Ministres algériens, leur vie d’après

Ministres algériens, leur vie d’après

2014-Conseil_des_ministres_ph_02_499966270.jpgAprès de longues années à occuper des postes ministériels, certains membres du gouvernement, qui compteront parmi les sortants, auront du mal à s’accoutumer à leur nouvelle vie.

Plus de voiture de fonction ; encore moins de chauffeur ou gardes du corps. Le quotidien va redevenir normal pour eux. Si pour certains d’entre-eux, cette nouvelle vie est difficile à appréhender du fait des regards de la société, des amis et de la famille, pour d’autres par contre, la réintégration dans la «vie civile» se fera sans heurts.

Mais avant d’aborder cela, arrêtons-nous, un instant, sur la question du jour : quelle est la durée de vie d’un ministre en politique ? La fonction de ministre est éphémère et beaucoup de ministres l’ont appris à leurs dépens. En moyenne, ils restent en poste deux où trois ans.

Aujourd’hui avec les multiples remaniements gouvernementaux, les erreurs de casting, les révocations pour fautes graves et les démissions pour cause de maladie, la durée en poste d’un membre du gouvernement est limitée ; pour autant, certains ont réussi à rester en place plus de 10 ans (Boubekeur Benbouzid, par exemple). Et l’autre question qui vient à l’esprit, est la suivante : y a-t-il une vie après la politique ? La réponse est affirmative.

Des cabinets, aux postes de ministres, des personnalités politiques ont réussi à mettre leur expérience et leurs réseaux à contribution des partenaires privés ou publics désireux de développer un projet. L’exemple d’Hubert Védrine, l’ancien ministre des affaires étrangères français est à ce titre, élogieux ; il a décidé de quitter la politique en 2007, après l’échec aux présidentielles de Lionel Jospin. Il a rejoint le secteur privé où il a créé, avec succès, une société de «conseil en géopolitique et en stratégie internationale».

Tout comme lui, l’algérien Lakhdar Brahimi s’est inscrit dans la même trajectoire. Ancien ministre des affaires étrangères, Secrétaire Général Adjoint de la Ligue Arabe et de l’ONU, il a été aussi «envoyé spécial» en charge de nombreux dossiers, ce qui ne l’a pas empêché par la suite, de trouver les ressources nécessaires pour enseigner à «science-po Paris».

Son exemple reste tout de même exceptionnel, car pour beaucoup d’anciens ministres, passer d’un rythme de travail épuisant à une vie normale est en soi, une épreuve dans les jours qui suivent la passation des pouvoirs. Le retour au quotidien peut-être très difficile pour certains d’entre eux, voire pire, car la mention «ancien ministre» sur leur C.V se révèle être un handicap, plutôt qu’un atout.

A l’heure justement où on évoque un changement de gouvernement, certains ministres en perdent le sommeil. D’autres, convaincus qu’ils ne feront pas partie du prochain staff ministériel, ont commencé, déjà, à préparer leurs cartons. Ils auront à abandonner, en un éclair, les dossiers en cours, la voiture avec chauffeur, la villa au club des pins et, surtout, passer de la lumière à l’ombre et des honneurs au téléphone qui ne sonne plus !

Beaucoup d’entre eux, à coup sûr, vont rejoindre la cohorte des anciens ministres installés à l’étranger. A croire les statistiques, sur 700 anciens ministres ou députés, 500 pour le moins ont fait le choix volontaire d’aller vivre à l’étranger, en Europe ou dans les pays arabes.

L’ancien premier ministre du président Chadli Bendjedid, Abdelhamid Brahimi en a fait partie ; il vient de rentrer au pays après 25 ans d’exil, «mais il n’a pu patienter jusqu’à sa sortie de l’aéroport Houari Boumediene pour nous apprendre que Nezzar est un agent des services français et Toufik, un ancien cuisinier !» (*)

Ceci étant dit, nos responsables, une fois de l’autre côté de la méditerranée, s’arrangent pour se faire recruter comme consultants, et cadres d’entreprises «performants» pour ce qui concerne les anciens de la Banque d’Algérie, PDG et autres cadres de Sonatrach. Mais on les retrouve aussi dans des métiers plus surprenants comme le commerce, l’hôtellerie, la restauration et même la boucherie «hallal» !

Au pays, il faut le dire aussi, d’anciens ministres moins chanceux, une fois débarqués du gouvernement, restent confinés chez eux, à broyer du noir, au moment même ou leurs collègues, plus introduits, sont revenus à la politique, par la députation ! En 2007 par exemple, 17 ex-ministres ont été élus à l’APN ; d’autres, plus chanceux, ont bénéficié de «parachutes dorés» : Djamel Ould Abbès, Said Berkat, Nouara Djaaffar, Hachemi Djiar entre autres et aussi Boubekeur Benbouzid, celui-là même qui a occupé le poste de ministre de l’éducation nationale pendant plus de 15 ans, avec le résultat que l’on sait ! Ils ont été désignés dans le tiers présidentiel, au Sénat.

Dure la vie d’un ministre ? Peut-être pas, mais la chute n’est pas sans conséquence sur leur personne, voire leur propre entourage. Un ex-ministre, Kamel Bouchama en l’occurrence, racontait ainsi son éviction : «tu fais du bon travail, lui avait dit le président Chadli, mais je dois confier ton portefeuille à quelqu’un d’autre ; sois patient, tu auras de nouvelles responsabilités dans quelques temps». Les mois passèrent et l’ex-ministre à eu tout le temps de mesurer le vide qui l’entourait et aussi de compter les journées, non sans entrainer femme et enfants, selon ses dires, dans une «ambiance neurasthénique» ; il a beaucoup fumé et souffert aussi de migraines et de lumbago. Son téléphone est resté muet, plus de 10 ans, jusqu’au jour où il a été nommé ambassadeur en Syrie.

De cette expérience traumatisante, il a tiré un livre qu’il a intitulé, à juste titre, « Mémoires d’un rescapé » ; « Je l’ai écrit pour raconter l’affliction et les souffrances de tous les cadres de mon pays : dès qu’ils ne sont plus dans les bonnes grâces des décideurs, ils sont jetés, sans remord ni considération ! ».

Est-il si dur de quitter le pouvoir ? Comment passe-t-on, du jour au lendemain, du statut de ministre à celui de citoyen lambda ? Après la disgrâce, la révocation ne peut-elle être que brutale ou, au contraire, le départ est plutôt synonyme de délivrance pour le ministre limogé ?

Toutes les réponses à ces questions sont à rechercher dans l’expérience éprouvante de Halim Benattalah, ancien secrétaire d’Etat chargé de la communauté nationale à l’étranger. Il n’a pas eu droit à une audience, encore moins à une explication de son éviction du gouvernement. Il raconte que c’est Ahmed Ouyahia, le premier ministre d’alors qui lui a annoncé, sèchement et brièvement la sentence : « le président a décidé de ne pas vous reconduire dans vos fonctions ! ». « J’ai reçu la nouvelle avec un pincement au cœur », a confié Benattalah ; « ce n’est jamais agréable de se faire congédier. Tout s’arrête subitement ! Il faut tout de suite préparer un projet de vie et surtout, ne pas se laisser aspirer par la vacuité qui s’installe après la fin de fonctions».

Quitter le pouvoir, c’est un déchirement pour tous ceux qui ont eu à l’exercer. Certains sont anéantis, car la perte du statut de ministre est vécue comme une honte et une déchéance. Ceux qui s’accrochent aux privilèges dépriment, divorcent même, quand ils ne perdent pas leurs enfants. Ceux qui surmontent leur peine, deviennent invivables pour leur entourage. Comme s’ils étaient amputés d’une partie d’eux-mêmes ! Ceux-là n’aspirent qu’à revenir à tout prix, caressant l’espoir d’être rappelés de nouveau ; ils se résigneront très vite, contrairement aux revanchards qui rejoindront l’opposition regroupée autour notamment, des ex-premiers ministres.

Pendant ce temps-là, l’anglais Tony Blair est devenu conseiller d’une Banque Internationale, l’Allemand Gerhard Schröder est rentré comme consultant dans une grande firme internationale et le français Dominique de Villepin a ouvert un cabinet d’avocat ! Tout comme les ministres Jack Lang ou Luc Ferry qui ont repris leur chaire de professeur à l’université ! Ce qui a inspiré l’ancien ministre de la formation et de l’enseignement professionnel El Hadi Khaldi et bien avant lui Ahmed Djebbar, l’ancien ministre du président Mohamed Boudiaf, qui sont restés au pays, aux côtés de leurs étudiants qu’ils ont rejoints dès leur sortie du gouvernement ! D’autres anciens responsables, se sont faits remarqués aussi par leur talent :

  • Karim Younes, par exemple, ancien ministre, ex-président de l’APN qui vient de publier un troisième livre intitulé « La chute de Grenade ou la nouvelle géographie du monde ».
  • Abdelkader Khelil, ancien délégué au développement économique et à l’aménagement territorial, écrivain lui aussi et auteur d’analyses politiques et économiques, aussi nombreuses que pertinentes.
  • Zinedine Sekfali ancien ministre, analyste et essayiste à succès.
  • Mohamed Benachenhou qui n’a de cesse de débattre, généreusement, de toutes les questions économiques et financières de l’heure.
  • Nour Eddine Boukrouh, qu’on ne présente plus ! Ancien ministre et ambassadeur, personnalité politique attachante, polémiste redoutable ; libre penseur, il se veut au dessus de la mêlée et ne se consacre qu’aux débats d’idées. Il a inventé le mot « ghachi », qui depuis a fait l’objet de nombreux mémoires de fin d’études.
  • Et enfin Mohamed Laichoubi, ancien ministre du Travail et ambassadeur en Roumanie. Conférencier international, il s’est illustré en se faisant élire à «l’Académie Royale Espagnole pour les sciences économiques et financières» qui regroupe en son sein des prix Nobel ; d’innombrables universités et cercles de réflexion font appel à l’érudition de l’homme qui n’a de cesse, par la plume et la parole, de porter haut les couleurs de l’Algérie !

Tout ceci pour dire que les anciens ministres ne quittent pas spontanément le pays après leur départ du gouvernement et qu’en conséquence nul n’a le droit de leur jeter l’opprobre au motif fallacieux que « tous sont pourris ! ».

Pour conclure et au moment où on évoque, ici et de l’autre côté de la méditerranée, la question de « la déchéance de la nationalité », beaucoup de responsables algériens encore au gouvernement, sont sommés de choisir en vertu de l’article 51 de la constitution qui vient d’être votée : renoncer à leur nationalité d’adoption pour rester, éventuellement, au gouvernement, ou prendre le risque de perdre son maroquin ?

Cela pose à l’évidence un sérieux problème : comment peut-on par exemple, reconduire ou nommer un ministre dont le projet, une fois évincé du gouvernement, est d’aller s’établir à l’étranger ? Peut-il vraiment se consacrer à développer un pays dans lequel ni lui encore moins ses enfants ne voudront y vivre ?

Cherif Ali

*cf Nour Eddine Boukrouh : « êtes-vous sûrs de vouloir la vérité ? » -Le Soir d’Algérie du 09/02/2016.