Mila,El-aoula, une tradition ancestrale

Mila,El-aoula, une tradition ancestrale

Consistant à stocker des denrées et du bois en prévision de l’hiver, c’est aussi un mode d’économie domestique qui avait assuré, durant des siècles, la sécurité et la survie des petites communautés rurales face aux éléments extrêmes de la nature.

Mohamed-Salah Zemamouche (75 ans) se souvient d’un rude hiver vécu par la région de Mila durant la Révolution (il ne se rappelle pas l’année). Les neiges, dit-il, étaient tombées sans arrêt durant presque un mois entier. «Nous étions isolés du reste du monde et nous ne dûmes notre salut qu’à notre aoula de blé, nos mezaoud’ (sacs) de chekhchoukha et nos stocks de bois et de paille», affirme ce vieillard.

Un système qui avait permis aux populations rurales de traverser l’hiver exceptionnel de cette année-là, ajoute M. Zemamouche qui indique que chaque foyer se devait de stocker 12 quintaux de blé (à raison d’un quintal pour un mois), outre des quantités de légumes et des fruits séchés (tomates, figues), des matières grasses assaisonnées et des viandes sèches (gueddid) ainsi que du bois et de la bouse de vache qui servaient au chauffage. Pour Rabia Lamara, universitaire, ce mode d’économie domestique constitue «une forme d’adaptation sociale aux aléas climatiques».

L’Emir Abdelkader, au cours de sa résistance à l’occupation française, avait recouru, selon cet universitaire, à ce mode de stockage de provisions et de vivres en constituant un réseau de points d’entreposage distants de 50 km l’un de l’autre. Cela permettait à ses troupes de frapper et de se replier sans avoir à s’alourdir en transportant des provisions. L’Armée de libération nationale (ALN) avait également créé des centres d’approvisionnement disséminés à travers les maquis et utilisés par les djounoud qui faisaient aussi profiter les populations démunies des denrées stockées, affirme encore M. Lamara. Le comédien de théâtre Charafeddine Zeghdoud se souvient de l’attention particulière accordée par les grand-mères de jadis à la constitution, en plein été, de provisions en couscous pour toute l’année. Le couscous était roulé dans le cadre d’une sorte de «touiza» (action de solidarité collective) mettant à contribution toutes les femmes de la famille et même du voisinage. La mechta Adass-Boukhelad, située dans la commune de Tessala-Lemtaï, «s’accroche» à un flanc de la montagne difficilement accessible, même par temps clément. Le poète Tahar Boussabaâ s’y rendait dans les années 1980 pour rendre visite à ses deux grands-pères. L’épaisseur des neiges, assure-t-il, y atteignait plusieurs mètres et il fallait utiliser des pelles rien que pour ouvrir les portes des maisons dans ce petit hameau qui restait parfois isolé du reste du monde pendant de longues semaines. Le blé, l’orge et la semoule étaient stockés, pour affronter de pareils moments, dans des tonneaux en terre cuite appelés «Akabouch». Piments rouges et tomates étaient asséchés durant l’été et conservés.

R. L. / APS