Mme Drif-Bitat : “Nous sommes un peuple adulte”

Mme Drif-Bitat : “Nous sommes un peuple adulte”

Invitée hier à la Chaîne III, Mme Drif-Bitat, a lancé un appel à la mobilisation contre la campagne visant à délégitimer la guerre d’Algérie. Pour la moudjahida : « Nous sommes en train de construire notre pays et il est clair qu’un pays se construit en fonction de ses réalités propres, en fonction de son histoire. Il se construit en fonction de sa culture et il se construit à son rythme. »

Si d’aucuns ont cru que les débats qui ont eu pour théâtre le colloque organisé à Marseille sur la guerre d’Algérie ont pu altérer un tant soit peu les principes et les convictions de cette grande moudjahida, force est de dire qu’ils ont été déçus. Invitée hier de l’émission «L’invité de la rédaction » de la Chaîne III, Mme Zohra Drif-Bitat a réitéré les convictions et les principes qui ont été les siens depuis son jeune âge et qui ont fait qu’elle a pris les armes pour militer au sein de l’ALN et mener la guerre à une France colonisatrice et un système colonial qui ont tenté de déposséder, d’asservir et de déculturer le peuple algérien contre son gré. Arguments à l’appui, elle rappellera ce qui est pour elle d’une « telle évidence », qu’elle en arrivera à faire part de sa surprise que les choses ne soient pas aussi claires pour certains français quant à l’horreur de l’entreprise de colonisation qui a été menée en Algérie. « En 1830, la population algérienne était de 10 millions d’habitants. Après 45 ans de résistance, et de guerre totale menée par la France coloniale ainsi que toutes les formes de violence absolue perpétrée à l’encontre de la population, il n’y avait plus que 2,5 millions d’Algériens en 1871 », a ainsi rappelé l’invitée de la radio. « Ce n’est qu’en 1954 que la population est revenue à peu près au niveau de 1830, puisque nous étions 9 millions », a-t-elle précisé.

Ces chiffres officiels ne peuvent signifier qu’une seule chose. A savoir « que le système colonial et la colonisation en Algérie ont commis un génocide caractérisé dans notre pays », a-t-elle estimé. Une vérité historique qui un jour ou l’autre rattrapera la France officielle où un courant tente, de l’avis de Mme Drif-Bitat, de délégitimer la guerre de Libération nationale. Elle en voudra pour preuve le fait que le dérapage constaté au colloque de Marseille qui était pourtant « censé réunir des historiens, des sociologues, des philosophes qui allaient se pencher sur ce moment vécu par la France et l’Algérie. » Or a affirmé Mme Drif-Bitat « on est venu nous dire que le colonisé et le colonisateur c’était du kif-kif au pareil et que c’était maintenant à nous, qui avons été dépossédés, qui avons connu la violence la plus absolue, la plus terrible de demander pardon à nos bourreaux (…). On est en train de vivre un moment où on renvoie dos à dos celui qui tue et la victime.»

« Moi j’ai un vécu et je parle de choses que je sais »

Ce qui ne pouvait que révolter la moudjahida. Cette campagne orchestrée par « un courant palpable aux fins de trouver les moyens pour justifier des positions et des politiques en relation avec des intérêts et des enjeux réels qui agitent le monde aujourd’hui fait dire à Mme Drif-Bitat « que nous, Algériens devons prendre conscience » de cette réalité et « nous devons nous défendre et défendre notre pays. » Pour ce faire, elle lancera « un appel à tous les Algériens et à nos jeunes pour nous mobiliser pour continuer la libération de notre pays autrement. » Réfutant la thèse « que 50 années d’indépendance ont trahi les objectifs de Libération nationale », elle fera un état comparatif de ce qu’était l’Algérie avant et après l’indépendance. Moi j’ai un vécu et je parle de choses que je sais. Je sais ce que nous étions et mon peuple était dans la colonisation. Nous étions un peuple de « gueux », affamés, déculturés, analphabètes à 99%. Et je regarde ce que nous avons construit depuis 62… en 50 ans de temps ». Et d’ajouter « il n’y a aucune commune mesure de notre situation au temps de la colonisation et la situation du peuple algérien aujourd’hui. Un peuple qui a récupéré son humanité. Du temps de la colonisation à partir du code de l’indigénat nous étions des sujets nous étions des citoyens qui n’avaient aucun droit, alors qu’on nous a fait assumer tous les devoirs même celui du sang. » Et à ceux qui tentent de jeter le discrédit sur la guerre de Libération, elle martèlera que « notre guerre était une guerre parfaitement juste par ses objectifs. Nous voulions libérer le pays d’une colonisation de peuplement, d’un système colonial éminemment raciste. Notre guerre était une guerre légitime parce que notre peuple après un siècle d’occupation a décidé de reprendre sa terre dont il a été spolié et d’imposer ses droits et sa personnalité. » Crime contre l’humanité. Des vérités, dit-elle, que les jeunes générations doivent savoir. «Ils doivent savoir ce qu’a été la guerre de libération qui a bouleversé le monde par ses valeurs libératrices universelles et le prix énorme payé pour la libération », a-t-elle simplement dit. De même, poursuivra Mme Drif-Bitat, « l’histoire que l’on ne peut effacer, mais juste occulter un moment, retiendra que la France a commis des crimes contre l’humanité en Algérie depuis 1830, et puisque maintenant on essaie de nous complexer, je pense que nous devons sérieusement réfléchir à comment imposer à ce qu’on reconnaisse ce que la France a commis chez nous. » Dès lors, s’est-elle demandé, « quel regret puis-je avoir d’avoir déposé une bombe au Milk bar ? Et si j’éprouvais un regret que cela voudrait-il dire ? Que je regrette que mon pays et mon peuple aient récupéré leur liberté et leur dignité ? » Aux pays qui disent venir nous apporter la démocratie, elle répondra que « nos peuples sont tout à fait conscients des enjeux qui sont derrière ce souci de nous amener la démocratie », ajoutant au passage que « nous sommes un peuple adulte ». Pour Mme Drif-Bitat « nous sommes en train de construire notre pays et il est clair qu’un pays se construit en fonction de ses réalités propres, en fonction de son histoire. Il se construit en fonction de sa culture, et il se construit à son rythme. »

N. K.