Tout en niant qu’il soit possible que quiconque détienne les clés de la crise, Mohammed Abdennour, sociologue et auteur de Lire l’âme des foules, nous donne quelques éléments pour appréhender la crise de la vallée du M’zab et suggère aussi des pistes pour en sortir.
Mohammed Abdennour: Il existe deux composantes sociales à Ghardaïa: les Mozabites et les Chaâmbas. Mais l’interprétation de la crise qui déchire Ghardaïa à travers ces deux éléments que l’on oppose l’un l’autre, est plus une question de concept que de réalité. Car, dans les faits, aucune des deux communautés ne connaît les vraies origines du conflit. Les appartenances religieuses et ethniques sont des éléments de notre histoire qu’on convoque a posteriori pour appréhender ce qui se passe à Ghardaïa. Cependant, il n’est pas exclu que ces éléments s’imposent et s’avèrent être, à terme, le coeur du problème, surtout si la situation continue dans le même sens.Certains analystes parlent de la question du foncier et des inégalités sociales entre les deux communautés. Qu’en est-il en réalité?
Le foncier et les inégalités sociales sont effectivement posés. Mais quand la situation dégénère, quand les personnes profanent des cimetières et incendient des maisons sous le regard passif des services de sécurité, il est difficile de réduire le problème à quelques éléments. De plus, ces éléments sont tous apparus après la crise, pas avant. Cet état de fait renseigne sur la faillite de l’Etat, l’impertinence de l’approche qu’il a de la société et son incapacité à mettre en place les conditions d’une saine compétition entre les différents segments de la société et dans le respect de la loi. En effet, aujourd’hui, il n’existe aucun élément présent qui peut faire l’objet d’une concurrence entres les catégories sociales, les régions, les communautés, etc. Il n’ y a pas non plus de lieux de loisirs, de détente, etc. C’est pourquoi, faute d’entrer en compétition sur des éléments concrets, les Ghardaouis, désoeuvrés moralement, sans ambitions, sans repères et sans espoir, se tourment vers le passé, déterrent des conflits et les alimentent par leurs frustrations présentes.
Les encagoulés qui attisent la crise, arrivez-vous à les identifier?
Pareil travail incombe aux services de sécurité et aux Renseignements. Mais, encore une fois, avant de parler de l’identification de ces encagoulés, il faut identifier leurs actions et répondre à la question de savoir pourquoi on les laisse faire. En effet, le vrai problème qui se pose dans ce sens, c’est que les agresseurs agissent en toute impunité.
Pourquoi, selon vous, l’Etat n’a pas pu prévenir cette recrudescence de la violence et régler la crise à temps?
Comme je l’ai dit précédemment, les origines, les vraies raison de la crise, personne ne peut prétendre les connaître avec précision à l’heure actuelle. Néanmoins, l’Etat, ayant des services de sécurité forts aurait pu empêcher la situation de virer au drame. Mais on dirait qu’il existe des segments au sein du pouvoir, qui veulent que cette crise dure encore. Mais le pire dans l’histoire, c’est que la question de Ghardaïa commence à s’internationaliser et si jamais la situation continuait sur le même rythme, les motifs d’une intervention étrangère en Algérie seraient sans doute brandis.
Quel est le rôle du groupe autonomiste dirigé par Kamel-Eddine Fekkhar? Pensez-vous qu’il joue un rôle négatif dans cette crise?
Kamel-Eddine Fekkhar est un militant et il est là depuis des années. Il est actif en politique et dans la société civile depuis 1998. Il ne fait qu’intervenir dans des chaînes de télévision et des journaux pour donner son avis sur ce qui se passe en Algérie et, particulièrement, au M’zab. Ce n’est pas pour le défendre, mais lui incomber la responsabilité de ce qui se passe à Ghardaïa n’a pas de sens et ce d’autant plus que son mouvement n’a pas d’échos dans la société. Il faut surtout voir du côté des imams qui, eux, ont une grande influence sur la population. Un certain Messaoud Benouelha a écrit un livre soi-disant pour réhabiliter les Chaâmbas, ce qui est bien, mais a profité de l’occasion pour déverser tout son fiel sur les Mozabites qu’il accuse de tous les maux. Ce livre a, en plus, été publié avec le soutien du ministère de la Culture. Kamel-Eddine Fekkhar réagit peut-être à ce genre de campagne mais il est loin d’être, à mon avis, responsable de la crise de Ghardaïa.
Que doivent faire l’Etat, les partis politique et la société civile pour régler cette crise?
Après l’utilisation des armes à feu, la situation a tourné au drame. La première étape, et la plus urgente, consiste donc à rétablir la paix. Pour cela, il faut lancer une enquête et arrêter tous ceux qui sont impliqués dans le conflit qui a occasionné plus de 20 morts. Dans un deuxième temps, il s’agit de rembourser les citoyens qui ont perdu leur bien dans le sillage de cette crise. A moyen et à long terme, il s’agit de faire bénéficier les populations du Sud des richesses du pays et de ne pas leur faire sentir q’il s’agit de citoyens de seconde zone. De plus, il est impératif de rapprocher le citoyen des administrations et des centres de décision dans le cadre d’une decentralisation qui tienne compte des spécificités de chaque région.