Mettre la loi à l’abri des aléas politiques

Mettre la loi à l’abri des aléas politiques
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Le droit et la contribution du juriste, le regard qui est porté sur les changements qui s’opèrent dans le champ social, tout cela a fait l’objet d’une table ronde qui a regroupé Maître Miloud Brahimi, pénaliste et spécialiste du droit international, Maître Chorfi Chérif, ancien bâtonnier, et avocat spécialiste du droit pénal, Maître Khababa Ammar, avocat. Pour Me Miloud Brahimi, l’intervention du juridique, celle du juriste couvre en de telles circonstances, plusieurs domaines, la norme juridique, les droits de l’homme, le domaine de la justice, etc.

La construction d’un Etat démocratique

Dans la conjoncture actuelle et au vu du processus de changement qui a été initié à l’initiative du Président de la République, c’est comment parvenir à la construction d’un Etat démocratique qui semble être la finalité de l’effort de transformation qui est demandé. Il s’agit d’édicter un certain nombre de règles qui pourront mettre les textes et le premier d’entre eux, le texte constitutionnel, à l’abri des aléas conjoncturels.

L’Etat démocratique sous-entend la défense des droits fondamentaux individuels et collectifs relève l’éminent juriste.

Pour Maître Chorfi Chérif, le droit dans de telles circonstances est constamment sollicité.

Le droit est constamment sollicité

C’est aussi au nom du droit que se commettent des abus de toutes sortes. C’est au nom du droit que l’on voit certains pays intervenir dans les affaires intérieures des Etats, mais de quel droit s’agit-il alors, s’interroge l’éminent juriste. Il s’agit en tout cas d’un droit qui n’est pas compris partout de la même façon. Est-ce que le droit international peut permettre à certains Etats d’intervenir en dehors de leurs frontières, le droit autorise-t-il cela ?

Il y a un problème de rapport de force, que le droit, tel qu’il est compris par certains, autorise, comme on le voit aujourd’hui à travers un certain nombre d’exemple. S’agissant de l’Algérie, est-ce que l’on peut affirmer que le droit est à la pointe en matière de respect de chacun.

Un arsenal juridique impressionnant mais qu’en est-il de l’application ?

Le fait est qu’il y a un arsenal de dispositions législatives et juridiques, mais qu’en est-il de l’application sur le terrain.

Ceci étant, les changements dans beaucoup de domaines sont, c’est vrai, notables.

Mais beaucoup de droit peut tuer aussi le droit. Pour Maître Khababa, si la production du droit est de la compétence du juriste, c’est à l’Etat d’en assurer la diffusion après l’adoption par les assemblées élues. C’est cela, note l’orateur, qui caractérise l’Etat démocratique. S’agissant de l’application des textes, Maître Miloud Brahimi, rappelle comment les déclarations du Président de la République s’agissant de la dépénalisation de l’acte de gestion sont aujourd’hui vidées de leur substance, ce qui n’est pas normal. La prétention à une démocratie moderne, selon l’orateur, renvoie à un vieux débat.

Une saine réaction des autorités

Dans le système algérien, on retrouve forcément de bonnes comme de mauvaises choses, mais l’essentiel c’est que le mécontentement populaire, les revendications sociales ont vu une saine réaction du pouvoir pour engager une politique de changement. La forme adoptée, n’en peut être pas l’idéal, mais cela évite que l’on aille vers des scénarios qui font appel à la violence et qui ne vont pas dans l’intérêt du pays.

La démocratie a besoin de se construire, la justice, l’économie, l’émergence d’une classe moyenne, etc., pour Maître Chorfi, répondant aux questions des participants, tout citoyen a droit à la protection et à la préservation de ses droits fondamentaux. La question ne pose aujourd’hui de savoir si ces droits le sont réellement, et est-ce que le cadre adéquat existe pour leur garantie.

Nécessité d’une vision à long terme

L’orateur juge qu’il y a profusion de textes, parfois rédigés et adoptés en fonction d’une conjoncture précise, ce qui n’évite pas une certaine improvisation. Me Chorfi estime qu’il n’y pas en la circonstance une vision à long terme et uniforme. La loi peut alors répondre à un besoin particulier ressenti sur le moment ou pour satisfaire les intérêts d’une catégorie sociale ou une autre. Maintenant il y a la loi et l’esprit de la loi, note l’orateur. C’est souvent l’esprit de la loi qui prédomine. Concernant la protection des droits fondamentaux. Il est incontestable que la loi a contribué à leur renforcement. Les progrès sont incontestables de ce point de vue là, note l’orateur, et la loi est là, mais dans c’est l’application de cette loi que se posent véritablement les problèmes. Cela ne peut expliquer les situations de désordre,

Des décisions pour répondre à une situation donnée

Maître Chorfi en répondant aux questions relève qu’effectivement certaines décisions juridiques, voire des lois sont prises pour répondre à une conjoncture donnée, qui cherche en quelque sorte à réparer l’absence d’une vision à long terme pour la solution des problèmes. C’est comme cela qu’est perçue l’adoption de la récente loi de finances complémentaire venue au secours des importateurs, auparavant tenus à un certain nombre d’obligation sur lesquelles l’Etat est revenu dessus pour juguler des situations de pénurie nées du renchérissement des prix, dans l’esprit de l’orateur (sucre, huile), qui avait provoqué, chacun se rappelle, un vaste mécontentement social.

Tout cela aurait pu être évité si précisément il y a avait une vision à long terme. Me Brahimi Miloud confirme cette analyse dans ses réponses relevant qu’il y a des lois qui attendent d’être appliquées, notant aussi qu’il y a absence de mécanismes prévoyant des sanctions dans le cas où cette application des textes ne se fait pas.

Le droit pour défendre le justiciable

L’orateur rappelle un principe clé du droit et du recours à la justice qui est le droit pour la justice, le droit à l’erreur, mais il y a la faculté pour le citoyen de faire appel, d’aller ensuite à la cassation si nécessaire. Il ne faut pas que ce droit devienne un droit à l’errement. Me Miloud Brahimi souligne que lors des consultations politiques où il a été convié à faire des propositions, il a demandé à ce que l’on réfléchisse à la mise en place d’une cellule d’écoute qui permet de remettre en cause une décision née d’une erreur.

Des Etats plus égaux que d’autres

Concernant la situation qui prévaut sur le plan international, l’orateur en répondant aux questions allant dans ce sens, relève que sur le plan international, prévaut le principe de l’égalité en droit de tous les Etats. Mais la réalité, relève Maître Brahimi Miloud, nous renseigne, suggère-t-il, qu’il y a des Etats qui sont plus égaux que d’autres. Ce n’est évidemment pas une situation qui doit nous condamner à l’immobilisme. La loi internationale nous donne la possibilité de dire notre mot, être en position de riposter.

L’orateur souligne que le Traité de Rome qui a permis la création de la Cour pénale international (CPI), donne la possibilité aux Etats d’accéder à cette institution internationale. Ce que l’on constate, c’est qu’il n’y a pas aujourd’hui un seul magistrat issu des pays arabes dans la Chambre d’instruction de la CPI. La position vis-à-vis de la peine de mort et de son abrogation reste chez nous posée. Cette abrogation nous aurait permis une meilleure intégration sur le plan international.

L’adhésion au bloc universel

Pour Maître Miloud Brahimi, si on adhère au bloc universel qui se construit, on a plus de chances d’être entendus et faire preuve d’efficacité dans la défense de nos droits. La situation émanant du statu quo actuel ne nous permet pas d’avancer. L’orateur prend l’exemple de la Turquie qui, pour le prix de son insertion à l’Union européenne, a été amenée à des concessions et entre autres à abolir la peine de mort.

Adapter le droit aux conditions de vie

Pour Maître Chorfi Chérif, il est nécessaire d’adapter le droit aux conditions de vie. Les réformes nécessitent en parallèle une réforme des mentalités, dit-il.

C’est le mérite des pouvoirs publics de s’engager dans cette voie, mais il est nécessaire que l’on aille vers un dialogue de fond. L’absence de continuité dans l’action, c’est ce qui créé le désarroi chez les gens et c’est ce qui est perçu parfois. Les responsables politiques doivent donner l’exemple de la rigueur et de la continuité dans l’action.

Presse : Des décisions essentielles à prendre

Sur une question à propos de l’information et du statut du journaliste, c’est Maître Miloud Brahimi qui rappelle que les décisions concernant la mise en place d’un statut, la question des salaires, la formation, sont des décisions essentielles à prendre, comme est essentielle l’ouverture de l’audiovisuel. Il y a aussi la dépénalisation du délit de presse, sur lequel les avis divergent encore, à travers les réponses données par les uns et les autres ; comme quoi tout est affaire d’appréciation de la nature du délit, comme le précise d’ailleurs Maître Khababa Ammar.

La loi sur le droit à manifester

L’éminent juriste relève que dans le paquet de réformes proposées dans le cadre des consultations politiques, il n’est fait nulle part mention de dispositions à prendre sur le droit à manifester et à se réunir.

Dans le débat, certains participants, juristes de leur état, se sont posés la question de savoir ce qui a motivé les pouvoirs publics pour adopter le timing que l’on connaît aujourd’hui et engager des consultations politiques. C’était l’occasion aussi pour se demander si le pays dispose de capacités pour prendre en charge les problèmes posés. Les réponses données font référence à la situation qui prévaut dans le pays qui a besoin de changements profonds. Elles font aussi référence à la situation qui prévaut dans notre environnement immédiat, les pays arabes notamment. Quant à la capacité, le pays a les moyens de faire face si la politique du dialogue et de la concertation est la règle pour aller vers le changement et la démocratie.

Aucun modèle n’est idéalement parfait

Maître Brahimi Miloud souligne que l’on peut être sceptique quant à la viabilité du package qui est proposé à la discussion et aux recommandations, mais souligne aussitôt que rien n’est de toute façon parfait, quel que soit le scénario adopté.

Certains pensent que la constitution d’une commission indépendante aurait été plus avantageuse pour entamer les consultations, mais encore une fois rien n’est parfait, dit-il. Concernant une question sur la justice, Maître Brahimi rappelle le principe qui est le sien, c’est que la justice est liée au système qui prévaut aujourd’hui et donc s’il y a changement, cela doit suivre.

La cellule d’écoute proposée par l’orateur aux responsables politiques va vers le rapprochement du justiciable de la justice. Maître Chorfi, confirme que le processus engagé est positif pour aller vers le changement, mais souligne que nous devons rester vigilant à travers ce qui s’entreprend.