Mohamed Achir, économiste et enseignant à l’universitaire de Tizi Ouzou «L’Algérie peut encore résister mais, pas pour longtemps»

Mohamed Achir, économiste et enseignant à l’universitaire de Tizi Ouzou «L’Algérie peut encore résister mais, pas pour longtemps»

Le marché pétrolier peine à se sortir de la tendance baissière actuelle et les fournisseurs de pétrole, notamment ceux de l’Opep, commencent à s’inquiéter sur leurs capacités à stabiliser les cours et garantir ainsi leurs revenus. L’Algérie peut surmonter la conjoncture actuelle à court terme, ce qui ne sera pas possible dans le cas où cette tendance se maintient, selon Mohamed Achir, économiste et enseignant à l’universitaire de Tizi Ouzou.

L’Éconews : Depuis quelques mois, les cours du pétrole ont fortement baissé. Le baril est à son plus bas niveau depuis deux ans, sous la barre de 80 dollars. Comment expliquez-vous cette baisse?

Mohamed Achir : La baisse des prix du pétrole enregistrée ces derniers mois n’est pas surprenante, car les marchés pétroliers sont interconnectés avec les autres marchés financiers d’une part et d’autre part liés à l’évolution des économies réelles notamment le taux de croissance des pays développés et émergents. La révision des taux de croissances économiques à la baisse influence directement les anticipations des intervenants sur les marchés pétroliers. Le marché pétrolier est souvent influencé par des mauvais signaux aussi bien économiques que politiques.

Aussi, l’augmentation de l’offre énergétique non conventionnelle comme le gaz de schiste, l’entrée sur le marché des nouveaux petits producteurs et les guerres civiles au Moyen-Orient ont déstabilisé les prix du pétrole. Certains spécialistes de l’économie pétrolière et de la géostratégie n’écartent pas une volonté délibérée des USA et de l’Arabie Saoudite qui augmentent l’offre et tirent les prix vers le bas pour faire pression à la Russie. Il faut bien souligner que le pétrole et les marchés financiers sont au centre de cette nouvelle guerre économique qui ne dit pas son nom.

Quel sera l’impact de cette baisse sur l’Algérie, un pays étroitement lié aux hydrocarbures qui s’apprête à lancer un nouveau plan d’investissements publics de plusieurs milliards de dollars ?

Cette tendance représente un risque majeur pour une économie dépendante à 98% des exportations des hydrocarbures et dont le prix d’équilibre du budget de l’Etat est évalué à 125 dollars. L’économie algérienne peut continuer à résister à court terme, mais à moyen terme, elle pourra se retrouver avec la continuité de cette tendance dans l’épuisement de ses réserves de changes et du fonds de régulation des recettes (FRR). La fiscalité pétrolière couvre à peine plus de 60% le budget de l’Etat et l’économie algérienne peine à se diversifier. C’est un problème structurel qui l’étrangle depuis de longues années.

Que préconisez-vous pour faire face à cette situation ?

La solution doit être structurelle et durable et non des palliatifs conjoncturels. La priorité est à l’amélioration du climat des affaires algérien, classé, rappelons-le, dans le rapport de la banque mondiale (Doing business) à la 152eme place. Il est vrai que ces derniers mois une dynamique est enclenchée par le ministère de l’Industrie et des mines. Mais cette volonté doit être accompagnée par des actions concrètes intersectorielles au niveau local, régional et national. Le potentiel humain et matériel existe et des résultats significatifs peuvent être enregistrés à court terme pour peu que des actions inclusives des pouvoirs publics soient accompagnées sur le terrain par une volonté politique indétournable. Il est temps de placer l’intérêt de l’économie algérienne au-dessus des intérêts des groupes d’intérêt rentiers comme les importateurs. L’encouragement de la production nationale est plus que nécessaire et la stratégie de remontée des filières par la création des grands groupes projetés par le ministère doit être accompagnée conjoncturellement par des mesures protectionnistes intelligentes et envisager progressivement leur insertion dans la chaine de valeur internationale.

Les pays exportateurs du pétrole n’arrivent plus à unifier leurs politiques pétrolières. Le marché est actuellement inondé. Quel est votre commentaire ?

Le cartel OPEP ne pèse réellement qu’environ 37% de la production mondiale. Ceci dit que l’action de cette organisation s’affaiblie davantage dans le cadre de l’influence des cours du pétrole et que la discipline de ses membres en termes de respect des quotas décidés est souvent remise en question. L’arrivée en grande quantité de l’offre énergétique non conventionnelle réduira encore davantage le poids de l’OPEP. Rajoutant à cela les données géopolitiques et les interférences des USA qui ne cessent de fragiliser la cohésion des pays membre de l’organisation.

Le ministre des Affaires étrangères du Venezuela a effectué récemment une visite en Algérie. Une visite dont on sait peu de choses sur ses motifs. Croyez-vous qu’il s’agissait de tractations en prévision de la prochaine réunion de l’Opep ?

Le Venezuela est certes un grand producteur du pétrole avec une moyenne de 3 millions de barils par jour et détient 1/5eme des réserves mondiales prouvées, mais il est loin du niveau de production de l’Arabie Saoudite qui avoisine les 10 millions de barils par jour. Il est vrai que la coopération entre l’Algérie et le Venezuela est stratégique et que ces deux pays jouent un rôle non douteux en ce que concerne les intérêts stratégiques de l’OPEP, mais comme disait Lénine : « une chaîne ne vaut que ce que vaut son maillon le plus faible». Les petro-arabes sont plus préoccupés par des positionnements géopolitiques dans la région que par des intérêts stratégiques de l’OPEP.

Noreddine Izouaouen