Michelle Pfeiffer, dangereuse séduction

Michelle Pfeiffer, dangereuse séduction

Le charme intact et la séduction ténébreuse de la star américaine font merveille dans Chéri, d’après Colette. Avec ce film, elle retrouve le réalisateur Stephen Frears, vingt ans après les Liaisons dangereuses. A Londres, où elle nous a reçus, Michelle Pfeiffer commente son retour au cinéma après une trop longue absence. Confessions sans détours.

On est dans une suite de palace londonien, et Michelle Pfeiffer, qu’on pensait frêle, décide de réaménager l’espace en bousculant énergiquement canapé et « coffee table » sous l’œil amusé de sa publiciste, caméléon mutique qui se confond avec le papier peint chinoisant.

Pfeiffer, petites lunettes, boucles blondes et rires faciles, émerge d’un congé sabbatique de près de quatre ans, durant lequel elle a regardé pousser ses deux enfants et emménagé dans un ranch, au nord de la Californie, avec son mari, le producteur David E. Kelley. Loin de l’œil public, son statut de star n’a pourtant jamais été remis en cause, et les nouveaux films de cette irrégulière au magnétisme intact et au CV aléatoire (Scarface, les Liaisons dangereuses, Batman, le défi, mais aussi Esprits rebelles ou Stardust, le mystère de l’étoile) sont attendus.

Chéri, tiré d’un célèbre roman de Colette publié en 1920, marque ses retrouvailles avec Stephen Frears, vingt ans après les Liaisons dangereuses. Le réalisateur anglais en fait une cocotte parisienne Belle Époque au crépuscule de sa splendeur, vivant un dernier amour avec le fils d’une de ses consœurs (Kathy Bates), Fred Peloux, dit Chéri (Rupert Friend), un gamin capricieux de 20 ans. Le siècle est à son tournant ; Léa de Lonval aussi, qui apprend le renoncement : à la jeunesse, à la beauté, à l’amour et au pouvoir. Tout ça dans le regard bleu infiniment triste de Michelle Pfeiffer, dont le visage bouleversant nourrit ce Chéri élégant, narquois et cruel.

« Madame Figaro ». En 1988, Stephen Frears fait de vous la Madame de Tourvel angélique des Liaisons dangereuses. Vingt ans plus tard, c’est en prostituée qu’il vous envisage…

Michelle Pfeiffer. Encore une femme perdue ! C’est intéressant. Et cela ne m’a pas échappé…

Il paraît que les actrices adorent jouer les prostituées…

-Et plus généralement, des femmes inacceptables pour la société. Le challenge était d’autant plus grand dans Chéri que Léa de Lonval, mon personnage, n’est pas une prostituée stéréotypée mais une femme élégante et, paradoxalement, très honorable.

Comme les courtisanes XIXe de Colette, les actrices doivent plaire et séduire, non ?

Plaire et séduire ? Je déteste cette idée. Voilà la clé de mon insuccès. (Elle rit.) Je ne pense pas qu’une actrice doive plaire absolument. À qui ?

Qu’est-ce qui vous a attirée dans Chéri ?

Il y a déjà deux arguments implacables : Stephen Frears à la réalisation et Christopher Hampton à l’écriture. Quand Stephen m’a envoyé le script, j’étais sur la Lune.

Quelle actrice étiez-vous à l’époque des Liaisons dangereuses ?

Une actrice sous pression. Des pressions que je m’infligeais, d’une part, parce que ce métier est extrême quand on débute jeune, d’autre part, parce que, à ce moment-là, je me définissais exclusivement par mon travail, ce qui m’empêchait de prendre beaucoup de plaisir. Ce n’était évidemment pas sain. Aujourd’hui, je suis la même actrice, mais je suis capable d’apprécier les expériences artistiques pour ce qu’elles sont. J’ai compris à quel point c’était une bénédiction de pouvoir continuer à faire quelque chose que j’aime passionnément. Pourquoi ce changement ? La vie a fait son œuvre. J’ai des enfants, une famille, j’ai vieilli. Je suis plus nuancée et plus apte au lâcher-prise…

Au début de votre carrière, vous sembliez fragile. Le mot «éthéré» revenait invariablement pour vous qualifier…

Pourtant, je ne l’ai jamais été ! Je suis même le contraire d’une éthérée. Moi, je me sens masculine dans ma façon d’être, et je suis toujours surprise de cette féminité exacerbée qu’on veut bien me prêter. Jeune, j’étais un garçon manqué, assez massive, du reste. Les sensations de l’enfance vous poursuivent toute votre vie : moi, je me vois toujours comme ça, masculine, même si la vie vous apprend à masquer votre nature profonde. Je suis restée extrêmement volontaire.

Comment s’exprime cette masculinité que vous revendiquez ?

En général, les hommes ont tendance à être directs et expriment très frontalement leurs opinions. Je suis comme ça,et c’est comme ça que j’aime qu’on me parle ; dansle cas contraire, lorsqu’on tergiverse, je ne comprends pas. La confrontation ne me fait pas peur.

Peut-on parler frontalement à Michelle Pfeiffer, star de cinéma ?

Lorsqu’un homme est direct et contrôle la situation, on le loue : il est fort et fiable. S’il s’agit d’une femme, qu’est-ce qu’on va dire ? Que c’est une garce…

Parlons frontalement. Est-il impoli que les journalistes commentent sans arrêt votre âge ?

Non, c’est une question comme une autre. Je suis rodée : on me parle de mon âge depuis mes 35 ans ! Là, j’ai eu 50 ans, c’est un gros chiffre et une obsession pour les femmes – comme pour les hommes, d’ailleurs. Vous savez quoi ? Il y a une bonne nouvelle : 50 ans, la belle affaire, ce n’est pas grand-chose. Le jour de mon anniversaire, j’étais très occupée, je tournais, je n’ai rien senti de particulier, aucun changement en moi. (Elle rit.)Chéri est un film sur la résignation, à l’heure où l’on abandonne la beauté, l’amour, les illusions. La résignation est-elle un sentiment familier ?

Tout au long de sa vie, plusieurs fois dans sa vie, on laisse des choses sur le bord de la route. Oui, la perte est un sentiment familier. La perte de

mon père. La perte d’êtres chers. La bénédiction de la maturité, c’est qu’on ne compte pas seulement ceux qu’on a perdus : on est aussi plus attentif à ceux qui restent. Et puis, il y a une acceptation…

Le film de Stephen Frears parle aussi de la différence d’âge. Léa, votre personnage, prend pour amant Chéri, qui pourrait être son fils…

C’est le troisième film où j’ai pour amant un homme beaucoup plus jeune que moi. Plus je vieillis, plus mes partenaires rajeunissent. (Elle rit.) Pourquoi ? Je ne saurais le dire…

Parce qu’on aime vous voir en femme sacrificielle ? Peut-être la raison réside-t-elle dans votre «beauté tragique», pour reprendre l’expression de Stephen Frears…

Oui, c’est son expression. J’aimerais bien que vous m’expliquiez…

Cette tristesse dans votre regard ?

Et vous l’avez décelée quand je joue la sorcière dans Stardust ? Je suis une actrice. C’est mon métier… Je peux même jouer une crème glacée. (Elle rit.)

Qu’est-ce qu’il faut pour durer à Hollywood ?

C’est difficile à dire… On a la réponse à cette question seulement a posteriori, quand on considère le long terme. La base, c’est évidemment la cohérence dans les choix. Et puis aussi, je suis intimement convaincue que les bons acteurs continuent de travailler même lorsque les visages et les corps s’affalent…

Quand savez-vous que vous avez été bonne ?

Les acteurs savent d’instinct quand une prise est bonne. Moi, j’ai la mémoire des prises. Je n’oublie jamais. Un an après un tournage, lors du montage, par exemple, je peux alerter le réalisateur en lui soufflant qu’il existe une meilleure prise et qu’il faut partir à sa recherche…

Aimez-vous vous voir au cinéma ?

Je déteste ça. C’est une torture. Et vous savez quoi ? Chaque fois que je tombe sur un de mes films, par hasard à la télévision, je crois voir ma sœur Dedee. C’est très bizarre, et cela me surprend à chaque fois…

Pourquoi travaillez-vous aussi peu ?

J’ai beaucoup travaillé, et puis, lorsque mes enfants ont été scolarisés, je n’ai pas voulu les perturber en acceptant des engagements lointains. Ce n’est pas inhabituel pour une actrice de s’arrêter un an ou deux, mais là, c’est quatre années qui ont passé sans même que je m’en rende compte.

Avant de réintégrer les plateaux, j’étais pétrie de doutes. J’ai même pensé que si je m’étais arrêtée si longtemps, ce n’était pas fortuit ; c’est peut-être parce que j’avais perdu le goût de ce métier ? Et dès que j’ai recommencé à tourner, j’ai compris que le cinéma m’avait beaucoup plus manqué que je ne l’avais cru. Le cinéma nourrit mon âme. Et fait peut-être de moi une meilleure épouse et une meilleure mère…