Abdelmalek Sellal s’est employé à rassurer les patrons, sans doute pour gagner leur caution à la politique d’austérité que le gouvernement s’apprête à mettre en branle, mais aussi à déconstruire le discours des experts.
En dehors des satisfecit rituels, la tripartite qui a regroupé à Biskra le gouvernement, le patronat et le syndicat-maison, l’UGTA – les syndicats autonomes étant exclus – s’est achevée comme elle a commencé : aucun dossier sérieux à l’ordre du jour. Quelques rappels sur les actions entreprises, deux ou trois promesses et un silence sidérant sur les questions qui agitent le pays.
Dans sa tirade, Abdelmalek Sellal, qui sort d’une relative éclipse, s’est employé à rassurer les patrons, sans doute pour gagner leur caution à la politique d’austérité que le gouvernement s’apprête à mettre en branle, mais aussi à déconstruire le discours des experts, pourtant unanimes à relever la gravité de la situation économique vers laquelle se dirige inexorablement le pays. C’est ainsi qu’Abdelmalek Sellal, à l’inverse des recommandations des experts, sans doute par populisme, culture à laquelle nos gouvernants ont été nourris, mais sans doute aussi par crainte d’une effervescence sociale, a réitéré le maintien des transferts sociaux qui grèvent le budget de l’État.
“Arithmétique macabre”
“Face à la contraction des ressources financières, le réflexe primaire ainsi que le calcul froid et cynique prôné par certains analystes voulaient que l’on procède de la manière la plus basique : si les revenus ont baissé de 47% sur l’année écoulée, des coupes dans les mêmes proportions doivent être opérées sur les dépenses, notamment celles non productives, à savoir les transferts sociaux. Cette arithmétique macabre ne tient pas compte de la nature sociale et démocrate de l’État algérien moderne voulue par ses pères fondateurs et exprimée dans l’appel du 1er Novembre 1954”, a-t-il affirmé.
Dans un exercice qui révèle plus d’autisme que de pragmatisme, il affirme qu’il n’y aura pas d’austérité. “Dire la vérité, c’est tabler sur un baril de pétrole à 45 dollars comme base d’élaboration de la loi de finances pour 2016 qui ira dans le sens de la croissance et non dans celui de l’austérité car nous avons largement les capacités de résister et de nous
améliorer”.
Pour le reste, Sellal titille l’ego des Algériens, entreprise qui trahit quelques soucis face à d’éventuels remous sur le front social. “Quand ils se sont unis, les Algériens ont balayé le colonisateur et ont opposé à la barbarie et l’obscurantisme la paix et la réconciliation dont nous fêtons, ces jours-ci, le dixième anniversaire. Ce n’est sûrement pas une conjoncture économique, certes difficile, qui nous empêchera de bâtir l’Algérie du XXIe siècle, avec une économie réellement émergente”, a indiqué M. Sellal.
Aux antipodes de l’expertise
Et de pourfendre les détracteurs de la stratégie de l’Exécutif. “Ceux qui se complaisent dans la critique et poussent au renoncement et à la démission collective, doivent savoir qu’ils ne servent pas leur pays en agissant de la sorte et que leur véritable responsabilité est de s’approprier la chose publique pour que nous puissions tous contribuer au renouveau national”, soutient Sellal.
Dès lors, il est à se demander si le gouvernement prend toute la mesure de l’ampleur de la crise à laquelle le pays risque d’être confronté ou, comme certains le soupçonnent, il table sur une hypothétique remontée des prix du pétrole. En tout cas, pour les experts, la crise est déjà là. “Il ne faut surtout pas une politique d’austérité qui ne dit pas son nom, car devant la chute dramatique des prix pétroliers et de la rente, la baisse soutenue du dinar, la nécessité du maintien des importations qui vont coûter plus, la baisse budgétaire et des dépenses de l’État, l’annulation de nombre de chantiers et projets, la dégringolade de la balance des paiements, les baisses ou le gel très probables des salaires du gros employeur qu’est l’État, les baisses ou le frein dans les dépenses sociales, l’Algérie est déjà en nette reculade économique globale. De plus, il n’est pas besoin d’être grand clerc pour savoir qu’imposer plus de manques et de sacrifices au peuple algérien, c’est courir le risque d’une explosion des rues dont nul ne peut entrevoir les conséquences”, mettait en garde récemment le professeur Omar Aktouf dans un entretien accordé à Liberté. Selon lui, parmi les mesures à entreprendre dans l’immédiat : un “renforcement urgent de la légitimité de nos institutions, une sorte de gouvernement de salut public, pour redonner confiance au peuple (…)”. C’est peut-être là que réside le fond de la crise, ce que l’Exécutif refuse de voir, préférant adopter une stratégie de fuite en avant.