Miliana: Ezyria El Andaloussia au rythme de la nouba

Miliana: Ezyria El Andaloussia au rythme de la nouba

Par 

«La musique donne une âme à nos coeurs et des ailes à la pensée.» Platon

Cette saison estivale a, par bonheur, été celle du renouement de la ville millénaire de Miliana avec les trois journées annuelles organisées pour la célébration du patrimoine musical traditionnel andalou, hélas, interrompues auparavant pendant plus de 12 longues années.

Une initiative de la prestigieuse association Ezirya El Andaloussia présidée par le docteur Youcef Azaizia, un adepte féru de la musique andalouse qui oeuvre inlassablement à son rayonnement par la conception et l’encadrement de cycles d’enseignement pédagogique de référence à l’intention de la jeunesse de la région du Zaccar.

Ezirya: une dénomination au souvenir évocateur de Bologhine Ibn Ziri fondateur de la ville de Miliana Une noble mission de Ezirya El Andaloussia devenue une école de notoriété de la sanaâ pour transmettre un legs patrimonial d’ancestralité à la jeunesse, à dessein de sa perpétuation aux générations futures dans toutes ses splendeurs civilisationnelles de l’époque fastueuse de Cordoue.

Ceci dans la continuité d’un ressourcement historique, ressurgi par la consonance de la dénomination Ezirya, qui puise dans la phonétique mémorielle pour remonter dans le mouvement des âges et du temps à la reconnaissance évocatrice du mythique prince ziride Bologhine Ibn Ziri, fondateur de Miliana entre l’an 972 et 980 et des villes d’Alger et de Médéa.

Lycée Mohamed Abdou: un historique patrimoine architectural C’est en cette conviviale soirée d’un samedi 12 juillet 2018 que le lycée Mohamed Abdou, un historique patrimoine architectural de toute beauté qui fut jadis l’Ecole normale d’institutrices d’Algérie, muséalement conservé et impeccablement entretenu, a connu une affluence festive des grands jours avec une nombreuse participation de familles, de femmes, de jeunes, particulièrement ravis par la thématique de l’évènement.

Comme de tradition, le prélude de celui-ci s’est déroulé aux sons féeriques d’une zorna du terroir qui a captivé toute l’assistance, avec des airs radieux harmonieusement exécutés, en un mode folklorique typiquement milianais.

Vint ensuite le tour de l’orchestre de l’association Ezirya qui a pris le relais avec une apparition nourrie des salves d’applaudissements et de youyous d’allégresse, passionnément poussés par de nombreuses femmes exaltées par une exceptionnelle ambiance.

Cette formation musicale de réputation a séduit l’ensemble des présents par sa jeunesse d’âge très remarquable d’une moyenne de 25 ans, illustrée avec la symbolique du benjamin de 8 ans, l’enfant Hamed Abdelwahab Mohamed, un excellent instrumentiste de la mandoline.

Sous les modes ghrib-zidane, un enchaînement d’une harmonie vocale d’extase fut magistralement repris par l’ensemble de Ezirya El Andaloussia qui a subjugué les très nombreux mélomanes par une mielleuse interprétation des «nesraf» «A tir el anfas» et «Saâ el hania» superbement entonnés pour une transposition de l’assistance dans l’univers édénique de la nouba andalouse, ponctuée par des voix «envoûtantes» des jeunes El Foul Sadek et Djezzar Hayat.

Pour parachever cette brillante prestation, le professeur-président Youcef Azaizia, chaleureusement accueilli par un public enthousiaste, a interprété avec le talent qui est le sien des «nesraf» d’une ode poétique d’anthologie où il a intégré avec brio une chanson qui est un véritable hymne d’amour pour Miliana intitulée «Miliana bladi nabghik», une prose émouvante d’affection du professeur Ahmed Benrabah de l’université de Khemis Milana avec une merveilleuse composition musicale du docteur Youcef Azaizia, dédiée à leur chère ville natale, berceau d’histoire et de culture.

Toujours dans la jonction de la sanaâ et du malouf, un brillant chanteur de Skikda de ce mode musical traditionnel Ahmed Chekat a séduit l’assistance avec des qacidate et nesrafs de ce riche patrimoine.

Ces mémorables journées baptisées «Layali Miliana El Andaloussia» de Miliana ont eu un impact culturel extraordinaire, très perceptible d’ailleurs par l’ambiance exceptionnellement chaleureuse qui a prévalu dans la ville des Cerises où la population a pu se ressourcer avec ces délicieuses soirées musicales traditionnelles au rythme de la nouba et des retrouvailles estivales d’allégresse. Convivialement célébrée et accueillie avec ravissement par la très nombreuse assistance, la prestation d’animation et de communication ponctuée de métaphores, de raffinement esthétiques déclamées en duo par Mme Samira Gouchiche, directrice du musée de Miliana, et Mr Samir Haoua a harmonieusement rimé en prose évocatrice une rencontre culturelle mémorable.

Un projet de valorisation patrimoniale de la région concrétisé grâce à la précieuse contribution de l’Assemblée populaire communale, de la daïra de Miliana ainsi que du directeur de la culture de la wilaya de Aïn Defla, rehaussé par le parrainage honorifique du wali de cette institution.

En marge de ces «andaloussiates» de Miliana, un vibrant hommage a été rendu au monumental Hachemi Guerouabi, en commémoration du 12ème anniversaire de sa brutale disparition le 17 juillet 2006.

Pour l’accomplissement de cet acte de mémoire, une conférence-débat animée par Abdelkader Bendaâmèche, musicologue-chercheur, auteur et spécialiste du patrimoine lyrique et musical, s’est tenue au théâtre Mahfoud Touahri en présence de la distinguée épouse du défunt, Chahira Guerouabi, qui a ainsi ravivé cette communion de mémoire collective partagée par une assistance assidue de mélomanes, de connaisseurs et d’admirateurs de l’icône de la chanson chaâbie.

Connu pour sa démarche de méthodologie pédagogique d’analyse et de recherche dans la vie, le parcours, l’itinéraire et le répertoire des figures emblématiques du patrimoine lyrique et musical algérien, Abdelkader Bendaâmèche a, avec la précision du détail, développé une rétrospective riche et féconde d’un astre de la chanson populaire qui a pour nom Hachemi Guerouabi.

De Hadj M’rizek, la source originelle de sa vocation lyrique pour la chanson chaâbie à Mahboub Bati, à Boudjemaâ El Ankis, à Amar Ezzahi, toute cette vaste constellation de la chanson a méthodologiquement été revisitée au ravissement d’un auditoire captivé par la redécouverte de la fulgurante ascension de Hachemi Guerouabi et de son apport précurseur de renouveau à la pérennisation temporelle de la chanson chaâbie.

Une académique soutenance de l’oeuvre d’éclat «Guerouabi» par Abdelkader Bendaâmèche qui, en une brillante et substantielle synthèse didactique, pédagogiquement documentée sur l’ensemble du parcours phare d’une icône novatrice d’exception, a su, dans le contexte d’une concentration particulièrement studieuse de l’assistance, faire redécouvrir à celle-ci la surdimension de l’art du légendaire Hachemi Guerouabi pour la vitale perpétuation générationnelle de la chanson chaâbie à travers le mouvement naturel des cycles successifs de la temporalité.

Des débats très fructueux ont suivi cette magistrale intervention qui a suscité une réflexion très instructive quant à la démonstration de Hachemi Guzeoubi qui s’est avéré être un véritable avènement de vitalité et de renouveau mélodique pour la chanson chaâbie en symbiose avec les aspirations culturelles d’émanation lyrique et musicale de la jeunesse.

C’est ainsi que Chahira Guerouabi, l’épouse du regretté défunt a avec émotion et perspicacité, abondé dans cette laborieuse phase de celui qui, a-t-elle précisé, était viscéralement attaché à la préservation d’un patrimoine très précieux à léguer dans sa vitalité aux générations montantes.

Une intervention, éminemment pertinente car d’actualité et complétée de par son centre d’intérêt par plusieurs autres communications très édifiantes sur l’oeuvre de créativité géniale de Hachemi Guerouabi, orientée dans une perspective d’épanouissement d’avenir de la chanson chaâbie à travers les âges et les temps.

La chanson: une place sociétale déterminante dans la sphère culturelle mondiale consacrée par le prix Nobel de littérature de 2016 Le développement de ces échanges au cours du débat a constitué une thématique sur l’univers de la chanson, ainsi que sa place sociétale privilégiée et déterminante dans la sphère culturelle mondiale.

De ce fait et dans un processus de mouvement générationnel, elle véhicule à travers la planète, l’expression des sentiments et aspirations profonds de la jeunesse qui en pérennise ainsi le rayonnement de cet univers magique de rapprochement des peuples.

Elle incarne également là, un legs fondamentalement vital en direction de celle-ci qui est sa sève, semeuse de liens communs de destin et d’affinités humaines tramées par le rythme de la sonorité puissante d’un verbe poétique et de mots sans frontières, culturellement rassembleurs et perpétuellement projetés dans sa luminosité par la musique et la chanson.

Ceci pour évoquer l’expressif adage populairement usité «La culture sauvera le monde» et de rappeler en la circonstance l’attribution inédite jusque-là du prestigieux prix Nobel de littérature 2016 décerné à la révélation mondiale du siècle Bob Dylan, dont la gigantesque oeuvre d’universalisation de la chanson accomplie, a démontré la dimension de l’impact sociétal de celle-ci dans l’espace et la temporalité de son incommensurable champ d’expression culturelle dans un monde en quête de renouveau existentiel rimé et rythmé d’humanisation par la chanson.

Une consécration qui est également une forte symbolique inaugurale de l’ouverture de la littérature à la chanson et à la poésie illustrant ainsi, l’universalité de la culture musicale contemporaine.

La 1ème édition de «Layali Miliana El Andaloussia» a connu un éclatant succès qui a créé une ambiance estivale festive dans la région.

La célébration de l’hommage au souvenir de Hachemi Guerouabi s’est révélée un acte de mémoire accompli par la population de la ville de Miliana qui l’avait déjà adopté, en familier, pour les soirées inoubliables qu’il a animées dans la capitale du Zaccar où il comptait de nombreux amis et fans admirateurs de son style novateur et de son génie.

Lors d’une clôture d’apothéose de ces Andaloussiates, un hommage musical lui a également été rendu avec l’interprétation de ses grands succès repris en choeur par une assistance subjuguée en phase d’une communion de pensée collective à son souvenir.

Intensément émouvante, cette cérémonie a été solennelle par la présence de Chahira Guerouabi qui, après une remarquable intervention sur l’oeuvre et le parcours du symbole Hachemi Guerouabi, fut ovationnée par un public nombreux et enthousiaste ainsi que par des personnalités de notoriété parmi lesquelles: le président de l’APC de Miliana, Mourad Bouslahi, et le chef de daïra, Youcef Mahyout, du directeur de la culture de la wilaya de Aïn Defla Djamel Mahmoud Hasnaoui, Zoulikha Ferroukhi, fille de l’historique chahid Mustapha Ferroukhi, M’hamed Bendimerad et Brahim Djelloul, présidents d’honneur de l’association Ezirya pour ne citer que ceux-là, car nombreux à être de la partie à cette mémorable soirée.

Cette prometteuse première édition de «Layali Miliana El Andaloussia» s’est par l’impact de son succès avéré un événement de ressourcement culturel marquant qui a favorisé un renouement mémoriel de reconnaissance et de gratitude à l’égard des pionniers serviteurs de notre patrimoine lyrique et musical à l’image des frères Mohamed et Abderezzak Fekhardji, aujourd’hui disparus avec le regretté Amraoui Missoum, concepteur et fondateur de la musique moderne contemporaine algérienne.

Hélas, ces icônes de fierté qui, avec un dévouement d’exemplarité, ont tant donné à la culture algérienne avec malheureusement tant d’autres, sont déplorablement ensevelis sous les ténèbres du syndrome hideux de l’oubli et demeurent, ironie du sort, d’illustres inconnus pour une jeunesse avide de réappropriation de son fondamental substrat culturel et patrimonial tramé par ce précieux legs d’ancestralité.