Nous sommes contactés au départ pour une simple intervention humanitaire. Des marins étrangers seraient sans provisions alimentaires sur leur bateau de transport de marchandises en détresse au port de Béjaïa. C’est l’ambassadeur de la Croatie en poste à Alger qui nous contacte pour une action urgente de solidarité.
On s’efforce alors, par-delà notre curiosité de journalistes, d’alerter par téléphone le réseau d’amis et de connaissances de la capitale des Hammadites pour répondre à la demande du diplomate.
Culture de l’hospitalité locale oblige, nous apprenons une heure plus tard que la situation est prise en charge par l’encadrement du port de Béjaïa qui avait appris par notre biais la situation de l’»Istra», ce navire propriété d’un armateur slovène battant pavillon togolais. Mais l’action humanitaire se complique…
LES MARINS CRAQUENT…
C’est le 11 août que le premier «S.O.S» de l’»Istra» nous parvient par un texto de l’ambassadeur croate, Marin Andrijasevic.
Un échange téléphonique immédiat nous permet d’en savoir plus : l’équipage d’un bateau de transport de marchandises en rade n’a plus de quoi se nourrir et plus d’eau potable parce que l’armateur propriétaire du navire «Istra» serait en difficultés financières et incapable de transférer l’argent nécessaire à l’avitaillement de son bateau par son agent consignataire de Béjaïa.
La sollicitation de l’ambassadeur est clairement formulée : «Parce que mon déplacement vers Béjaïa exige un délai de quelques jours, je vous serais reconnaissant d’assister ces marins en achetant des vivres et en les leur faisant parvenir le plus urgemment possible. Bien entendu, l’ambassade s’engage à financer l’achat de ces produits alimentaires.»
Le diplomate nous explique alors que la situation est très tendue à bord de l’»Istra» et qu’il a eu à s’entretenir avec le capitaine croate très inquiet de ce climat virant presque à la mutinerie depuis quelques jours déjà.
Manifestement très touché par la détresse des marins, il nous confie qu’à la crise alimentaire du moment se greffe celle d’une pénurie de fuel pour repartir vers le port de destination de l’»Istra». Nous activons donc notre réseau de solidarité en appelant, à notre tour, des amis béjaouis susceptibles d’intervenir au profit de ces travailleurs de la mer soumis à la diète.
C’est un cadre des oeuvres universitaires qui vient à notre rescousse en se rendant dans le quart d’heure qui suit au port de Béjaïa pour saisir les autorités en les informant de la situation des onze marins en rupture de stocks.
L’ÉPINEUSE QUESTION DU FUEL
La réaction positive ne se fait pas attendre. La Capitainerie du port en concertation avec l’EPB, l’entreprise portuaire de Béjaïa décide aussitôt de prendre en charge l’avitaillement du bateau en vivres et autres produits dont pourrait avoir besoin l’équipage en détresse. Les différents responsables nous signifient qu’ils n’ont pas été alertés auparavant de la situation du navire pourtant en contact radio avec la Capitainerie.
On comprendra assez rapidement pourquoi. Lorsque les autorités portuaires contacteront l’agent consignataire, le feuilleton d’un conflit interne à la compagnie Euroshipping, nom de l’armateur propriétaire de l’»Istra» en faillite, fait la lumière sur cette mystérieuse disette à bord du navire stationné sur la rade du port de Béjaïa.
C’est Monsieur B.A.A., le manager de Daryashipping, représentant entre autres Euroshipping, lors des opérations d’accostage et de déchargement des ses deux bateaux, qui prend finalement en charge l’avitaillement malgré ses problèmes de trésorerie faute de transfert d’argent de la part d’Euroshipping.
Le calme revient sur le bateau, surtout que nos marins en colère ont aussi reçu, avouons-le ici, quelques cartouches de cigarettes pour apaiser leur sevrage brutal en tabac ! Mais un autre souci de taille continue de ronger le vieux capitaine croate du bateau.
Les soutes se vident du peu de fuel qui reste, et le navire risque de se retrouver sans électricité et à la dérive, sans moteurs pour manoeuvrer… Tous unis pour une solution Pour le principe, là encore, l’EPB, l’entreprise portuaire de Béjaïa, n’hésite pas.
«Elle fera un geste et permettra au navire de regagner son port de destination en lui prêtant l’argent nécessaire au soutage, c’est-à-dire au remplissage en carburant nécessaire à la traversée».
C’est monsieur Ben Ali Badri, sous-directeur à la Capitainerie qui nous fait part de la solidarité indéfectible du port de Béjaïa. Mais, parce que l’opération demeure une initiative dans le cadre institutionnel, car il s’agit du denier public, la procédure va s’appuyer sur l’émission d’un engagement de la part de l’armateur pour qu’il rassure son créancier de sa disponibilité à le rembourser, dès que possible, de la somme prêtée.
Un prêt qui s’élève environ à 15 000 euros pour le volume de fuel demandé. L’engagement met quelques heures à parvenir via Darya Shipping qui s’occupe bien entendu de contacter l’armateur. Malheureusement, la règlementation internationale interdit tout achat en monnaie locale pour la fourniture en carburant d’un bateau étranger.
Lors de la séance de travail faisant le point de situation entre les autrorités du port et l’ambassadeur de Croatie, qui a tenu à se déplacer vers la capitale de Hammadites pour «exprimer tous ses remerciements aux autorités du port de Béjaïa et aux autres intervenants de la société civile au profit des marins de l’»Istra», l’inspecteur général des Douanes chargé des questions juridiques sera très explicite.
«La règlementation internationale considère qu’il s’agit d’une transaction à l’exportation du produit et donc soumis aux textes relatifs au change. Il faut donc qu’apparaissent dans les documents comptables ces transferts bancaires légaux en devises.»
Mais, ce responsable des Douanes, Boualem Azeb, manifestement mobilisé lui aussi pour le meilleur, rassure en annonçant «qu’après examen de la situation, une solution réglementaire a été trouvée». L’engagement doit finalement être émis par le représentant d’Euroshipping dûment nommé comme agent consignataire par l’armateur pour cette transaction de prêt.
La procédure respecte alors tous les aspects de la réglementation en reposant tout de même sur la détermination des cadres de l’EPB, de la Capitainerie et des Douanes algériennes à porter assistance au navire étranger avec la générosité qui sied à l’Algérie.
Une prouesse administrative qui aura pris quelques jours mais qui a permis à l’»Istra» d’appareiller hier en millieu de journée, les réservoirs remplis du précieux mazout et le coeur des marins pleins de reconnaissance comme ils l’ont si bien exprimée lors de notre visite à bord du navire, avant leur départ, en compagnie de Marin Andrijasevic, ambassadeur de la Croatie mais aussi ambassadeur de la cause humanitaire…
Les menaces de famine, de mutinerie et de naufrage au sein de l’»Istra» ne sont plus qu’un mauvais souvenir, emporté par les flots.
Nordine Mzalla
SYNDICALISME CACHÉ
Quoique secondaires par rapport à cette formidable mobilisation au profit des marins de l’Istra, il nous faut signaler quelques manoeuvres sous-jacentes plus proches du syndicalisme que de la navigation proprement dite.
En effet, on a pu savoir, au cours de ces derniers jours, que l’alerte portant détresse de l’Istra a été aussi l’occasion pour les marins à bord de manifester leur inquiétude en tant que travailleurs. Des tracas liés à des retards sur salaires et moult conflits avec l’employeur.
Ainsi, les articles publiés dans un premier temps sur les pages de la presse serbe ont eu comme instigateur le fils d’un des marins, ce dernier chef mécanicien, un Monténégrin de nationalité serbe. Il aurait profité de cette situation de manque sur le navire Istra, à Béjaïa, pour dramatiser et donner une dimension politique au dossier, quand il s’agissait d’un problème de faillite incombant au seul armateur.
L’Algérie a été injustement mise à l’index, à travers le port de Béjaia, dans un article laissant croire que le navire aurait été interdit de déchargement, de fourniture de carburant et de clearance…
Des allégations mensongères que la suite des événements a bien entendu démenties, et que l’ambassade de Croatie à Alger s’est très vite appliquée à corriger en apportant des éclaircissements à l’adresse des uns et des autres.
On aura d’ailleurs noté un petit malaise entre la diplomatie croate et les médias serbes, étant donné que le capitaine du bateau en question est de nationalité croate et que le fils du marin a réussi son tapage médiatique…
N. M.