Le tour de vis décidé dernièrement a certes produit son effet en endiguant (pas totalement) la fuite, mais les citoyens de Tlemcen font aussi les frais de la mesure à cause des pénuries d’essence et de gasoil.
Après les mesures drastiques prises par le gouvernement lors du Conseil interministériel, présidé par Abdelmalek Sellal, le 4 juillet dernier, à travers la mise en œuvre d’importants moyens techniques, administratifs et juridiques pour contrôler le flux migratoire transfrontalier des produits soutenus par l’État dont le carburant occupe une place prépondérante, des files d’attente inhabituelles au niveau des stations-service sont signalées à Oujda et dans les autres localités de l’Oriental (est du Maroc).
Habitués à s’approvisionner auprès des hallabas qui se font de plus en plus rares sur le marché informel à cause justement du tour de vis donné par les autorités algériennes avec la multiplication des contrôles, l’arrestation des trafiquants de fuel et la saisie de leurs moyens roulants, les Marocains n’ont de solution que de se rabattre vers les stations-service malgré le prix élevé du litre d’essence (environ 1 dollar le litre), soit plus du double payé précédemment aux revendeurs qui proposaient aux usagers sur la voie publique des jerricanes de 30 litres d’où ils retiraient un bénéfice substantiel.
Si les gérants marocains des stations-service ont retrouvé le sourire après une très longue période de disette (selon le président du groupement marocain des pétroliers, Adil Ziady, le manque à gagner est estimé à 1 milliard de dirhams), en revanche les automobilistes, dans leur ensemble, sont en désarroi, obligés à présent de prévoir un budget conséquent pour pouvoir rouler en voiture, eux qui profitaient jusque-là des largesses financières de l’Algérie à travers le réseau tentaculaire des trafiquants.
Durant plusieurs années, Tlemcen était la principale wilaya pourvoyeuse de carburant exporté illégalement et frauduleusement par des chemins détournés par des milliers de hallabas estimés entre 7 000 et 10 000 véhicules, à telle enseigne que le ministre de l’Intérieur, Daho Ould Kablia, avait déclaré qu’elle consommait le double du volume alloué à la capitale Alger.
Il a aussi affirmé, le 15 août à Jijel, que “le trafic de carburant aux frontières a maintenant baissé de moitié”, faisant allusion aux résultats tangibles sur le terrain depuis l’application des directives gouvernementales pour annihiler ce phénomène de société qui porte gravement atteinte à l’économie nationale d’autant plus que la plupart des produits exportés illégalement vers le pays voisin sont soutenus par l’État : carburant, lait, semoule, médicaments, matériaux de construction, auxquels il faut ajouter la quincaillerie, les pièces de rechange pour véhicules, les articles électroménagers, les produits cosmétiques, le cheptel, etc.
Le tout est troqué principalement contre la drogue dont plus de 78 tonnes ont pu être saisies durant le 1er semestre, avec une hausse de près de 10% par rapport à la même période de 2012.
Le dernier bilan communiqué par la direction des douanes de Tlemcen fait état de la saisie, du 1er janvier au ??21 août, de 115 930 litres de carburant. En fait, il faut multiplier par au moins quatre le volume des saisies en ajoutant les prises effectuées par la Gendarmerie nationale et les services de la sûreté de wilaya sans, cependant, mésestimer la quantité de carburant encore exporté illégalement et frauduleusement surtout de nuit par les hallabas, et ce, malgré l’étau qui semble se refermer sur eux, surtout après l’entame des travaux de creusement par les éléments de l’Armée nationale populaire de profondes tranchées tout le long de la bande frontalière ouest, allant de Marsa-Ben-M’hidi jusqu’aux confins du Sahara.
Il faut signaler que malgré cette débauche d’énergie des autorités centrales et locales pour mettre un frein définitif au trafic de carburant, avec notamment la décision du wali de n’autoriser à la pompe que l’équivalent de 500 DA d’essence et 2 000 DA pour les camions et engins et l’installation de postes avancés des douanes, la tension persiste encore au niveau des 56 stations-service de la wilaya et même de celles situées au-delà, à Aïn Témouchent et Sidi Bel-Abbès par exemple, où les automobilistes subissent l’éprouvante épreuve d’attente de plusieurs heures surtout en cette période de chaleur caniculaire.
Certains, bien qu’ils aient patienté dans la longue chaîne qui avance à pas de fourmi, repartent souvent bredouille car le quota quotidien est vite épuisé. Peut-être que cela s’explique par le nombre important de véhicules importés temporairement par les émigrés venus passer leurs vacances en Algérie.
Vers la mi-septembre, la situation, dit-on, va pouvoir s’améliorer dans le fonctionnement des stations-service où la fluidité est attendue.
Les hallabas, quant à eux, loin de baisser les bras, semblent avoir plusieurs tours dans leur sac. Pour faire le plein, ils ont troqué les vieilles Mercedes, Renault 25, Peugeot 505 et autres vieux tacots contre des voitures neuves et puissantes louées comme les Logan, et n’hésitent pas à refaire plusieurs fois la queue dans les stations-service jusqu’à remplir le réservoir à ras. Ils sont même souvent accompagnés d’enfants en bas âge, assis à l’arrière, donnant ainsi l’impression que c’est un père de famille en villégiature ou qui se rend en visite à Maghnia chez ses proches.
Ainsi ces membres de réseaux mafieux, qui ne reculent devant rien, effectuent la navette vers l’extrême ouest du pays, même de jour, traversant plusieurs fois sans encombre les nombreux barrages de contrôle sans attirer l’attention, pour livrer à terme au village de Sellam, à Bab El-Assa, le précieux carburant qui, la nuit, traversera la frontière à dos de baudet. Mais pour ces trafiquants, les jours sont comptés.
B. A