2012 avant de devenir Inspecteur Général puis ministre.
Ses prises de positions, comme l’annonce d’une possible réouverture des synagogues qui a suscité une réaction pavlovienne des salafistes, permettent de façonner une « image » d’ouverture et de tolérance. Sans effet pratique immédiat puisque la réouverture des synagogues reste conditionnée à la réunion d’un climat sécurisant qui, selon lui, ne se limite pas à une surveillance policière.
Ce côté « ouvert » voire « progressiste » est-il l’expression d’une volonté de réformer ou un exercice de marketing moderne qui rompt avec le style de son prédécesseur et ancien supérieur, Boualem Glamallah?
La question mérite d’être posée. Le ministre a affirmé, par exemple en septembre dernier que les mosquées en Algérie étaient « immunisées » contre les idéologies extrémistes grâce aux mécanismes d’inspection adoptés par le ministère.
Mohamed Aissa semble focaliser sur l’aspect politique comme les appels au djihad qui, effectivement, grâce aux « mécanismes d’inspection » n’existent presque plus. Mais ceux qui écoutent les prêches du vendredi peuvent constater que le discours permanent hostile aux femmes reste largement répandu.
Un discours hostile aux femmes routinier dans les mosquées
La vision wahhabite qui est formellement « apolitique » puisqu’elle ne conteste jamais « l’autorité » est devenue un pense-bête chez de nombreux imams. On a pu entendre des prêcheurs demander aux pères de ne pas permettre à leurs filles de regarder la télévision, de lire des romans et d’utiliser le téléphone mobile.
Le discours, rétrograde, contre les femmes est devenu une routine, observe un universitaire qui dit avoir renoncé à aller à la mosquée à cause des « bêtises » qu’il ne peut plus supporter. La vraie réforme – elle sera nécessairement longue – est bien dans la manière de former les imams. Pour notre universitaire en rupture de mosquée, cette formation doit inclure des disciplines scientifiques obligatoires.
« Il est absurde ce continuer à entendre parler des imams dire qu’un séisme est une punition quand on connait la tectonique des plaques. C’est un discours qui avait du sens dans le moyen âge, il n’en a pas avec l’évolution des connaissances humaines. Un séisme est une épreuve où les hommes doivent se dépasser pour s’entraider, ce n’est pas une punition ».
L’Algérie, selon des chiffres publiés récemment dans la presse, compte 15000 mosquées alors que 4000 autres sont en cours de construction. Quelques 30.000 imams y officient. Revenir à l’Islam de Cordoue est une ambition qui ne peut se contenter d’un discours qui plait, améliore l’image, pendant que imams continuent de diffuser la nouvelle norme de l’homo-islamicus sans patrie et transnational qui se diffuse inexorablement.