Message du président de la république, Un appel pathétique à l’unification des rangs

Message du président de la république, Un appel pathétique à l’unification des rangs

Abdelaziz Bouteflika en est conscient, lui qui invite toutes les forces éprises de liberté et de justice «à oeuvrer au resserrement des rangs face aux complots ourdis, ou qui pourraient l’être, contre notre chère patrie tant à l’extérieur qu’à l’intérieur».

Le message adressé par Abdelaziz Bouteflika, à l’occasion de la Journée nationale du moudjahid, est loin d’être casuel, un simple exercice de style.

Fondateur, il l’est, surtout lorsque le premier responsable du pays compare la mobilisation de toutes les forces vives à l’option prise par tout un peuple pour briser les chaînes de l’oppression et de la fatalité: «C’est ainsi que les moudjahidine ont fait, de leur vie, un véritable projet de libération de la patrie et de délivrance du peuple de l’oppression coloniale.

Ils ont également fait, de leur vie, un projet de construction du pays pour qu’il renoue avec son rôle civilisationnel parmi les nations.» Pour le président de la République, les exploits et les actions héroïques des moudjahidine resteront éternels et continueront à jamais de favoriser l’éveil des consciences, la mobilisation des énergies et l’exaltation des principes d’abnégation et de don de soi.

Ils resteront, soulignera-t-il, la fierté des générations successives: «Une méditation bien menée de ces évènements mémorables, nombreux à jalonner le parcours de notre Révolution, laisse entrevoir toute la force et la grandeur de notre peuple qui doivent présider à toute démarche entreprise dans la bataille d’édification de notre pays avec les mêmes principes fondateurs que sont l’unité, le travail, l’abnégation et le sacrifice pour la défense des idéaux unificateurs de notre religion et notre identité nationale, la justice sociale, et la liberté responsable qui consacre l’égalité entre tous et qui place le pays et ses intérêts suprêmes au-dessus de toute autre considération.»

Le discours en question aurait pu constituer une opportunité de rupture, d’en découdre avec les simulacres et des décisions qui s’attaquent plus aux effets qu’aux racines du mal.

En mettant l’accent sur le fait que les Algériens partagent des valeurs qui fondent une communauté de destin et qu’ensemble ils doivent dire clairement dans quelle société ils veulent vivre, il donne cependant l’impression d’oublier que les temps ont drôlement changé.

À un moment où les indus occupants du FLN s’offrent en spectacle ternissant ainsi l’image de marque du parti libérateur et fondateur de l’Etat algérien.

Bien qu’ayant énormément souffert de la variante systémique en vigueur depuis sa première élection, d’aucuns continuent à avoir un très profond respect pour celui qui a rétabli dans leurs droits historiques le soufisme, Messali Hadj, Abane Ramdane, Krim Belkacem, Ferhat Abbas et Benyoucef Benkhedda.

Et ce respect demeure intact lorsqu’Abdelaziz Bouteflika tente désespérément de mettre sur les rails du progrès et du raffinement un peuple qui ne fait strictement rien pour en découdre avec la fatalité et un statut d’éternel assisté.

L’appel présidentiel au sentiment national pour rassembler les Algériens est, à l’évidence, non sans pertinence. Force est de constater cependant que le fait d’affirmer le partage des valeurs fondatrices de la communauté nationale n’est rien de plus qu’une pétition de principe qui s’inscrit dans la rhétorique présidentielle, et plus largement dans la rhétorique politique.

Une symbolique curieusement limitée à sanctifier «les hautes valeurs»

Confronté à une réalité objective qui ne peut être comprise que si on l’analyse à partir des hypothèses, des espoirs, des besoins, des nostalgies et des intérêts des gens ordinaires, il nous faut nous demander ce qui pousse les gens de peu, les anonymes, les inconnus qui constituent la nation à se reconnaître en elle.

Car, comme le remarquait Renan, une fois que l’on a évacué de la nation les abstractions qui la constituent, «que reste-t-il?». Mais il semble que nous n’en sommes pas encore là surtout lorsque le président souligne que pour la sauvegarde du pays et de sa liberté, il incombe à tous les Algériens d’oeuvrer au resserrement des rangs face aux menaces du terrorisme barbare et dévastateur.

Au lieu de proposer une ligne générale en mesure de s’attaquer aux racines du mal intégriste, clientéliste et de la corruption qui gangrène outrageusement l’avenir de tout un peuple, l’énoncé présidentiel devient subrepticement sentimental et le nationalisme inhibiteur qui s’en dégage met en scène une symbolique des événements historiques curieusement limitée à sanctifier «les hautes valeurs humaines qui stimulent les bonnes volontés et nourrissent, chez les générations montantes, cette fierté d’appartenir à un pays de gloires.»

Un pays de gloires, certes mais aussi de véritables descentes aux enfers.

Du moins pour les patriotes qui, déstabilisés, sont voués aux gémonies et condamnés à l’exil intérieur au profit de courtisans et d’arrivistes particulièrement habiles lorsqu’il s’agit de nager en eaux troubles, de dilapider les biens publics et pour qui, en plus des privilèges octroyés au nom de la République, le visa et la nationalité sont loin d’être une monnaie de singe.

Des courtisans qui avaient accepté à l’époque, toute honte bue, de faire disparaître de l’hymne national le couplet exigeant de la France coloniale de rendre des comptes à un peuple qui a été victime dans sa chair d’une véritable tentative de génocide.

Ce qui n’empêche pas les partisans d’une telle infamie de faire encore illusion au sein de certaines institutions quand ils ne chargent pas, sitôt débarqués sans rendre compte de leur gestion, le président de la République de tous les maux.

Comme s’il était le seul responsable de cette gabegie castratrice qui met la société politique (opposition comprise) et la presse nationale dans l’incapacité de réfléchir sérieusement sur les sorties de crise.

Ce ne sont pas les avis nécrologiques liés à la chute du prix du baril de pétrole, dangereusement ressassés, qui vont sauver l’Algérie.

Une option est cependant suggérée par le signifié du message de la Journée nationale du moudjahid: «Mais il ne s’agit pas de s’arrêter aux limites de la simple satisfaction d’une prouesse héroïque dans laquelle la volonté de notre peuple vaillant s’est opposée à la violence d’un occupant inique.

Nous nous devons, un demi-siècle après la réalisation de cet éclatant exploit, marquer une halte pour méditer sur les facteurs de force de la Révolution et le degré de maturité de cette avant-garde qui l’a déclenchée et conduite dans ses étapes successives, exceptionnelles pour la plupart, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays.»

Plus loin, son souhait de voir les rangs unifiés est porté par un appel à la consolidation de la cohésion sociale, le raffermissement des volontés et la mobilisation de toutes les énergies autour d’un même objectif, «autant de vertus qui ont fait de la Révolution un exemple pour toutes les âmes opprimées en quête de liberté et de dignité».

Contre toutes les théories déclinistes

Plus explicite, le message annonce que la célébration de la Journée nationale du moudjahid interpelle l’ensemble des citoyens et citoyennes, abstraction faite de leurs obédiences et appartenances politiques, pour favoriser le jaillissement d’un front uni contre «le sous-développement, sous toutes ses formes, et de nous dresser d’un seul bloc contre tout esprit pessimiste et défaitiste, en consolidant l’espoir et la confiance en soi, afin de pouvoir appréhender positivement les difficultés économiques qui se posent aujourd’hui à la planète et de nous projeter ensemble, forts du génie de nos jeunes savants, chercheurs et créateurs, de l’ère du pétrole dans l’ère des technologies de pointe».

La réalité du terrain est tout autre. Frappée de plein fouet par la crise économique et son corollaire la politique d’austérité, les classes moyennes et populaires radicalisent leur discours pour s’en prendre aux dignitaires du régime.

L’heure est aux crispations, aux angoisses et à tous les replis sur soi.

Le penseur syrien Karim Emile Bitar n’avait-il pas prédit que c’est sur ce terreau extraordinairement fertile que peuvent prospérer toutes les grilles de lecture voulant offrir des explications holistiques et simples aux problèmes infiniment complexes du monde contemporain, que peuvent s’affirmer toutes les théories déclinistes, toutes les recherches de boucs émissaires? Face à cette situation, le centralisme bureaucratique semble tourner en rond.

Toutes les variantes mises en scène à l’effet de donner une impression de changement se heurtent à un véritable noeud gordien. L’impasse politique qui en découle en propose une image à tout le moins insolite tant la démarche, à l’honneur depuis plusieurs décennies, se caractérise par une curieuse et non moins flagrante absence d’unité de pensée et d’action.

Une dissonance à tout le moins révélatrice de la nature politique d’une bourgeoisie d’Etat incapable d’être au diapason de ses projets que ce soit dans le cadre du socialisme spécifique ou de sa volonté de s’inscrire dans la libéralisation économique du pays.

A défaut de réformes structurelles et superstructurelles profondes et/ou de remise en question salutaire d’une conception surannée, donc obsolète de la gestion des affaires du pays, des situations dramatiques, inéluctables en pareil cas, sont à prévoir.

Abdelaziz Bouteflika en est conscient, lui qui invite toutes les forces éprises de liberté et de justice «à oeuvrer au resserrement des rangs face aux complots ourdis, ou qui pourraient l’être, contre notre chère patrie tant à l’extérieur qu’à l’intérieur».

Pathétique, l’appel du président de la République l’est assurément.

Le moment n’est plus aux tergiversations. Les déclarations haineuses et le nihilisme ne doivent plus être de mise. Livré à lui-même et aux bulletins nécrologiques sur la chute des prix du baril de pétrole, le peuple n’est même pas pris en charge politiquement pour être préparé à juguler la crise.

Ne voyant pas plus loin que le bout de son nez, la classe politique, telle un merlan en colère, donne l’amère impression de tournoyer.

A un moment où les forces hégémoniques ne cherchent même pas à s’approprier les richesses de tel ou tel pays puisque ces mêmes richesses sont appelées à aller directement dans la poche du plus malin sitôt la souveraineté de notre pays réduite à néant. Avec la bénédiction des uns et les inconséquences des autres…