Messaoud Belambri, président du SNAPO, à l’Expression: “Les pharmaciens s’estiment trahis par la sécurité sociale”

Messaoud Belambri, président du SNAPO, à l’Expression: “Les pharmaciens s’estiment trahis par la sécurité sociale”

Le président du Syndicat national des pharmaciens(Snapo) revient à la charge, accuse la sécurité sociale de bien fermer les portes du dialogue et de ne pas vouloir baliser le terrain pour qu’il y ait une solution qui respecte la dignité des pharmaciens.

L’Expression: Qu’est-ce qui bloque les négociations avec la sécurité sociale sur la question de la majoration étant donné que les discussions ont commencé depuis novembre 2015?

Messaoud Belambri: Effectivement, la volonté de suppression des incitations en faveur de la production nationale nous a été annoncée depuis longtemps. Ceci concerne les produits interdits à l’importation sous prétexte qu’ils n’ont plus de concurrents sur le marché. Faux, car les incitations accordées suite à l’ordonnance présidentielle 06-07, suite à l’instruction présidentielle du 15 septembre 2008, et suite à l’adoption en Conseil des ministres du décret 09-396 ne mettaient pas de conditions à ces incitations, dès lors, qu’ils soient interdits à l’importation. De plus l’arrêté portant interdiction d’importer certains produits fabriqués localement est signé en octobre 2008, alors que le gouvernement a promulgué le décret portant incitations en novembre 2009, si l’argument avancé par les caisses Cnas et Casnos était valable, le décret n’aurait jamais vu le jour. On ne peut donc pas venir aujourd’hui invoquer cet argument. De plus si cette disposition d’annulation venait à être appliquée, elle concernerait 358 DCI (dénominations communes internationales), car plus de 1596 médicaments fabriqués localement sur un total de 2029 sont inscrits à la nomenclature du système Chifa (médicaments admis au remboursement) donc 80% des médicaments fabriqués localement vont perdre une incitation à la dispensation.. Qu’est-ce qu’on aura laissé dans ce cas à la production nationale, c’est une véritable mise à mort si on considère que depuis l’adoption du principe des incitations la production a connu un bond de 25% en 2009 à 46% à décembre 2016 (chiffres du ministère de l’Industrie), quelle est la véritable raison qui pousse à cette suppression? d’autant que le nouveau gouvernement, à sa tête monsieur le Premier ministre a annoncé à la lecture de son programme devant l’APN et le Conseil de la nation la semaine passée, que l’objectif du gouvernement reste la protection et l’encouragement de la production nationale avec un objectif de 70% en 2019… Je précise que selon les chiffres officiels, le secteur de l’industrie pharmaceutique a connu la meilleure croissance tous secteurs confondus en 2015, un taux de croissance de 17%; mais suite aux annonces faites par les caisses de supprimer les incitations, la croissance a connu un ralentissement, sinon une stagnation en 2016 et ce début 2017 il y a à peine deux semaines, le ministère de la Santé a fait le constat de retards considérables dans la réalisation de deux mégaprojets dans le secteur de la pharmacie, les investisseurs locaux et étrangers réfléchissent et hésitent…

Nous affichons une position politique et de principe qui consiste à dire: il est inadmissible d’accepter de supprimer une mesure qui a porté ses fruits et donné des résultats probants et vérifiables, nous sommes encore juste à 46% de couverture, il ne faut pas crier victoire, nous sommes loin des objectifs tracés, surtout si nous comptons exporter vers l’Afrique et le Monde arabe.

De plus, les pharmaciens engagés dans le tiers payant et la politique sociale du gouvernement ont tous subi, le transfert des actes administratifs du remboursement au niveau des officines avec toutes les charges colossales induites et que l’officine supporte très difficilement suite à la baisse des prix du médicament, la chute de la marge du médicament de manière continue depuis 1998, mais aussi suite à l’application du tarif de référence que nous avons accompagné de manière patriotique sans rien recevoir en contre-partie, la seule compensation était ces incitations qui compensent partiellement toutes nos charges et pertes, et qu’on veut maintenant nous enlever, c’est injuste, les pharmaciens s’estiment trahis par la sécurité sociale. En outre le dossier marges reste en souffrance depuis des années, pis encore, on nous annonce que la sécurité sociale milite pour baisser encore la marge des pharmaciens en dessous des 20%, ça serait la mise à mort de l’officine et de toute la politique pharmaceutique de notre pays; notre principale revendication aujourd’hui, c’est de surseoir à cette décision, et pour cela nous lançons un appel à monsieur le ministre du Travail pour qu’il intervienne personnellement sur ce dossier; la grève n’est pas notre but, notre but c’est de préserver la profession afin qu’elle soit capable de continuer à assumer ses obligations envers la population, notamment dans le cadre du système Chifa et du tiers payant.

Pensez-vous que l’issue à la crise est ailleurs et n’est pas au niveau de la sécurité sociale?

Pour le moment l’issue de la crise se situe au niveau de la sécurité sociale puisque se sont ses caisses qui veulent passer à l’action et mettent la pression sur le ministre pour qu’il signe l’avenant d’annulation et heureusement que la décision finale n’est pas entre les mains des caisses et qu’il y a un pouvoir politique qui décide dans le cadre d’une vision globale stratégique d’avenir et multisectorielle, mais aujourd’hui la décision est entre les mains de Monsieur le ministre du Travail et nous lui demandons de maintenir les incitations. Maintenant, s’agissant d’une question d’intérêt national, on peut élargir les effets de cette décision à moyen terme au reste des départements ministériels concernés: santé, industrie, finance… et adopter des solutions plus consensuelles…

Les pharmaciens d’officine sont considérés comme les corps constitués de par le métier sensible qu’ils exercent, peut-on dire que ces derniers ne devraient pas recourir à la grève?

Depuis 21 ans d’activité et d’existence, le snapo n’a jamais appelé à une grève, aujourd’hui nous sommes poussés dans nos dernières tranchées, et seul le passage à l’action peut sauver la profession… Nous pensons plus que tout le monde aux malades et à la populations, et c’est justement dans le but de préserver le pharmacien comme étant un professionnel de santé à part entière qu’on agit, on ne peut pas être les 3/4 d’un pharmacien, ou bien on l’est ou on ne l’est pas, nous sommes au bout de nos capacités, nous étouffons et croulons sous les dettes et les charges, dont la plupart sont induites par le système Chifa et le tiers payant, nous avons pas moins de 45.000 employés au niveau de nos 11000 officines dont plus de la moitié (cas au moins 23.000) est consacré au tiers payant; si les incitations sont supprimées, ça sera le coup de grâce à la pharmacie, à l’industrie nationale, et au tiers payant, car il n’y aura plus de pharmaciens pour l’accomplir, nous allons vers la grève à contre-coeur, ce n’est pas notre métier la grève, notre métier c’est d’apporter secours aux malades par nos conseils et les médicaments qu’on dispense, c’est pour cette raison que nous assurons la population algérienne qu’il y aura un service minimum convenable et équilibré nous y travaillons avec nos 48 bureaux des wilayas, mais nous espérons que l’autorité va nous tendre la main et que nous ne serons pas obligés d’aller jusqu’au bout du mouvement annoncé, bien que les pharmaciens soient mobilisés au maximum, et ils sont nombreux à demander d’aller à la grève même s’il y a des signes positifs de la part de la sécurité sociale.

Les responsables de la sécurité sociale ont avancé les raisons liées à leurs économies pour supprimer les incitations prévues par l’article 27, considérez-vous cette réponse comme un argument convaincant?

Combien donnent-ils en incitations par année, 6, 7, 9 milliards de dinars? pour réaliser des économies sur le remboursement du princeps qui peuvent dépasser 50 milliards par année… et ce, sur un budget total de la Cnas de plus de 1100 milliards par année, au contraire, il y a retour sur investissement… les raisons des difficultés de la sécurité sociale sont à chercher ailleurs, pas dans le secteur du médicament, ce secteur a donné tout ce qu’il a pu: le tarif de référence, la chute de la marge, la baisse du prix public du médicament, tout ce qui pouvait être fait a été fait, mais on ne peut pas supprimer une mesure qui a, au contraire, aidé la sécurité sociale à préserver ses équilibres et réaliser des économies… il faut chercher d’autres sources de financement de la sécurité sociale, rentabiliser le recouvrement, et faire des économies là où il a été constaté du gaspillage…

Les incitations en résumé: c’est investir très peu, pour réaliser de grandes économies.

Quelles sont les mesures concrètes et réalisables susceptibles de désamorcer la crise pour éviter le spectre de la grève?

Une intervention de monsieur le ministre, ordonnant le maintien de l’article 27 du décret et entamer une véritable reforme du tiers payant, car les pharmaciens sont arrivés au bout de leurs moyens et capacités sur le plan humain et économique.